Katarina Witt, la magnifique

© kicker.de
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Novembre 2015 - Par Kate Royan ©

 

Katarina Witt fêtera ses cinquante ans la semaine prochaine. Elle est la femme aux six titres européens consécutifs, aux deux médailles d'or olympiques, la femme de tous les superlatifs. La plus talentueuse, la plus technique, la plus belle, la plus audacieuse, la plus sexy, la plus célèbre aussi. C'est la seule femme dont je n'ai jamais manqué un seul programme. Elle est une figure, non seulement du sport, mais aussi du monde médiatique qui en a fait une véritable icône. 

 

Pour mieux comprendre la naissance du phénomène Witt, car c'en est un, revenons un instant sur les années de guerre froide qui ont opposé les pays de l'ouest au bloc soviétique. L'idéologie communiste considère que le sport développe idéalement les capacités de l'être humain au travail. L'éducation physique canalise l'énergie de la population vers des activités approuvées par le système et les détourne des "vices" les plus redoutés dont, bien sûr,  la mobilisation politique contre l'état. Autrement dit, plus les gens font du sport, moins ils ont le temps de réfléchir, de parler, de se rebeller. On attire les jeunes dans les centres sportifs. Plus il y en a, plus le système a de chance de voir naître ses futurs champions. La détection des futurs athlètes de haut niveau est parfaitement au point. On repère les éléments les plus prometteurs et l'état met à leur service tout ce qui est nécessaire à leur développement. Le culte de la force, de l'endurance, du succès, la quête de la victoire et la promotion du dépassement de soi sont des valeurs suprêmes au sein des pays de l'Est. C'est dans ce contexte que naît, le 3 décembre 1965, en République Démocratique Allemande, Katarina Witt, fille d'une kinésithérapeute dans un hôpital d'état, et d'un négociant en semences agricoles.

© K. Witt
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Un mentor : Jutta Müller

 

Sur les patins à cinq ans, elle est repérée par un recruteur qui l'envoie à Karl-Marx-Stadt (aujourd'hui Chemnitz), grand fief du patinage est-allemand. Elle y rencontre Jutta Müller, qui devient son entraîneur et le restera tout au long de sa carrière. Jutta Müller est un personnage à part, comme le sera bientôt son élève, mais pour des raisons différentes. Elle est membre active du parti communiste, le SED, et a été championne de RDA en patinage par couple... féminin. La catégorie avait été créée pour pallier au manque d'hommes après la deuxième guerre mondiale. Madame Müller a déjà formé une championne, sa propre fille, Gabrielle Seyfert, médaille d'argent aux Jeux Olympiques de Grenoble en 1968, et la première femme à avoir réussi une triple boucle. La RDA domine le patinage féminin depuis des années, grâce à Anett Pötzsch, d'abord élève de Gabrielle Seyfert, puis de sa mère. Pötzsch gagne, entre autres brillants titres,  l'or olympique en 1980. [Pour la petite histoire, elle va plus tard épouser Axel Witt, le frère aîné de Katarina. Ils auront une fille, Claudia, championne d'Allemagne 2000 en couple avec Robin Szolkowy, ancien partenaire d'Aljona Savchenko qui patine aujourd'hui avec le Français Bruno Massot]

 

Pötzsch, handicapée par un problème au genou, prend sa retraire en 1981. Katarina Witt assure la relève dès l'année suivante,  en montant sur la seconde marche du podium européen, puis mondial. Sa carrière internationale a débuté en 1979 avec une quatorzième place aux championnats d'Europe de Zagreb.  Depuis son plus jeune âge Witt est soumise au même régime d'entraînement stakhanoviste que ses aînées : six jours par semaine, sept heures par jour dont trois consacrées aux redoutables figures imposées qu'elle déteste (et qui seront supprimées des années plus tard). Jutta Müller a l'autorité et les exigences d'un général d'armée. Elle est la rigueur incarnée. Katarina a du caractère, elle est fantasque, d'humeur changeante, parfois entêtée, rebelle et un peu insolente. Elle a découvert l'ouest et les plaisirs du consumérisme lors d'une compétition à Vienne en Autriche. Müller, communiste convaincue, s'insurge contre les nouveaux goûts de son élève. Mais c'est elle, néanmoins, qui l'encourage à exprimer sa personnalité affirmée sur la glace, à être créative, novatrice. Leur relation sera toujours orageuse, mais elles resteront inséparables jusqu'à ce que Katarina renonce à la compétition.


© picture-alliance
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Un personnage haut en couleurs

 

Chacun des programmes de Katarina est un événement. Elle est l'une des premières à utiliser un thème pour chacun d'entre eux. Avec chaque thème, vont la coiffure, la tenue, le maquillage. Le maquillage, elle en a abuse parfois un peu. Passer du temps devant un miroir, à se faire des yeux de biche, lui permet de tromper sa nervosité  avant les épreuves. En 1983, elle patine son programme court sur une musique de Rondo Veneziano et de Mozart. Le SP est son point fort, son épreuve favorite. Pour mieux incarner Mozart,  elle porte des knickers. Au championnats d'Europe de Dortmund, elle réalise un sans faute et les juges la placent première. Mais ils ont froncé les sourcils. Et sorti immédiatement une nouvelle règle de leur chapeau : les femmes doivent patiner en jupe. Aux mondiaux d'Helsinki la même année, Katarina incarne donc un Mozart en jupe et ne manque pas de dire ouvertement qu'elle trouve cela idiot. Son goût pour l'éclat, l'originalité, les couleurs,  tranche avec sa technique rigoureuse. Witt est aussi femme de contrastes. 

 

En 1988, dans un programme court sur la musique de "Jerry's Girl", la voici danseuse de music-hall. Justaucorps bleu électrique orné de plumes, très échancré, longs gants assortis. Les juges s'étranglent. Trop c'est trop. Enfin non, justement, pas assez ce n'est vraiment pas assez. De tissu. Ils s'empressent d'instaurer une règle de plus. Celle-ci oblige les patineuses à porter une jupe qui couvre le bas du corps. On appellera cette règle la "Katarina Rule". Plus de justaucorps. Qu'à cela ne tienne, l'intéressée patinera son programme d'exhibition sur "Bad" de Michael Jackson dans une tenue échancrée encore plus haut sur les cuisses. Dans l'inconscient collectif, l'Allemagne de l'Est est un pays où règne le gris et le silence. Katarina Witt est un phénomène que personne n'arrive tout à fait à cerner. Elle semble libre comme l'air, elle aime la vie, les hommes, la bonne chère, la musique rock, les belles choses. Ce n'est pas du tout l'image que l'ouest se fait du communisme.

 

Il a d'ailleurs raison. Witt est une athlète de haut niveau et donc une exception. Pour sa fédération et son gouvernement, l'équation est relativement simple : la dissidence est à la mode, il faut éviter qu'elle n'attrape le virus. Le meilleur moyen de l'empêcher de partir ? Lui donner envie de rester. A 19 ans, on lui fournit une voiture, un appartement confortable, quand ses compatriotes moisissent plus de dix ans sur d'interminables listes d'attente. Elle peut voyager à son gré. A 20 ans, elle a son premier million sur un compte en banque. Tout le monde s'y retrouve, l'état, qui a en elle une incomparable ambassadrice à l'étranger, et la patineuse, qui bénéficie d'un encadrement sportif de luxe. Le tableau n'est, cependant, pas aussi idyllique qu'il y paraît. Après la chute du mur de Berlin, elle révélera à la presse américaine, qui  l'a surnommée "le plus joli visage du socialisme", que la pression qu'on a fait peser sur ses épaules était énorme. Il fallait qu'elle gagne pour son pays, pour l'image donnée au reste du monde, elle avait le devoir de ramener des médailles. Téléguidée par l'Union Soviétique, l'Allemagne de l'Est veut prouver que son système est le meilleur. "La preuve, nous avons Katarina Witt". Dès ses 18 ans, le monde occidental essaie de l'attirer, on lui offre des ponts d'or, on lui promet les plus grands shows, des sponsors, la fortune. Katarina refuse. Elle ne souhaite pas quitter sa famille, elle veut rester loyale envers ses amis, son coach, ses professeurs. 

 


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1984 : le hold-up

 

Grâce à sa personnalité hors norme, son talent et le pays qu'elle représente, le nom de Katarina Witt est déjà très connu dans le monde du patinage. En 1984, sa renommée va s'étendre au monde entier. Elle rafle tout : or aux championnats d'Europe de Budapest, or aux Jeux Olympiques de Sarajevo, or au championnats du Monde d'Ottawa. Un SP sur "Csardas" de Vittorio Monti pour célébrer la Hongrie, un LP sur un medley de Gershwin. Elle n'a que 18 ans. Traditionnellement, le libre dame est la dernière épreuve des Jeux Olympiques. Katarina a tout le temps de profiter du village, et de faire connaissance avec les autres athlètes de son pays. Elle cire ses chaussures dans la salle où ses compatriotes du bobsleigh fartent les patins de leur bolide. Sa principale adversaire est l'Américaine Rosalynn Sumners, tenante du titre mondial. La rivalité est/ouest est aussi vieille que la guerre froide, et l'affrontement entre une Américaine et une Allemande de l'Est prend une dimension politique, comme ce fut déjà le cas avec Linda Fratianne et Anett Pötzsch en 1980. Katarina est troisième après les figures imposées, et prend la tête après le programme court. Le  programme long va devoir les départager. Sumners ne maîtrise que deux triples en compétition et Witt choisit l'option sécurité. Elle renonce à tenter le triple flip, trop risqué, et le remplace par une combinaison double flip/double Axel. Après un double Lutz/triple boucle piqué parfaitement exécuté en entrée de programme, son triple Salchow transformé en double ramène à zéro sa marge d'erreur. Elle n'en fera plus aucune, au contraire de Sumners, qui, les nerfs moins solide que sa rivale, émaille son LP de plusieurs bêtises. Des bêtises qui auraient dû lui coûter des points mais n'empêchent pas la juge italienne de décerner à la blonde Américaine un incongru 6.0. Katarina, qui, avant l'affichage des notes, croyait avoir gagné, prend le chemin des vestiaires, décue. Elle pense devoir se contenter de l'argent. Mais on la rattrape, des gens la serrent dans leur bras, la félicitent. Elle est médaillée d'or olympique. Pour un tout petit centième de point.

 

Un journaliste présent à Sarajevo la surnomme "la Brooke Shields du patinage". Il existe une ressemblance physique certaine entre la patineuse et la jeune actrice américaine, et le même engouement du public envers ces deux prodiges. Brooke Shields-bis  va réaliser ce qu'elle appelle elle-même "le coup du chapeau", terme emprunté au langage de son frère, footballeur. A l'époque, aucun patineur ne néglige les championnats du Monde lors d'une année olympique. Si Katarina a régulièrement gravi les marches européennes jusqu'à occuper la première, elle a eu moins de chance avec les Mondiaux. 10ème, 5ème, seconde, 4ème. Mais, boostée par ses deux médailles de l'année, elle arrive à Ottawa en grande favorite. Et empoche l'or, comme elle le fera en 1985, 1987 et 1988, se contentant de l'argent en 1986. Elle devient l'égérie de l'agence de photos sportives Vandystadt, une héroïne nationale dans son pays et LA sportive dont on parle dans le monde entier. Tout cela pendant que la guerre froide continue de battre son plein. Sur la glace, elle est la reine absolue. Techniquement brillante, artistiquement téméraire et exceptionnelle.

 

A l'issue de cette extraordinaire saison, Katarina réalise une autre "première" : elle participe à la tournée ISU à travers les Etats-Unis. Le privilège avait été refusé à Gabrielle Seyfert, c'est la toute première fois qu'une patineuse est-allemande s'y voit autorisée. Katarina intrigue, puis éblouit,  et enfin passionne le public américain. Ce n'est certes pas ainsi qu'il imaginait les athlètes de RDA. A leur décharge, les seules qu'il connaissait jusque là, étaient des nageuses et lanceuses de poids élevées aux anabolisants, taillées comme des armoires normandes. Katarina est belle, gracile, souriante, expressive, sensuelle. La tournée fait un véritable tabac et les poches de la jeune femme se remplissent de dollars. Dont 80% iront à sa fédération. Il ne faut pas exagérer, le communisme reste le communisme !

 

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1988 : la bataille des Carmen

 

Aujourd'hui il n'est pas rare d'entendre plusieurs fois la même musique, même morceau, même version,  dans une même compétition. Ce n'est pas le cas en 1988. Debi Thomas et Katarina Witt font la grimace en découvrant qu'elles ont toutes les deux choisi le thème de Carmen pour leur programme long. Quatre ans ont passé depuis Sarajevo. Comme après chaque Olympiade, nombre de patineurs ont pris leur retraite, abandonnant le monde amateur pour les shows, ou la compétition professionnelle, très en vogue et très lucrative à l'époque. Exit Rosalynn Sumners, les adversaires de Katarina s'appellent maintenant Kira Ivanova et Anna Kondrashova (URSS), ou Tiffany Chin, Caryn Cadavy et Debi Thomas (USA). Le rapport de force est toujours le même, Est vs Ouest, avec Katarina en troisième représentante du bloc soviéto-communiste. Au niveau européen, le classement est le même en 1986,  87 et 88 : Witt devant Ivanova et Kondrashova, Il ne changera qu'en 1985 avec l'Allemande de l'Ouest Claudia Leistner à la place de Kondrashova sur la 3ème marche. Les Mondiaux de Tokyo voient Witt précéder Ivanova et Tiffany Chin. En 86 à Genève, Debi Thomas dépouille "Kati" de sa couronne. Elle termine seconde devant Tiffani Chin. En 87 à Cincinnati, l'Allemande reprend son titre devant Thomas et Caryn Cadavy. 

 

Depuis sa victoire olympique, la vie a changé pour Katarina. Elle a quitté le domicile familial pour son propre appartement. Elle conduit sa propre voiture, une VW Golf, un modèle disponible seulement en Allemagne de l'Ouest. (Avec laquelle elle défonce le mur de son centre sportif en loupant une manoeuvre...) Cette nouvelle autonomie lui donne envie de s'amuser un peu plus, de profiter de sa jeunesse. Pendant l'été, elle s'entraîne moins, mange plus, et,  comme elle le dit elle-même "s'arrondit au niveau des hanches". Mais elle saura toujours corriger le tir à temps pour être dans sa forme optimale en période de compétition. Elle arrive à Calgary, auréolée d'un sixième titre européen remporté à Prague, et après avoir annoncé sa retraite pour la fin de la saison. Trois ans plus tôt, Jutta Müller avait choisi pour elle un thème espagnol. Katarina est tombée amoureuse de ce style musical. Elle est fascinée par le Flamenco et la guitare. Elle prend des cours de ballet pour améliorer sa posture, et regarde en boucle le film "Carmen" de Carlos Saura. En privé, amoureuse, elle a découvert la passion. Elle se sent suffisamment femme et mûre pour endosser le costume de la célèbre cigarière. Son programme court très Broadway sur "Jerry's Girl", dans son fameux costume bleu, est vif et léger. Son Carmen sera dramatique et passionné. Facettes diverses, parfois contraires d'une même femme aux multiples talents. Les juges grincent des dents devant son costume de show girl. Ils ne sont pas les seuls. Ses concurrentes et leurs entraîneurs lui reprochent d'avoir opté pour un programme "de gala". Trop de plumes, trop décolleté, pas sérieux, trop provocant, trop ceci, pas assez cela. Katarina a simplement souhaité incarner un personnage fidèle à la réalité. Décidément cette patineuse n'est pas aussi "RDA" qu'on aimerait qu'elle le soit. Ce n'est tout de même pas une fille de l'Est qui va faire la loi ? 

 

© J. Delay - AFP
© J. Delay - AFP

Si ! Et il y a maintenant six ans que ça dure au niveau européen, record de Sonja Henie égalé, et quatre ans au niveau mondial (elle gagnera aussi les championnats du Monde de Budapest après les JO de Calgary). Restée chez elle au début des Jeux afin de se concentrer sur son entraînement, Katarina regarde la cérémonie d'ouverture à la télévision. Dès qu'elle débarque à Calgary, les journalistes la prennent en chasse et ne la quittent plus. La jeune femme croule sous les demandes d'interviews, d'apparitions télévisées, de séances photo. Impossible de répondre à tout le monde sans rogner sur ses entraînements, ce qui est hors de question. Son entourage finit par lui proposer d'organiser une conférence de presse. Phénomène inégalé dans l'histoire du patinage, il y aura 600 reporters réunis au Archie Boyce Pavillion pour la cribler de questions. Katarina est flattée, un peu décontenancée aussi. Ce qui intéresse les médias, c'est, outre le phénomène qu'elle est devenue, la fameuse "bataille des Carmen" qui se profile pour le programme long.

 

© Tony Duffy
© Tony Duffy

Debi Thomas est la première patineuse afro-américaine de l'histoire du patinage. Elle va également être la première athlète de couleur a remporter une médaille aux Jeux Olympiques d'hiver.  Elle poursuit ses études en parallèle, à la prestigieuse Université de Standford. Elle se destine à la chirurgie, son rêve  depuis l'enfance,  lorsqu'elle aura arrêté le patinage. C'est une jeune femme réputée sérieuse et travailleuse, qui a souffert du racisme de certains juges  dans ses premières années de compétition. Katarina Witt est tenante du titre olympique depuis Sarajevo. Elle est aussi flamboyante, combative, conquérante, séductrice,  que sa concurrente a l'air sage. La politique internationale ayant la mauvaise habitude de prendre le sport en otage, la rencontre des deux femmes représente aussi  l'opposition de deux systèmes. Ce n'est pas une première en soi, mais c'est la première fois que les media font un tel écho à cette opposition. Il est vrai que le contexte est particulier. Huit ans plus tôt, les USA, le Canada et l'Allemagne de l'Ouest ont boycotté les Jeux Olympiques d'été à  Moscou. L'URSS et la RDA leur rendent la politesse en ne participant pas aux J.O. de Los Angeles en 1984. Le mur de Berlin va tomber dans moins de deux ans. La bataille des Carmen est le dernier affrontement sportif opposant l'Est et l'Ouest. Comble d'ironie, pour son LP, Debi Thomas a choisi comme conseiller chorégraphique, un certain... Mikhaïl Barychnikov, ex-étoile du Bolchoï passé à l'Ouest en 1974. 

 

Pendant que les patineuses décrivent au ralenti les cercles précis des figures imposées, le principal sujet de conversation de la presse est... le justaucorps bleu électrique de "Kat". Qui, à sa propre surprise, se retrouve en seconde position après ce premier volet de la compétition, exercice qu'elle exècre.  Peter Dunfield, entraîneur de la Canadienne Elizabeth Manley qui espère monter sur le podium, tente de minimiser la performance de Katarina en faisant référence au désormais polémique costume bleu : "ici nous avons l'habitude de patineuses décemment vêtues, pas de jeunes filles en string". Les journalistes s'empressent de diffuser ses propos, auxquels viennent s'ajouter, d'autres encore moins gracieux. Katarina aurait choisi cette tenue "osée" afin de glaner quelques points supplémentaires auprès des juges car sept sur neuf sont des hommes !

 

 

© US Figure Skating
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Witt a le cuir solide, mais elle commence quand même à s'agacer. Pendant les six minutes d'échauffement qui précèdent le programme court, elle rate des sauts qu'elle pourrait pourtant réussir les yeux fermés. Puis sa musique démarre. Katarina dira plus tard : "J'avais un programme de music-hall, un costume de danseuse de music-hall, et à la fin, quand 19000 personnes m'ont applaudie j'étais une vraie showgirl." Les mauvaises langues sont  d'autant plus injustes que Debi Thomas portait ce jour-là... un très sexy justaucorps noir qui ne cachait rien de son corps parfait. Il semblerait que personne ne s'en soit offusqué. Elle bat Witt sur le score technique, mais l'Allemande prend la tête grâce aux notes artistiques. "Je ne pense pas que ce soit les plumes sur mon costume ou mon derrière qui m'aient valu huit fois 5.9" s'amuse Katarina,  qui a son franc-parler.

 

© AFP
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Vient le jour du programme long. Le choix musical aussi fortuit qu'identique a déjà fait couler beaucoup d'encre. "La pire chose pour Carmen, c'est de se retrouver en face de Carmen. Car personne n'aime Carmen autant qu'elle-même. Et il n'y a rien qu'elle déteste d'avantage que de retrouver une Carmen en quelqu'un d'autre", écrit un journaliste. Et voilà deux Carmen quasiment nez à nez. Peggy Flemming, championne Olympique à Grenoble en 1968, commente la rencontre pour la chaîne américaine ABC : "Tout dépend de qui saura le mieux tirer parti de ses points forts. Les qualités athlétiques pour Debi, la personnalité pour Katarina". L'interprétation des deux jeunes femmes est très différente. Witt campe une Carmen très proche du personnage de Bizet, coquette, tentatrice, pleine de passion, mais aussi de douleur et de tristesse. Thomas opte pour une version "américanisée", plus légère,  plus gaie et plus lisse. Pas aussi réservée que d'habitude, ni aussi gentille qu'elle en a l'air, elle annonce :"j'espère que le fait que Witt meure à la fin de son programme alors que Debi survit est un bon signe pour le résultat final". 

 

Avant que les deux "belligérantes" n'entrent sur la glace, il se produit une petite révolution et ce, dans l'avant-dernier groupe. La Japonaise Midori Ito reçoit une standing ovation après avoir exécuté 7 triples dont 5 différents, et 2 en combinaison, le tout avec une vitesse de patinage aussi phénoménale que l'amplitude et la hauteur de ses sauts. Pendant ce temps, Katarina Witt tourne en rond en coulisses et, pour tromper sa nervosité, multiplie les couches de maquillage. Encore plus que d'habitude. Plus tard, elle se moquera d'elle-même et de cet excès de fard en se revoyant en photo et en vidéo. Elle admettra avoir donné involontairement du grain à moudre à ceux qui la trouvaient voyante, excessive, théâtrale.

 

© picture-alliance - Norbert Schmi
© picture-alliance - Norbert Schmi

 

Katarina a toujours préféré patiner parmi les dernières, pour mieux mettre la pression sur ses adversaires. Pas de chance, à Calgary, elle passe avant Debi Thomas et Elizabeth Manley. Une fois son programme terminé, elle ne sera plus maître de son destin. Elle doit faire impression tout de suite. Il faut convaincre et séduire les juges, faire peur à ses adversaires, emporter le public avec elle pour que leurs applaudissements aient une chance de peser sur les notes. Les programmes des année 80 sont construits sur trois séquences,  avec un break, sorte de ralenti de 30 secondes au milieu, que Katarina met à profit pour flirter avec le jury, élément intégré à sa chorégraphie. Alors que tout allait bien jusque là, elle se sent soudain faible, les genoux en coton. Elle s'élance pour un triple boucle piqué qu'elle se sent incapable de réussir. Il devient double. Si toute la suite du programme sera parfaitement exécutée, ce tour manquant risque cependant de coûter cher. La pression était gigantesque, et Katarina peut s'enorgueillir de n'avoir commis qu'une seule erreur. Mais c'est une grosse erreur et la sanction pourrait être sévère.

 

Elizabeth Manley qui patine juste après l'Allemande, réussit le programme de sa vie, salué par un public en délire. Au tour de Debi Thomas. Katarina Witt reste dans un coin de la patinoire pour l'observer. On lui reprochera d'avoir voulu l'intimider. Comme à chaque fois qu'elle monte sur la glace, Thomas tape dans les mains de son coach. Aujourd'hui, sans doute par distraction, elle claque ses paumes à côté, dans le vide. Et, comme si ce détail avait compté comme un mauvais présage,  tout va très vite de travers. Elle manque sa première combinaison, se déconcentre, perd de sa combativité. Ses réceptions de sauts sont hésitantes, elle est stressée, maladroite. Witt rejoint les vestiaires. Elle sait qu'elle a gagné la désormais célèbre bataille des Carmen. Mais de quelle métal sera sa médaille ? Au-dessus d'elle, les tribunes sont secouées par une clameur et des applaudissements, véritable de tremblement de terre. Manley championne olympique devant son public, dans son pays ? Tout le monde s'est focalisé sur les deux Carmen et c'est une outsider qui va l'emporter ? 

 

En réalité, les acclamations viennent de saluer la médaille d'argent de la Canadienne. Katarina Witt a gagné sa seconde médaille d'or olympique. Mais les rumeurs et les polémiques continuent. Lors de la cérémonie de remise des médailles, la gagnante tend la main à Debi Thomas (qui n'emporte que le bronze) pour la serrer, et cette dernière l'ignore. Le public nord-américain gronde, personne ne s'attendait à ce que la jeune femme sérieuse et bien élevée se conduise ainsi. Witt va prendre sa défense devant les media, arguant que Debi était dans un état second causé par la déception, et que, pressée de fuir les regards du public, elle n'a pas vu la main tendue. Joli esprit sportif mais personne n'y croit. Thomas se fera pardonner son manque de sportivité en réalisant un numéro de gala inédit, parodiant une débutante délurée qui mâchonne son chewing-gum et ne tient pas debout. Jusque là, les femmes ne faisaient pas dans le comique, surtout après une défaite. La parodie aura un succès fou.

 

Katarina, elle aussi, réalise une première au gala, en patinant sur la chanson de Mickaël Jackson, "Bad", vêtue d'un blouson de cuir clouté de strass, d'un collant à résille, et d'un maillot noir façon brésilien ultra-échancré. Le public et la presse n'en reviennent pas ! Il paraît que Mickaël Jackson lui-même n'en est pas revenu non plus ! 

 

L'après Calgary

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