Championnats d'Europe Kaunas - Sorpresa italiana


Lucrezia Beccari et Matteo Guarise


 

Troisièmes du programme court, on les imaginait sur le podium, mais sans doute pas si haut. Titi et Gros Minet, alias Lucrezia Beccari et Matteo Guarise qui patinent sur "Cats", gagnent, presque tranquillement, le programme libre (132.14), au nez et à la barbe des couples allemands et géorgiens ! Ils raflent au passage une magnifique médaille d'or (199.19). S'il a été champion du Monde de roller-skating, son sport d'origine, en 2008, il aura fallu dix ans à Mattéo pour monter sur un podium de patinage international, mais il saute directement sur la plus haute marche ! Son meilleur résultat, avec Nicole Della Monica, était deux fois quatrième européen et une fois 5ème mondial. Il n'était jusque là médaillé "qu'en" Grand Prix et jamais de ce métal. Lucrezia, elle, n'aura mis que deux ans à monter sur le podium et c'est un gigantesque bon en avant. Après avoir abandonné la catégorie couples suite à un accident, elle y est revenue après plusieurs années en individuelle, et elle a bien fait !  Elle se dit d'ailleurs très heureuse de ce choix aujourd'hui ! Leur programme n'est pas exempt d'erreurs. Si le triple twist d'entrée est superbe et de niveau 4, la combinaison qui suit, triple boucle piqué/Axel/double Axel en séquence est entachée d'une sous rotation sur le dernier saut. Le triple Salchow parallèle est un peu chahuté et écope de GOEs négatifs. Mais on ne va pas faire les difficiles car la suite est top clean, y compris les deux sauts lancés : triple boucle et triple Salchow. Les costumes n'ont pas grand chose à voir avec la comédie musicale Cats. Enfin si, un tigre est un félin après tout, mais un gros ! La chorégraphie est soignée, on y reconnait facilement la griffe (ce qui est dans le thème !) de Barbara Fusar-Poli, mais elle peut être améliorée. Certains niveaux peuvent l'être aussi, comme dans la spirale. Je vois toujours le verre à moitié plein et je considère qu'ils ont donc une marge de progression d'ici les Mondiaux. Grâce à Matteo et à son humour décapant, nous sommes gratifiés d'une conférence de presse riche en rires mais aussi en réflexions matures et pertinentes. Il s'exprime avec une totale aisance qui fait encore défaut à sa timide partenaire (qui n'en revient pas de se retrouver médaillée d'or), mais il est aussi de quinze ans son aîné et doté d'une solide expérience. Lorsqu'on lui demande comment il va fêter sa médaille, il répond sur un ton pince sans rire : "Au lit avec une camomille. Ce ne sera sûrement pas le cas de ma partenaire et je préfère ne pas savoir à quels excès elle va se livrer". A imaginer le flamboyant et turbulent Matteo au lit avec un bol de tisane, l'assemblée se roule parterre de rire. Le garçon est non seulement beau comme le mannequin qu'il est à ses heures perdues, mais il est aussi intelligent, drôle, abordable, humble et il sait se montrer aussi sérieux qu'amusant, en plus d'être un patineur solide et de talent. Son anglais est excellent, et teinté du plus charmant accent italien. Toute émue par sa victoire, les yeux encore arrondis de surprise plus d'une demi-heure après la cérémonie du podium, Lucrezia, touchante, parle dans le micro en cherchant un peu ses mots et en regardant la table. Elle ressemble réellement à un petit chat avec ses cheveux attachés façon oreilles sur le sommet du crâne, et elle est absolument adorable. Il y a quelque chose d'éminemment rafraîchissant dans la victoire de ce couple et dans son attitude, même si Matteo est finalement un "vieux briscard" du circuit !

 

 

En tête après le programme court, Anastasiia Metelkina et Luka Berulava sont clairement sous pression. Les deux patineurs, qui sont en fait russes, s'entraînent à Perm dans l'Oural et comptent Maxim Trankov dans leur équipe de coaches, ne sont associés que depuis le printemps 2023 et naviguent cette saison entre catégories junior et senior. Ils participeront d'ailleurs à la fois aux championnats du Monde de Taïpeï et de Montréal, ce qui représente un énorme investissement physique et moral. Une sorte de vide juridique leur a permis de revenir en juniors après des compétitions seniors, dans le seul but d'engranger des points internationaux. En difficulté dès le début de programme sur "The Millionaire Waltz" de Queen, ils plongent au 5ème rang de ce libre (124.84). Le triple twist est de toute beauté, mais Anastasiia chute à la réception du triple Salchow parallèle, ce qui fait comptablement très mal. Le triple flip lancé est solide. La séquence de sauts est plus compliquée : triple boucle piqué/Axel/double boucle piqué dont la sortie est très hésitante pour Anastasiia. Il manque quelques petits morceaux à la pirouette finale et une nouvelle déduction tombe pour violation de temps. Le score prend un sérieux coup dans l'aile, d'autant plus que les composantes sont basses. Le couple termine quand même médaillé d'argent (193.14) mais les deux patineurs sont déçus, en particulier la jeune fille. Luka est plus philosophe : "une médaille est une médaille". 

 

 

Deux drapeaux italiens flottent ce soir dans la patinoire, grâce à Rebecca Ghilardi et Filippo Ambrosini. Ils remontent de la 5ème place du court à la seconde du libre (130.81) et sont médaillés de bronze (195.68). Je ne suis pas exactement fan du thème de "Dracula" que je trouve défraîchi, mais leur programme est bien patiné même si très académique. A l'exception d'un quarter sur le triple Salchow parallèle, d'une erreur minime sur la séquence de sauts et d'un accrochage à la réception du triple boucle lancé, leur prestation est propre. Pas originale, pas transcendante, mais élégante. Les compagnons d'entraînement de Beccari/Guarise sont heureux de leur médaille et tout sourires en conférence de presse. Seconds l'an dernier, ils ont reculé d'une place mais n'en sont pas frustrés. "Chaque compétition est différente, ni plus facile ni plus difficile, on ne peut pas comparer", dit Filippo, très à l'aise.

 

Maria Pavlova et Alexei Svitachenko, nés respectivement à Moscou et Saint Petersbourg,  sont à peu près aussi magyars que moi, mais patinent sous bannière hongroise. Ils partagent leurs entraînements entre Budapest et Sochi (où ils travaillent avec Fedor Klimov).  Leur prestation sur le délicat "My Perception of Love" de Benjamin Amarou et le plus rythmé remix 2021 du "Iron" de Woodkid est un peu transparente. Le programme est techniquement ambitieux et les éléments, à part un quarter sur la séquence de sauts, sont propres. Alors pourquoi ne suis-je pas emballée ? Peut-être à cause du côté très générique du patinage. 5èmes de ces mêmes championnats l'an dernier, ils étaient 4èmes du programme court. Les voici 3èmes du libre (128.73) et 4èmes au total (194.02).

 

Minerva-Fabienne Hase et Nikita Volodin, associés depuis seulement deux ans, ont effectué un début de saison tonitruant : vainqueurs du Nebelhorn Trophy, du Budapest Trophy, du Grand Prix d'Espoo, du NHK, et de la Finale du Grand Prix ! Sans vouloir faire offense à Nolan Seegert, son ancien partenaire, Minerva-Fabienne a gagné au change avec Nikita Volodin. Et lui aussi, qui a épuisé trois précédentes partenaires avant d'avancer dans les rangs à vitesse grand V. Ils sont arrivés à Kaunas avec de logiques grandes ambitions. 2èmes du programme court et en concurrence avec Metelkina/Berulava pour une médaille d'or, ils ne sont pas loin de sombrer aujourd'hui. Il est pourtant très beau ce programme, au son de "The Path of Silence" et "Power of Mind" de Anne-Marie Versnaeyen. Mais la technique des Allemands fout le camp. Triple twist de niveau 2 (ils sont habitués au niveau 4) ; triple boucle piqué/double Axel/double Axel en séquence, le dernier retourné par Minerva ; triple Salchow parallèle correct sans plus ; chute à la réception du triple boucle lancé ; et enfin et surtout : un porté qui ne monte pas. Du tout. Erreur exceptionnelle chez des patineurs de ce niveau. La fin est sensiblement meilleure avec un excellent triple Salchow lancé et un porté totalement assuré de niveau 4. 121.06 les relèguent au 6èmes rang du libre et au 5ème du classement final (190.69). 

 

Le troisième couple de la Squadra Azzura du patinage, Sara Conti et Niccolo Macii, est 6èmes (187.25) avec un libre coté à 125.73. Tenants du titre et récents seconds de deux Grand Prix et de la Finale, eux aussi sont venus en Lituanie pour une médaille. Et c'est raté. 7èmes du court avec dix points de retard sur le couple au drapeau géorgien, ils n'auront pas pu rattraper leur retard. Ils gagnent tout de même trois places pour remonter à la 4ème, ce qui est louable. Je ne répéterai pas une énième fois à quel point le thème de Cinema Paradisio m'ennuie. Ah si, c'est fait. Le patinage des Italiens, d'habitude solide, part en morceaux à plusieurs reprises : triple twist de niveau 3 avec plusieurs GOEs négatifs ; séquence de sauts triple boucle piqué, Axel, double Axel avec quarter et TOUS les GOEs négatifs ; triple boucle lancé avec une petite erreur, pirouette trop longue. Le reste des éléments est réussi avec un très bon triple Lutz lancé et des portés spectaculaires, tous de niveau 4. Compte tenu des résultats globaux des couples italiens depuis le début de la saison, la sélection pour les Mondiaux de Montréal risque d'être un vrai casse-tête. Tenants actuels du bronze mondial, forfaits à leur championnat national et deuxièmes à la Finale du Grand Prix, Sara et Niccolo sont-ils les moins bien lotis ? Pas certain. Ghilardi/Ambrosini sont champions d'Italie en titre, 5èmes de la Finale et tenants du bronze européen. Beccari/Guarise sont vice-champions d'Italie, champions d'Europe, mais non qualifiés lors de la Finale. La logique pure veut-elle que ce soit les champions d'Europe qui défendent le drapeau vert-blanc-rouge au Canada ? A suivre !

 

Annika Hocke et Robert Kunkel prennent la 7ème place du libre et aussi celle du classement final (115.23/177.75) avec un programme brouillon et entaché d'erreurs. 3èmes l'an dernier et récents vainqueurs du Skate America, ils font partie des déçus. 

 

 

9èmes du programme court hier, Océane Piegad et Denys Strekalin perdent du terrain. Leur triple twist est de niveau 2. La combinaison double Axel/double Axel/Axel en séquence est désynchronisée et les grades d'exécution sont négatifs ou à 0. Le Salchow parallèle ne passe qu'en simple après un retournement de Denys. Le porté qui suit n'obtient que deux GOEs positifs et seulement à +1. La spirale chorégraphiée écope de quelques zéros aussi. Un porté, d'abord jugé niveau 4, est rétrogradé niveau 3. Le second, niveau 4, plafonne à +1. Le triple flip lancé est bon avec des scores de +3. Mais la pirouette finale est invalidée. Tout ceci entraîne un déficit de points très important. 12èmes du libre (94.45), et de la compétition (148.41) les Français sont dépités. Mais ce sont leurs premiers championnats d'Europe ensemble et la concurrence est rude. Leur programme, comme le court, est cohérent, bien construit, et les deux patineurs sont volontaires et plein de sensibilité. Il n'y a pas à rougir du résultat. Camille et Pavel Kovalev ont dû déclarer forfait, Camille étant malade. Océane et Denys se sont donc retrouvés seuls représentants tricolores de la catégorie couples, ce qui a dû ajouter à leur stress. Courage, de meilleurs jours sont à venir !

 


Kate Royan - Skate Info Glace