Interview Charlène Guignard et Marco Fabbri : "Nous ne voulons pas qu’on se souvienne de nous comme un couple qui ne sait faire qu’une seule chose."

© Alice Alvarez
© Alice Alvarez

Rencontre avec Charlène Guignard et Marco Fabbri, après leur troisième titre consécutif de champions d’Europe.

 

Skate Info Glace : Dans le Kiss and Cry à Tallinn, il y avait du bonheur, mais il semblait aussi y avoir du soulagement, ce que nous n’avions pas forcément ressenti lors de vos deux premiers titres européens. Est-ce que je me trompe ?

Charlène : Disons que pour le premier titre européen, il y a eu beaucoup de souffrance. Nous étions très stressés. Cela faisait un an que tout le monde nous disait : « Allez, cette année, c'est votre tour. La première place est pour vous. » Et même en essayant de ne pas trop y penser, cela reste en tête. 

Marco : L’année dernière, nous étions un peu plus détendus qu’il y a deux ans, mais défendre un titre reste compliqué. C’était la première fois que nous avions à le faire, et ce n’est jamais facile. Cette année, nous avons mieux vécu toute la situation. C’est vrai que nous avons ressenti un certain soulagement car nous avons rencontré quelques problèmes en début de saison et n’avions pas obtenu de très bons scores jusqu’ici. Même si nous n’avons pas été parfaits, ni dans le programme court ni dans le libre, nous avons tout de même décroché de bons points.

Charlène : Juste avant nous, dans le programme libre, plusieurs couples étaient très proches au classement et avaient réalisé de très belles performances. À ce moment-là, nous nous sommes dit : "Ok, ça va être serré." Nous ne savions pas à quoi nous attendre.

Marco : Nous avons obtenu 127,89 points, donc finalement, nous avions un peu de marge. Mais on ne sait jamais ce qui peut arriver. Lors de la finale du Grand Prix, nous avons eu un "attention" sur la séquence chorégraphique. Cela nous a fait perdre deux ou trois points. Dans le Kiss and Cry, nous nous disons toujours qu’une surprise peut arriver. 

 

Skate Info Glace : En fait, il y a plus d’incertitude sur les scores qu’avant.

Marco : Oui, tout à fait. Parfois, tu ne t’en rends vraiment pas compte. Lors de la finale, nous n’avions pas fait d’erreur à proprement parler. Apparemment, nous nous étions juste un peu trop éloignés l’un de l’autre, légèrement au-delà de ce qui est permis.

 

Skate Info Glace : Votre danse libre sur le thème des robots a été très commentée. Vous êtes connus pour vos skating skills, pour la fluidité de vos mouvements, pour les émotions… Vous sortez cette année complètement de votre zone de confort.

Charlène : Nous avons reçu beaucoup de critiques disant que nous ne mettions pas assez en valeur notre patinage. Nous avons travaillé dur pour améliorer cela, en essayant de rester souples avec les jambes tout en faisant les robots avec le haut du corps. Nous avons dû faire pas mal de changements. Quand nous avons eu l’idée de faire un programme sur le thème des robots, c'était une idée nouvelle qui nous plaisait beaucoup. Nous étions vraiment contents de ce que nous faisions. Recevoir ces critiques a été difficile. C’est vrai qu’au début de la saison, nous étions un peu trop rigides. Mais d’un autre côté, nous pensions que c'était normal, car nous faisions les robots, donc cela faisait partie du concept.

Marco  Cela n'a pas été facile de trouver le juste équilibre entre les deux.

Charlène : Ce n’est pas un programme émouvant. C’est complètement différent. Nous ne pouvons pas toujours faire la même chose... Enfin, nous pourrions, mais nous ne le voulons pas.

Marco : Nous ne voulons pas qu’on se souvienne de nous comme un couple qui ne sait faire qu’une seule chose. Dans notre carrière, nous avons exploré des programmes très différents : Lord of the Dance, Muse, Casse-Noisette, La La Land, Schindler's List… Nous avons changé de style à plusieurs reprises. C’est ainsi que nous souhaitons que les gens se souviennent de nous : comme un couple capable de maîtriser plusieurs registres.

 

Skate Info Glace : Devant ces difficultés, avez-vous envisagé de changer de danse libre ?

Charlène : Non. En revanche, nous avions besoin de changements à l’intérieur de cette danse libre. C’est pour cela que nous avons changé les tuniques et modifié beaucoup d’éléments. Nous avons réalisé que de petites modifications ne suffisaient pas. Nous nous sommes dit : “OK, on change tout ce qui ne va pas”. Nous avons complètement refait la séquence de pas, modifié les twizzles, ajusté des transitions, et décidé de mettre davantage en valeur le patinage. De notre côté, nous avions l’impression d’avoir vidé le programme. Mais, de l’extérieur, on nous a dit que cela rendait mieux et qu’auparavant, nous marquions trop souvent la musique.

 

© Alice Alvarez
© Alice Alvarez

 

Skate Info Glace : En début de saison, il y a eu beaucoup de chutes et de grosses erreurs. Presque tous les couples du top 6 ont connu un ou plusieurs programmes difficiles. Qu’en avez-vous pensé ?

Marco : Pour parler de nous et de nos programmes au Grand Prix de France, nous avions eu des problèmes personnels, sans lien avec le patinage, et mentalement, nous n’étions pas très bien à ce moment-là. Dans le programme, je ne sais pas exactement ce qui s’est passé. Dès le début, nous avons eu un problème sur le premier porté, et cela m’a complètement tué les jambes. Je les sentais raides, encore plus que ce que demandait la chorégraphie (rires). À partir de là, je n’ai pas été capable de me reprendre. Tous les éléments sont devenus très difficiles, vraiment très difficiles. 

Charlène : La chute est arrivée vers la fin du programme. Les jambes ne tenaient plus, tout simplement. Concernant les autres couples, Madison Chock et Evan Bates, par exemple, sont tombés dans la séquence chorégraphique. C’était une chute assez "casual". Elle a atterri sur le patin d'Evan après son saut, ce sont des choses qui peuvent arriver.

 

Skate Info Glace : Les programmes sont-ils parfois trop exigeants ?

Charlène : Oui, on nous demande beaucoup de choses. Pour chaque élément, il faut une entrée, l’élément en lui-même et une sortie. Cela nous laisse peu d’espace et de temps pour vraiment patiner librement, ajouter davantage de chorégraphie ou autre.

Marco : Une chose que je n’aime pas en ce moment, c’est qu’on se concentre beaucoup sur la distance entre les deux patineurs. Patiner proche l’un de l’autre est plus difficile, c’est normal, mais je trouve que cela devient un stress excessif. Il y a quelques années, les couples patinaient avec plus de distance, mais c’était un beau patinage. On voyait vraiment les patineurs glisser, pousser, plier, notamment sur les séquences de pas sur un pied. Aujourd’hui, tu dois rester en contrôle. Si tu t’éloignes trop de ton partenaire, les GOE baissent immédiatement et de façon importante.

Charlène : Même dans les éléments chorégraphiques, comme la séquence de pas, nous ne pouvons pas nous éloigner de plus de deux bras. Sinon, nous risquons de recevoir une "attention", comme cela nous est arrivé lors de la finale du Grand Prix.

Marco : Tu ne dois jamais t’éloigner. Tu ne peux pas faire un saut plus grand, par exemple. Il y a beaucoup de restrictions.

Charlène : C’est du stress supplémentaire sur des choses qui ne sont pas si techniques que cela. La séquence chorégraphique n’est pas considérée comme un élément technique, mais pour nous, c’est super stressant.

 

Skate Info Glace : Un élément étonnant concernant les chutes est que si vous tombez sur un élément, vous pouvez perdre plusieurs points, ce qui peut vous coûter une médaille ou un titre. Par contre, si vous tombez hors élément, vous ne perdez qu’un point, alors que cela peut impacter tout autant l’impression générale du programme.

Charlène : C’est vrai. Je me rappelle de Madison Chock et Evan Bates aux championnats du monde de Saitama. Elle était tombée juste après la pirouette, donc ils n’ont perdu qu’un point. Par contre, au Skate America, ils sont tombés dans la séquence chorégraphique, ce qui leur a coûté la première place. Faut-il davantage pénaliser une chute hors élément ou, au contraire, réduire la pénalité lorsqu’elle se produit pendant un élément technique ? Je ne sais pas.

Marco : Il faudrait moins pénaliser certaines erreurs sur les éléments, car en ce moment, même pour une petite erreur, sans que ce soit forcément une chute, tu risques de perdre vraiment beaucoup de points.

Charlène : Le problème, c’est que tu perds à la fois le niveau et les GOE. Parfois, ce n’est qu’un simple déséquilibre, mais cela peut être sévèrement pénalisé.

 

© Alice Alvarez
© Alice Alvarez

 

Skate Info Glace : Votre relève s’annonce de belle manière avec les juniors Noemi Maria Tali et Noah Lafornara. Que pensez-vous de leur progression ?

Marco : Ils s'entraînent avec nous tous les jours, pas avec Barbara, mais avec d’autres entraîneurs. Ils sont très bons. Déjà l’année dernière, nous avions vu qu’ils avaient du potentiel, mais ils avaient fait beaucoup d’erreurs en compétition, ce qui les avait empêchés de gagner des compétitions importantes. Ils avaient quand même fait un podium en Grand Prix juniors. Cette année, ils sont plus solides, et franchement, ils sont bons. Nous sommes contents de voir qu’après nous, il y aura quelqu’un pour représenter l’Italie. Nous nous demandions ce qu’il allait se passer pour la danse italienne après notre départ, si ce serait une période sans couple. C’est rassurant. Bien sûr, il leur faudra du temps pour monter et obtenir de bons résultats en senior, parce que la catégorie junior et la senior sont deux mondes différents. Regardez les Tchèques, Katerina Mrazkova et Daniel Mrazek : ils sont super bons, mais en senior, il faut du temps pour s’imposer. Donc, il faudra voir ce que les Italiens feront en senior, mais nous sommes contents qu’il y ait quelqu’un pour prendre notre relève. 

 

Skate Info Glace : Votre relève après Milan 2026 ? Vous arrêterez après les Jeux Olympiques ?

Marco : Oh oui (rires).

 

Skate Info Glace : Participerez-vous aux championnats du monde 2026 ?

Marco : Théoriquement, oui, pour terminer la saison, mais nous verrons sur le moment.

Charlène : Cela dépendra de la manière dont se dérouleront les Jeux Olympiques. Beaucoup de choses entrent en compte : si nous arrivons au bout de nos forces aux JO ou si nous avons encore un peu d'énergie pour les Mondiaux. Nous n'avons pas encore pris de décision à ce sujet.

 

Skate Info Glace : J’imagine que vous avez un objectif de deux médailles aux Jeux Olympiques ?

Charlène : C’est vrai que nous avons une équipe qui peut se battre pour une médaille.

Marco : Chez les hommes, s’ils sont en forme, nous avons plusieurs patineurs capables de très bien performer. En couple artistique aussi. Et en danse, il y a nous. Chez les filles, il y a également du potentiel. Je pense notamment à Anna Pezzetta, qui s’entraîne avec nous tous les jours.

Charlène : Quand nous nous échauffons, nous la voyons sauter, et à chaque fois, je me dis : "Bam !". Elle réalise des sauts incroyables.

Marco : Elle aurait pu monter sur le podium aux championnats d'Europe, mais elle a fait des erreurs dans le programme court et le libre. Elle a terminé 5e, ce qui est vraiment bien pour un premier championnat. Elle est très forte. Si elle parvient à bien gérer le mental, elle peut aller très loin.

 

Skate Info Glace : Sur un autre sujet, j’ai cru comprendre que vous aviez noué une belle relation avec Loïcia Demougeot et Théo Lemercier.

Marco : Ils sont vraiment adorables. Depuis l’année dernière, nous avons eu l’occasion de mieux les connaître, et ils sont très sympas. Parfois, ils nous demandent des conseils, cela nous fait plaisir. Nous apprécions quand des couples plus jeunes viennent chercher notre avis, notamment sur la gestion de certaines situations. Cette année, nous avons fait des galas en Lituanie avec eux, ce qui nous a permis de passer plus de temps ensemble. Nous les apprécions également sur la glace. Ils ont beaucoup d’énergie et sont de très bons patineurs.

Charlène : Nous voyons que c'est un couple qui travaille beaucoup, qui est sérieux et qui a envie de se battre pour obtenir de bons résultats.

 

© Alice Alvarez
© Alice Alvarez

 

Solène Mathieu - Skate Info Glace

Écrire commentaire

Commentaires: 0