Interview parue sur le site Annecy-Infosports en mars 2012.
Propos recueillis par Kate Royan le 21 février 2012 ©
Après avoir fait connaissance avec Tiffany Zahorski et Alexis Miart aux Championnats de France en décembre, nous sommes allés à la rencontre de leur entraîneur, Romain Haguenauer.
Annecy-Infosports : Combien de couples de danseurs entraînez-vous en ce moment ?
Romain Haguenauer : Une douzaine, plus des patineurs solos en attente de partenaire.
AI : Il y a eu a Lyon les plus grands couples européens (à l’exception des Russes), et un grand couple canadien. A quand des Asiatiques ou des Américains ?
RH : Il y a déjà eu un couple de Japonais. Par contre, des Américains, non jamais. Ils ont tendance à rester chez eux. Nous avons eu des essais entre des garçons de chez nous et des Américaines mais elles ne souhaitent pas rester. L’Europe reste le Vieux Monde à leurs yeux. Et ils ont tout ce qu’il faut chez eux. Mais c’est essentiellement une question d’éloignement par rapport à leur foyer.
AI : Depuis quand n’êtes-vous pas allé aux Championnats du Monde sans un couple assuré d’être dans le top 10 ?
RH : C’est la deuxième fois, avec l’an passé. (cf avec Carron/Jones).
AI : Si vous redeveniez patineur demain, toutes contraintes de règlement mises à part, sur quel/le thème/musique aimeriez-vous danser ?
RH : Ah non, je ne redeviens pas patineur ! (rires)
AI : Allez, juste pour voir, « à supposer que » vous rechaussiez les patins en compétition…
RH : Ce n’est vraiment pas la bonne question ! Il y a maintenant quinze ans que je suis entraîneur et je n’ai jamais regretté d’avoir arrêté la compétition. Je ne peux vraiment pas me projeter dans une telle éventualité.
AI : Alors je pose la question à l’entraîneur, un thème dont vous rêveriez ?
RH : Il m’est tout aussi difficile de répondre car justement, en ce moment, je suis en pleine période de réflexion sur les musiques dela saison prochaine et c’est un vrai casse-tête. Je pense que l’on a déjà fait le tour de beaucoup de choses – quand je dis « on », c’est dans le patinage en général. Avec le nouveau système, nous sommes encore plus limités sur les choix qu’avant, pour mettre le programme, les éléments en valeur, et surtout pour être performant. Il est très difficile d’aller vers des choses « complexes » , c’est à dire qui demanderaient un gros travail de chorégraphie, d’appropriation de nouveaux mouvements, tout en restant performant.
AI : Le but de l’opération ça reste de marquer des points…
RH : Absolument. Ces dernières années, les couples qui ont tenté d’être plus novateurs avec des chorégraphies plus intriquées, je pense à Crone & Poirier par
exemple, n’ont pas été récompensés. Dans les enchaînements, le programme était d’une difficulté phénoménale, monté par Christopher Dean à sa manière, c’est-à-dire sans pause, sans aucune
prise d’élan facile et logique. Et ils ont perdu en qualité d’éléments. Quand on a de super patineurs, on peut à la rigueur tenter le pari, mais c’est risqué. Aujourd’hui même
les meilleurs ne prennent pas ce risque. Je ne dis pas que c’est facile. Au contraire, ce qu’ils font est très difficile, mais il n’y a pas de risque pris dans l’interprétation. Ce qui
coûte, physiquement, c’est l’interprétation. Je ne parle pas de l’expression, mais de l’interprétation de choses nouvelles, à travers une gestuelle nouvelle.
AI : La danse courte c’est un format qui vous plaît ?
RH : Non. Enfin, en tant qu’entraîneur, à travailler, oui. Cela reste intéressant parce qu’on travaille de manière très technique sur la partie danse imposée. Mais je trouve que, visuellement, ça ne rend rien, une vraie catastrophe !
AI : C’est un peu la formule abâtardie des deux anciennes épreuves ?
RH : Complètement. Si je me mets en situation de spectateur, c’est impossible à regarder. Les instances ont souhaité régler un litige entre l’ancienne génération qui reste aux commandes à l’ISU et qui ne voulait absolument pas lâcher la danse imposée – pas seulement elle d’ailleurs, c’était aussi le cas de nombreux entraîneurs et j’étais l’un d’eux – et le C.I.O qui imposait sa suppression. On a abouti à une solution de Normand. Ni oui, ni non. On garde la danse imposée mais pas vraiment. Et on massacre au passage une des épreuves phares : la danse originale. Au niveau du travail stricto sensu, les imposées sont toujours là, je dirais même que, dans la short dance, elles sont mieux patinées qu’avant, grâce à l’effet keys points, à la nécessité d’être très précis sur les carres. Ce que fait l’ensemble des couples est techniquement beaucoup plus juste qu’avant. Mais ce n’est pas ce qui fera évoluer le patinage. Ni ne le ferait régresser si la short dance était supprimée, car de toute façon, on travaille des schémas d’entraînement, de répétition, sous forme d’exercices qui correspondent à ce qu’était une danse imposée auparavant. Mais je serais pour la suppression, avis strictement personnel.
AI : La direction qu’a pris la danse sur glace en général ces dernières années vous convient-elle ? Sans dire « c’était mieux avant », mais…
RH : On a toujours l’impression que c’était mieux avant, c’est vrai. Je trouve que les programmes de l’ancien système étaient beaucoup plus spectaculaires, apportaient beaucoup plus en émotion car c’était le but ultime, le seul but en fait. Encore fallait-il que ce soit bien exécuté. Aujourd’hui l’objectif a complètement changé. Peut-être que la note technique est trop importante par rapport à la deuxième note. Si l’on pouvait se permettre d’être un peu moins bon sur les éléments… Enfin, si un couple excellent pouvait se permettre d’être un peu moins performant sur des éléments techniques, peut-être qu’ils privilégieraient l’artistique.
AI : Je pense que le spectateur lambda ne peut plus y trouver son compte, beaucoup des difficultés n’étant pas directement visibles par le profane…
RH : Complètement. Je ne vais pas parler pour le spectateur lambda, je suis trop impliqué professionnellement. Mais il est vrai qu’il n’y a plus de spectacle, à part avec un ou deux couples. Et encore, à mon avis, ils pourraient aller plus loin.
AI : A ceux qui prédisent la mort de la discipline à court terme, que répondez-vous ?
RH : Que je n’irai pas jusque là, du moins je l’espère, sinon je suis au chômage (rires). Je pourrai me reconvertir mais ce sera dur (nouveau rires). Non… Au niveau de la performance technique, ce qui est réalisé est formidable. Mais si on ne joue pas la nostalgie, on réalise qu’avant, il n’y avait rien ! Pour mes patineurs qui n’ont pas connu l’ancien système, les jeunes comme Zaorski et Miart, qui n’ont même pas connu cela à la télévision, quand il leur arrive de voir des vidéos des Duchesnay ou même d’Anissina & Peizerat, leur réflexe est de me dire : « mais ils ne font rien ! « . Ce qui, avec le regard d’aujourd’hui, est vrai ! Avec le regard d’aujourd’hui seulement, bien sûr… Il existait à l’époque une autre difficulté d’attitude, de recherche, de danse, d’enchaînement, de transitions de pas, on essayait de créer à chaque instant. Aujourd’hui les programmes sont techniquement riches, trop riches, et on n’a pas la place de chercher à créer à chaque instant. On ne peut mettre que deux ou trois images au milieu d’une foule d’éléments.
AI : Quel est le couple de danseur qui vous a le plus séduit ces dernières années ?
RH : (hésite…) Difficile de répondre. Mes couples ont été longtemps en concurrence directe avec les meilleurs de ces dernières années, je n’avais donc pas un regard 100% objectif sur eux. Mais je ne peux pas dire que j’ai été estomaqué par un couple qui resterait vraiment en mémoire. Encore une fois, je n’ai plus le regard de quelqu’un qui « profite » du spectacle, je suis trop dedans. Mais je reconnais que les couples Virtue/Moir et Davis/White sont fantastiques. Techniquement, ce qu’ils parviennent à faire est incroyable… OK, c’est un style nord-américain, on aime ou on n’aime pas. De plus, ce sont des Nord-Américains entraînés par des Russes, il ne faut donc pas attendre une approche qui serait contemporaine, novatrice…
AI : C’est d’ailleurs un mélange curieux, les Nord-Américains sont généralement pudiques au niveau de l’expression alors que les Russes sont dans le théâtre…
RH : Oui mais les Russes, c’est le registre classique, la tragédie…
AI : Quand vous étiez vous-même patineur avec votre sœur Marianne, qui étaient vos héros ?
RH : (Réponse instantanée) Les Duchesnay ! Quand nous avons commencé à patiner en compétition, c’était la grande époque des Duchesnay. Je n’ai connu Torvill/Dean qu’en vidéo.
AI : Torvill/Dean c’était en 84…
RH : Et Marianne et moi avons commencé les compétitions en 1986/87. Avant de patiner avec Marianne, j’ai eu une autre partenaire pendant deux ans et ses parents avaient vécu au Canada. Ils étaient très au fait du patinage canadien. Quand les Duchesnay sont arrivés à leurs premiers championnats de France en 1985, ici à Lyon, les parents de ma partenaire les connaissaient pour les avoir vus à la télévision au Canada. Dès le début de ma carrière, j’ai entendu parler d’eux en termes très flatteurs, ils étaient fantastiques, géniaux. Alors qu’à l’époque ils ne l’étaient sans doute pas encore, c’était leurs débuts, ils étaient 15èmes mondiaux. Mais ils étaient tellement différents. Pour l’anecdote, les parents de ma partenaire ont fait des pieds et des mains pour que ce soit nous qui leur offrions leur les fleurs sur le podium. C’est donc moi qui ai donné ses fleurs à Isabelle. Je le lui ai rappelé il y a quelques années, je ne sais pas si elle a bien apprécié, ça lui a donné un coup de vieux (rires)… Donc voilà comment ça a commencé. Et c’est vrai qu’ils étaient formidables. Je regarde beaucoup d’anciennes vidéos et je regarde encore très fréquemment les Duchesnay.
AI : C’était en effet quelque chose de grand dans la danse sur glace. Torvill/Dean avaient déjà commencé à secouer le cocotier, mais les Duchesnay ont été une révolution…
RH : Ah oui complètement, une vraie révolution. Torvill/Dean c’était déjà bien, mais les Duchesnay c’était encore autre chose. C’est vrai il y avait Dean derrière eux mais… Torvill/Dean, je connais quand même, j’ai tout regardé en vidéo, même leurs concurrents. Ce qu’ils faisaient était très progressiste, mais pas révolutionnaire. Les Duchesnay ont balayé tous les carcans. Torvill/Dean étaient anglais, ils avaient ce côté épuré et très classe alors que les Duchesnay… Attention je ne dis pas qu’ils étaient vulgaires, s’ils n’avaient pas cette classe, ils avaient autre chose et quelque chose de très fort. Ce sont les Duchesnay qui m’ont fait aimer, adorer la danse sur glace.
AI : Vous auriez pu patiner dans une autre discipline ?
RH : J’ai fait un peu d’artistique. Je pense que… (il s’interrompt et rit), cela m’aurait plu.
AI : Vous aviez la carrure qui convient…
RH : Peut-être et en plus, comme je me disputais avec ma sœur, j’aurais peut-être été mieux tout seul (il éclate de rire) ! Non, je plaisante bien sûr… Mais j’aurais sans doute été correct parce que j’avais de bonnes qualités de rotation, quand on faisait des tests, je tournais très très vite. C’est purement anecdotique !
AI : Quand des individuels viennent en stage chez vous, ça se passe comment ?
RH : Toujours très bien (rires). L’été dernier nous avons eu Daisuke Takahashi. Un phénomène ! Il a un talent exceptionnel. Il n’avait jamais fait de danse au sol et nous l’avons fait participer à des ateliers ballet, hip-hop. On aurait dit qu’il avait fait ça toute sa vie. Il a un sens de la musique inné, et c’est un travailleur acharné. L’avoir ici a été un moment exceptionnel.
AI : On dit souvent des danseuses sur glace que ce sont des « divas ». Faut-il être plus théâtral, plus comédien que dans les autres disciplines pour réussir ?
RH : C’est une réflexion que je me suis faite : avec le nouveau système, il y a de moins en moins de divas ! Tessa, ou Meryl ne sont pas du tout des divas. Lorsqu’on les croise en compétition, elles sont toutes simples, toutes mignonnes. Alors que les Barbara Fusar-Poli, Marina Anissina, Natalia Bestemianova, ne passaient pas inaperçues. Ca ne se fait plus. A part peut-être Ilynikh, elle dégage quelque chose de spécial, elle est magnifique… Mais elle est encore très jeune. Je pense que c’est le nouveau système qui a fait disparaître les divas. Une diva, c’est une fille qui pète un câble, qui part en live, qui pleure, qui crie. Aujourd’hui, avec le nouveau CoP, il faut être régulier, précis, réglé comme une horloge, (il dessine un carré avec les mains) tac tac les séquences de pas, les twizzles, il faut être cartésien. A l’entraînement il n’y a aucune part de feeling. C’est de la répétition jusqu’à ce que tout passe à 100%. Ce genre de travail n’attire pas des gens au caractère explosif. Les prises de bec à la Marina et Gwendal ou Fusar-Poli et Margaglio, ce ne serait plus possible. Avant, on pouvait disjoncter à l’entraînement ou dans les couloirs, puis arriver en compétition et tout allait pour le mieux car qu’il n’y avait pas cette exigence de précision technique, cette concentration absolue et obligatoire qui tue le feeling. C’est peut-être un raccourci, mon analyse vaut ce qu‘elle vaut, mais ce sont les exigences du sport qui ont changé et qui font que ceux qui vont réussir aujourd’hui sont des gens carrés, calmes, cartésiens. Exemple : les Shibutanis. Pas un cheveu de travers. Je les ai vus s’entraîner aux Etats-Unis quand ils étaient très jeunes : jamais un mot plus haut que l’autre. Quelque part ça aide à la performance.
AI : En tant qu’entraîneur ça vous manque, les divas ?
RH : Oh non ! Nous n’acceptons – je parle de Muriel et moi – plus du tout ce qu’on a pu voir par le passé. Quand il y a un écart, et c’est normal qu’il y en ait, les patineurs ont besoin d’évacuer la pression, nous sommes maintenant extrêmement intransigeants.
AI : En écoutant certains de vos confrères, toutes disciplines confondues, on a parfois l’impression qu’ils craignent que leurs élèves les quittent au premier conflit, au premier mauvais résultat.
RH : Malheureusement on ne peut jamais éviter que les gens partent. C’est une règle immuable. On aura beau tout faire, et j’ai connu de tout, en France et ailleurs, des contrats écrits, l’affectif à mort ce qui est très mauvais, etc., on ne pourra jamais retenir quelqu’un qui n’est pas content. La porte est ouverte, et dans les deux sens.
AI : C’est difficile à vivre ?
RH : Il est toujours très difficile de perdre des patineurs pour lesquels vous vous êtes investi à 200% , que vous avez fait évoluer, que vous avez vu grandir. Des liens affectifs se créent forcément et les « divorces » sont toujours douloureux. Il est extrêmement rare de mener un patineur de ses premiers pas sur la glace jusqu’au très haut niveau international, car le staff d’entraînement ainsi que la structure doivent pouvoir évoluer en fonction des besoins croissants de ce patineur. Du fait de son histoire et de ses brillants résultats passés (notamment avec Anissina/Peizerat), le Pôle de Lyon bénéficie aujourd’hui de conditions quasi-optimum pour un travail de très haut niveau. Tout cela attire forcément des patineurs déjà formés et très bons, mais également d’autres de niveau beaucoup plus modeste que l’on tâche de faire évoluer. Ça a été le cas, pour ne citer que les plus connus, pour Nathalie Péchalat, Fabian Bourzat, Pernelle Carron, et plus récemment Zahorski/Miart et Elizabeth/Legac, tous arrivés très jeunes. Faire éclore un potentiel, tirer le meilleur de chacun est un travail extrêmement difficile et spécifique, reposant sur une vision, une stratégie également, et qui dépasse peut-être le simple fait d’apprendre à bien patiner ! C’est ça le haut niveau en danse sur glace. Cette compétence, difficile à acquérir et à conserver au fil du temps et des couples qui passent, est rare. Tous les entraîneurs de patinage ne l’ont pas, pour de multiples raisons d’ailleurs : manque d’expérience personnelle, manque de conditions dans leur club… ? Mais le haut-niveau ne doit pas, à mon avis, être forcément une fin en soit pour tous ! Il est aussi très difficile et très gratifiant de former aux rudiments du patinage et de la danse sur glace. Le patinage français en général a besoin de bons clubs formateurs comme on peut en trouver en Russie ou en Amérique du Nord car nous sommes, je pense, en perte de vitesse par rapport à ces grandes nations.
AI : Le problème vient de la détection telle qu’elle est faite ?
RH : En France, un vrai système de détection complète est difficile à mettre en place, compte-tenu de nos conditions d’existence, de nos infrastructures. Le patinage en France n’est pas un sport de masse. La vraie détection serait peut-être de prendre des enfants qui ne font pas encore de compétition, de les observer, de repérer, puis de se dire OK, on aide dans la structure, on donne de vrais moyens. Des actions intéressantes sont menées par la FFSG (Plan national de détection de ligue), on détecte mais actuellement, il manque de moyens afin d’aider, de suivre et donc de former plus.
AI : C’est une question de moyens financiers ?
RH : Essentiellement, je pense. Le monde sportif, dépendant des subventions de l’Etat, est par conséquent en crise.
AI : En quoi consiste votre rôle de cadre technique et de responsable du pôle de Lyon ?
RH : Il y a la part entraînement bien sûr, ainsi que toute la gestion en lien avec la DRJS, (direction régionale de la Jeunesse et des Sports), le suivi socioprofessionnel des athlètes, le suivi de leurs études en lien avec la fédération. Voilà en ce qui concerne le pôle. J’ai aussi d’autres missions à la fédération. Par exemple, je vais m’occuper à Nice de la formation des entraîneurs avant le championnat du Monde, je fais de la formation d’entraîneurs pour les diplômés d’état et de la détection pour la ligue dans laquelle je travaille (Rhône-Alpes).
AI : Concernant Tiffany Zahorski et Alexis Miart, leur élimination des qualifications de l’Euro a-t-elle été un handicap ?
RH : Un handicap, non. Mais c’est dommage. Nous avons pris la décision de les faire passer seniors, pari qu’ils pouvaient relever sans problème. Alexis a été blessé et toute leur préparation en a été décalée. Ce couple est extrêmement talentueux, mais ils n’ont effectué qu’une saison et demie ensemble, ils avaient besoin de compétition. Ils étaient parfaitement prêts, très affûtés, nous avions énormément travaillé après les championnats de France, en particulier pendant les vacances de Noël. Vous les avez vus au Trophée de Lyon (janvier 2012), où ils ont très bien patiné. Il n’y avait aucun déchet à l’entraînement, ils étaient réglés comme des horloges. Or, à Sheffield, l’horloge s’est déréglée. Ils ont commis des erreurs. Ils vont apprendre, c’est une question d’expérience. Nous en avons discuté plus tard. Une qualification, c’est difficile à gérer, d’autant plus qu’ils partaient favoris, ils devaient gagner. Je pense qu’ils se sont projetés trop vite dans la suite. Ce sont des compétiteurs qui s’engagent toujours à fond…
AI : Ils ont en effet l’air extrêmement volontaires.
RH : Ils le sont. Ils ont voulu tout donner, et en fait ils ont trop donné. Sur le premier porté notamment, il y est allé plus fort que d’habitude, elle aussi pour compenser, et ils n’ont pas pu se rattraper. C’est vraiment une question de métier. La situation était grave mais pas désespérée, avec de l’expérience, ils auraient pu s’en tirer, se dire « on vient de commettre une grosse erreur, mais maintenant on fait attention jusqu’au bout ». Il n’y a pas d’explication carrée et immuable, c’est l’ enchaînement de plusieurs choses. L’entraînement et la forme étaient là, la volonté aussi, le talent ils l’ont. Mais l’inexpérience et le manque de compétitions cette année les ont desservis. J’ai fait le calcul, et en gros, tous les couples ont raté au moins une compétition depuis le début de saison. Le stress est de plus en plus difficile à gérer en raison de tous ces éléments requis. J’avais inscrit Tiffany et Alexis au Trophée Mont Blanc, bien avant les championnats d’Europe pour leur permettre d’accumuler des points, et ils perdent maintenant le bénéfice de cette compétition.
AI : Annulée pour raisons financières, je crois ?
RH : Oui. Mais Tiffany et Alexis sont encore très jeunes. Tiffany passe son bac cette année. Elle est arrivée en France il y a cinq ans, et est immédiatement entrée dans le cursus scolaire français alors qu’elle ne maîtrisait pas encore notre langue. Ca a été un peu difficile pour elle. En ce moment, elle est logiquement à fond dans ses études, mais bien sûr, elle s’entraîne quand même. Elle aura l’esprit plus libre une fois l’examen passé. Mais tous deux sont des patineurs déjà mature dans leur tête malgré leur jeune âge, et très positifs. Nous avons été obligés de bien cadrer les choses au début avec Alexis, car s’il avait de l’ambition, il était aussi un peu tête en l’air. Mais ils ont déjà un vrai charisme. Et nous voulons leur conserver leur fraîcheur.
Alexandre Navarro, le compagnon de Romain, nous rejoint pour discuter du livre qu’ils ont co-écrit : Le P’tit ABC du Patinage, paru aux éditions Fleur de Ville.
Annecy-Infosports : Il n’existait aucun ouvrage sur le patinage en France hors biographies de patineurs ou ouvrages photo. Comment s’est passé sa réalisation, qui a fait quoi ?
Romain Hagenauer : J’ai tout fait ! (éclat de rire général)
Alexandre Navarro : Non , tout est venu du tennis. Je suis issu de ce milieu par mes parents qui s’occupaient du Tennis Club de Lyon, notamment ma maman, qui était coach. Un jour elle m’a appelé pour me dire qu’une maison d’édition venait de sortir le P’tit ABC du tennis.
AI : J’ai vu qu’il s’agissait de toute une collection en fait.
AN : Exact. Lorsqu’ils nous ont contactés, il n’y avait que trois livres de sortis : le tennis, le rugby et le judo. Je connaissais l’auteur de l’opus sur le tennis, qui m’a conseillé d’appeler la maison d’édition. Pour ses P’tits ABCs, l’éditeur visait des sports relativement peu connus du grand public, exception faite du tennis. Ils ont d’ailleurs sorti un P’tit ABC du Foot qui n’a pas marché en raison du trop grand nombre d’ouvrages déjà disponibles sur le sujet. Ils sont en train de se recentrer sur des sports plus spécifiques comme l’escalade, l’aviron, le tir à l’arc, pas forcément mis en lumière dans les bibliothèques. Fleur de Ville a été très intéressés par notre projet car ils ont constaté qu’il n’y avait rien du tout sur le patinage hormis quelques biographies et albums de photos comme tu viens de le dire.
RH : C’est vrai qu’il n’y avait absolument rien…
AN : Nous trouvions intéressant de faire autre chose qu’un livre de cours, pédagogique, complexe, nous voulions quelque chose qui soit ouvert au grand public. A la base, le projet était plutôt destiné aux enfants de 7 à 12 ans. Mais nous avons pensé aussi aux parents, à un livre qui permettait d’expliquer le patinage de manière très simple, à une vulgarisation du langage qui permettrait, lorsqu’on regarde un programme, de savoir ce qu’est un élément, une séquence de pas, une pirouette, un flip, un lutz. Le but était que le patinage devienne plus qu’un simple spectacle, que les gens comprennent que dans ce spectacle, figurent des éléments techniques importants. Nous avons conservé un langage propre à la maison d’édition, nous avons dû nous baser sur ce qui avait déjà été écrit, pour expliquer comme on le ferait à un enfant mais sans non plus tomber dans le langage bébé…
RH : Je me suis logiquement occupé de qu’il y avait d’un peu plus technique et je ne voulais pas dire simplement : »l’axel, c’est le saut qui part vers l’avant », ce qui n’apprend rien à personne. Je suis un professionnel dans ce domaine, je voulais être précis. Vous-même vous l’avez lu ?
AI : Bien sûr ! Je l’ai acheté à sa sortie.
AN : Nous avions une charte à respecter, il nous fallait définir une centaine de mots. Je crois que nous étions les premiers pour qui ils ont utilisé un papier un peu plus glacé et un format un peu plus important.
AI : Les dessins sont très réussis !
RH : La dessinatrice, Marie-Pierre Oddoux, est formidable. Nous avons choisi nos mots, écrit nos définitions, mais elle, ne connaissait pas le patinage. Pour chaque définition, nous avons trouvé des photos sur Internet, par exemple, trois Bielmann, les premières qui apparaissaient…
AN : Puis elle a choisi celle qui lui plaisait le plus pour s’en inspirer comme modèle. Elle nous a ensuite envoyé ses dessins pour que nous validions leurs correspondance aux définitions. Pour ce qui est du choix des mots, nous avons crée un tableau Excel, puis nous avons fait un brainstorming tous les deux, et noté tous les mots qui nous venaient à l’esprit.
AI : Il y a beaucoup de termes, comme avez-vous fait pour trier ? Car le résultat est assez complet.
RH : Je ne dis pas qu’on a eu du mal à les trouver, mais il a fallu chercher quand même…
AN : Il a fallu, oui. Nous avions des restrictions de mise en page, par exemple il fallait un minimum de trois mots pour une lettre, et que cela tienne sur une seule page avec un dessin. C’est ainsi que le couple Anissina/Peizerat est devenu Peizerat/Anissina. Plus de place à A, pas assez de mots à P et nous ne pouvions pas laisser des champions olympiques de côté ! Pour la méthode, on a vraiment divisé le travail en deux. Romain s’est attaché aux termes techniques et moi à tout ce qui était musique, tunique, synchronisation, compétition, championnat du monde et tout ce qui était aussi biographie.
RH : Et nous nous relisions mutuellement, nous nous corrigions…
AN : Pour se voir si nous restions dans le même esprit.
AI : Je me suis un peu documentée, et savez-vous qu’en fait, pas mal d’adultes on lu le P‘tit ABC du patinage ? Dans mon entourage, des adultes, et même des seniors, qui regardent régulièrement le patinage à la télévision, ont été ravis qu’on leur explique enfin ce qu’était quoi. Personne ne l’avait jamais fait de façon claire avant. Ils entendaient parler de lutz, de salchow, de boucles, sans parvenir à faire de différence.
RH : Voilà qui me fait plaisir car les sauts ont été mon grand problème, c’est très difficile à expliquer de manière synthétique.
AN : Plutôt que de décortiquer en termes professionnels style « carre dehors, carre dedans », nous avons voulu que le lecteur s’imagine sur les patins, partant vers l’arrière sur la gauche etc…
RH : J’ai trouvé ce moyen parce qu’il était descriptif et éloquent.
AI : C’est en effet très clair et très pédagogique, je vous félicite car j’ai trouvé cela extrêmement bien fait. Tout le monde m’avait dit que c’était un petit livre génial mais plutôt pour les enfants. Et après lecture, l’adulte vous dit bravo.
RH : Notre maison d’édition est une petite structure, nous nous sommes donc aussi beaucoup bougés pour le faire connaître. On le trouve aujourd’hui dans de grands réseaux comme la Fnac. Mais au départ, ce livre était surtout destiné aux clubs de patinage, aux parents et enfants.
AN : Notre chance, par rapport aux autres auteurs des P’tit ABC, c’est que le patinage est un petit univers, et que Romain est bien implanté dans son milieu, il connaît beaucoup de monde. Ceci a permis au livre d’être présenté à la télévision par Nelson Montfort (NDLR : et Philippe Candeloro qui en a écrit la postface). Ce livre a aussi été pour Romain et moi l’occasion de travailler ensemble, d’avoir un projet commun, puisque d’habitude nous évoluons dans des domaines différents.
RH : Alexandre connaît néanmoins très bien le patinage, il s’intéresse beaucoup à mon sport. De toute façon je n’aurais pas eu le temps de réaliser ce projet tout seul.
AI : En tout cas bravo à vous deux pour la réalisation de ce super petit bouquin.