Après avoir remporté la médaille d’argent lors du Grand Prix de Finlande et décroché sa qualification pour la finale du Grand Prix à Grenoble, Kevin Aymoz revient sur son début de saison.
Solène : Comment vous sentez-vous ?
Kevin : Je suis très content, je ne trouve pas les mots. Je pense aux personnes qui m'ont soutenu ces derniers mois. Peu de monde m'a vraiment soutenu quand j'étais au plus bas. Lors des championnats d'Europe, beaucoup de patineurs sont venus me voir, je les en remercie. Je ne dis pas merci à certains médias qui ont été très durs avec moi. Certains m'ont mis la tête dans les toilettes et ont tiré la chasse plusieurs fois. C'était très violent et très difficile à encaisser. J’étais en dépression. J'ai par exemple entendu que je ne devrais pas porter les couleurs de la France. Plus récemment, j'ai entendu “Kevin a pris dix mois de vacances, il n'a pas d'excuses pour patiner comme cela aux Masters”. Pendant ces dix mois j’ai été soutenu par mon petit ami, mes deux entraîneuses, ma famille, ma meilleure amie, mon préparateur physique, mon préparateur mental, mes kinés. Cette équipe a cru dans le fait que je pouvais croire en moi. Cela m'a fait tellement de bien de me réveiller chaque matin et de me dire que je pouvais croire en moi, que j’avais envie d'y aller et que la vie était belle. Le sport était presque secondaire, mon combat principal était d'essayer de voir le soleil se lever le lendemain matin. Aujourd’hui, je suis très heureux. Il y a dix mois, je n'aurais pas mis un centime sur ma qualification en finale du Grand Prix. J’en avais parlé avec la FFSG et je leur avais dit que la finale ne serait pas un objectif cette année. L'important était d'aller chercher les places qualificatives pour les Jeux Olympiques. Ils étaient d’accord, ils souhaitaient que j’adopte la meilleure stratégie pour moi. La semaine suivante, j’ai appris que la finale serait à Grenoble, chez moi… Je n’en ai pas fait un objectif, mais j’ai laissé la porte ouverte à ce défi. Je suis très heureux de l’avoir réussi, mais même si j'avais chuté quatre fois dans mon programme libre, j'aurais toujours été le même Kevin. Ma valeur n'aurait pas baissé. J’ai envie de le crier à tout le monde ! J'ai fait deux grosses erreurs pendant cette compétition : le Lutz, dans le programme court, qui me coûte le titre, et la chute sur le boucle piqué dans le programme libre. Je peux vous dire que je vais faire 500000 Lutz la semaine prochaine (rires).
Solène : Que vous êtes-vous dit après la chute sur le quadruple boucle piqué ?
Kevin : La première chose que je me suis dit, c'est “OK, maintenant tu peux montrer à tout le monde que tu peux te relever”. Cela m’a presque fait du bien. J’étais réveillé et serein. Cela m'a donné envie de me battre. J'ai repensé à toutes mes chutes, à la finale du Grand Prix, aux Nationaux, à Graz en 2020, aux championnats d’Europe 2023. Je me suis dit “C'est maintenant que tu dois tout renverser”. J’y ai cru. Il y a quand même des petites erreurs par la suite. Les juges ont été cléments avec ma séquence de pas. Je ne suis pas entièrement satisfait de mes pirouettes. Il y a eu des retournements sur des sauts et des atterrissages pas nets. Ce n'était pas parfait, mais j'ai préféré cette compétition au Skate America, parce qu'il y avait plus d'enjeu.
Solène : Lors du programme libre du Skate America, vous sembliez sur un nuage, comme si rien ne pouvait vous arrêter.
Kevin : (réfléchit) Oui, c’est vrai. En montant sur la glace d’Helsinki, je me sentais aussi bien qu’au Skate America, mais bizarrement, j’avais l’impression que j’allais faire une erreur quelque part dans le programme. Le fait de me préparer à m'autoriser l'erreur m'a permis de dédramatiser. Lors du programme court, après le Lutz manqué, j'ai eu un niveau trois sur la pirouette qui suivait parce que j'ai beaucoup réfléchi pendant cet élément. Je me suis dit “Comment dois-tu réagir aujourd'hui, Kevin, par rapport à ton passé ?”. Cela peut être une réaction physique, par exemple donner plus d'énergie pour la séquence de pas, ou une réaction émotionnelle, est-ce que je montre ou pas que je suis en colère ? Ces deux grosses erreurs à Helsinki m’ont fait du bien. Elles ne m’atteignent pas. Cela arrive à tout le monde de manquer un Lutz !
Solène : Vous vous qualifiez une troisième fois pour la finale, c’est un résultat exceptionnel. Seul Brian Joubert l’a réussi avant vous.
Kevin : Comme on dit en Anglais, “third time is a charm”. Ou jamais deux sans trois, si vous préférez. Je suis très content. Je croise les doigts pour qu'Adam puisse y aller également, et nous rejoindre, Evgeniia, Geoffrey et moi. Les juniors ont carburé aussi, je suis ravi. Je me suis rapproché de l'équipe de France ces derniers temps. J’ai 27 ans, je me sens comme leur grand frère. Je souhaite, d’une manière ou d’une autre pouvoir, transmettre ce que j’ai vécu aux jeunes patineurs. Je ne serai pas entraîneur, peut-être chorégraphe, mais le sujet de la préparation mentale m'intéresse aussi. Je me sens bien, dans ma peau, dans ma tête, avec mes amis. Je me sens bien aussi avec les autres patineurs. Le matin du programme libre, j’ai appris le forfait de Junhwan Cha, je lui ai envoyé un message pour prendre de ses nouvelles. Il ne faut pas oublier que derrière les athlètes, il y a des humains.
Solène : Le programme libre des Masters a été difficile, comment avez-vous rebondi pour aller chercher ces scores très hauts aux Skate America ?
Kevin : Je n’avais repris mes programmes que dix jours avant les masters. Je n'avais pas fait un programme en entier avant cela. Je savais que je pouvais réussir le programme court, mais sur un programme libre, on ne peut pas faire semblant. Soit t'es prêt soit tu ne l’es pas. Parfois, la magie du sport et l'adrénaline nous aident, mais là je n'étais tout simplement pas prêt. Je n’étais pas inquiet, je savais que j’avais plusieurs semaines avant le Skate America. C’est moi qui ai pris mes décisions sur le planning, pas mes entraîneurs. J’ai décidé de prendre quelques jours de vacances entre le Skate America et le Finlandia Trophy. L’année dernière, j’avais trop enchaîné les compétitions. Enchaîner des compétitions toutes les deux semaines d'août à janvier, c’est de la folie. Il faut que je me prépare de façon intelligente. J’ai 27 ans, je ne suis pas Yuma, Adam ou Daniel. Je suis vieux ! Mon corps ne réagit plus de la même manière sur un atterrissage de quadruple ou de triple Axel. Mes genoux ont 25 ans de patinage, c'est dur. Je me suis dit que je n’avais peut-être pas la fougue des jeunes mais que j’avais une expérience que je pouvais utiliser comme arme secrète.
Solène : Vous avez chorégraphié plusieurs programmes, dont le programme court de Davide Lewton-Brain, qui était dans le même groupe que vous aux Masters. Comment se passe ce mélange des deux vies de chorégraphe et patineur ? Est-ce que vous avez regardé Davide patiner aux Masters ?
Kevin : Oui j’ai regardé discrètement (rires). Nous nous connaissons depuis longtemps, nous sommes amis. Quand il m'a demandé d’être son chorégraphe, j’ai hésité, puis j'ai eu envie de le faire pour le défi. Très peu de patineurs chorégraphient les patineurs avec lesquels ils sont dans la même catégorie, voire le même groupe en compétition. Je suis très fier de lui ! Ce n'est pas mon programme, c'est son programme, et il le fait bien. Davide est un “sucre”, il est bon dans ce qu'il fait et il ne le sait pas. Il faut que les gens lui disent ! Il a démarré le patinage très tard et il est très bon techniquement. Cela m’agace quand des patineurs disent “je ne suis pas technique”. Qu'est-ce c’est être technique ? Faire plein de quads ? Ce n'est pas de la technique, c'est de la puissance. Mes triples Axel sont techniques ! Mon Lutz atterri sur mon genou est technique (rires) ! Davide a quelque chose de très technique avec de belles postures. C'était très agréable de travailler avec lui. Il était ouvert à mes idées nous avons vraiment collaboré. C'est important de pouvoir échanger, sinon on demande au patineur de faire quelque chose, mais cela ne fonctionne pas. Notre collaboration, c'est aussi des atomes crochus, une certaine énergie magnétique.
Solène : Je voudrais vous faire réagir à deux citations extraites du podcast “The Runthrough” par Ashley Wagner, Adam Rippon et Sarah Hughes. La première est d’Ashley, qui expliquait que John Nicks lui disait que chaque moment dans un programme doit être une photo, que c’est très difficile à faire, mais que vous y arrivez.
Kevin : Oh, wouah, c'est hyper gentil. Ashley et Adam sont des bêtes de scène. Ils vivent pour la lumière. C'est ça qui est beau ! Nous avons besoin de personnes qui donnent du spectacle. Je vois ce qu’Ashley veut dire. Quand j'ai décortiqué mon programme court vendredi soir avec Sylvia, il y a des moments où nous mettions la vidéo en pause et c'était comme ça (il mime un bras tordu). Je n'étais pas content ! Dans le ballet du Lac des Cygnes de l'Opéra de Paris, si on met sur pause, personne n'aura un bras tordu. En tout cas, je suis très touché de ce qu’a dit Ashley.
Solène : La deuxième citation vient d’Adam Rippon qui disait que vous êtes un des meilleurs patineurs du monde et qu’il faut arrêter d’être choqué quand les choses se passent bien pour vous sur la glace.
Kevin : Oui, il a un peu raison, mais je ne peux pas faire autrement. Je ne sais jamais à quelle sauce je vais être mangé. En tant que patineur, nous travaillons tellement dur pour aller chercher ces résultats. A Helsinki, je n'étais pas surpris des scores, j'en étais content. Ma réaction était plus une poussée d'adrénaline, comme le pop du bouchon de champagne. C'est comme cela que je relâche la pression. Adam a raison, mais j'ai besoin de faire sortir cette énergie.
Solène : A l’instant, pendant cette interview, quand je mentionne que vous faites partie “des meilleurs patineurs du monde”, vous avez un mouvement de recul.
Kevin : Je ne me compare pas aux autres. Camden, Lukas et tous les autres, ont des trucs tellement spéciaux. Tous les patineurs ont une histoire à raconter. Nous ne pouvons pas nous comparer parce que nous sommes tous uniques. Peut-être qu’il y aura mon nom un jour dans les livres d'histoire du patinage, et j’en serai très content. Quand j'étais petit, je regardais la page Wikipédia des championnats de France, et je voyais toutes les médailles de Brian Joubert. Maintenant, je sais que je fais partie des six patineurs français qui ont gagné le plus de médailles en championnats de France. Je suis dans le top six de l'histoire française. C'est pas mal ! Mais je ne peux pas me dire que je suis le meilleur. Enfin, si, je me le dis dans le miroir pour me donner du courage. Sinon, si je me dis que je suis nul, cela ne marche pas. Mais en même temps, je n’ai pas envie de croire que je suis dans les meilleurs pour ne pas enlever cette magie et ces rêves d'enfant. Et ce serait prétentieux de ma part, alors qu'il existe tant de patineurs talentueux.
Solène Mathieu - Skate Info Glace
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Dominique (lundi, 18 novembre 2024 00:16)
Whaoou ! Compétition à peine clôturée et interview déjà en ligne ! Bravo !