Revue d'effectif, revue de détail, les Masters sont, tous les ans, l'occasion de découvrir les nouveaux programmes des patineurs français sur leur propre territoire. L'édition de cette année, restera marquée par l'excellent niveau de forme des participants. En ce début de saison pré-olympique, ils sont entraînés, affûtés, en un mot : prêts. Certains juniors ont déjà quelques Grand Prix dans les patins, pour les autres, c'est la première compétition de la saison.
Commençons par Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron. La révélation de leurs nouveaux programmes était attendue à l'échelle internationale. Leur Short Dance est un pur régal. En première partie, Gabriella entraîne Guillaume dans un Blues tout en finesse et en douceur. Puis c'est Guillaume qui invite sa partenaire dans un Swing pétillant. Registre enjoué qu'on ne leur connaissait pas encore. Ils ont le sourire, ils s'amusent et le public avec eux. La Danse Libre est, à son tour, une belle surprise. Une entame non-mélodique qui fait la part belle à leur gestuelle ciselée et à leur talent d'interprétation. Piano et ruptures de rythme, il fallait oser, ils ne se sont pas gênés ! La difficulté est partout pour l'oeil du connaisseur, dans les proximité des patins des deux partenaires, dans l'aboutissement de chaque geste, dans les changements de tempo, sensibles jusque dans les twizzles. Et pourtant, tout glisse, tout coule, tout est si naturel. La seconde partie du programme est plus fidèle à leurs créations passées, mais tout aussi prenante. Le public est, encore une fois, sous le charme. Les juges français sont conquis aussi. Qu'en sera-t'il des juges internationaux ? Début de réponse à Paris, le 11 novembre, lors de la Danse Courte du Trophée de France.
Derrière eux, Marie-Jade Lauriault et Romain Le Gac - qu'on retrouvera également au Trophée de France en compagnie de Lorenza Alessandrini et Pierre Souquet - réussissent parfaitement leur transition en catégorie senior. Seul bémol : une chute surprenante de Marie-Jade dans la danse courte, et un déséquilibre dans les twizzles de la danse libre ("Sorry seems to be the Hardest Word"), mais ils sont extrêmement rapides et leurs carres sont toujours aussi profondes et incroyablement silencieuses.
Dix couples juniors en danse, contre cinq seniors, l'avenir est assuré chez les plus jeunes. Angélique Abachkina et Louis Thauron confirment leurs bons résultats en Grand Prix - 1ers à St Gervais, 3èmes à Yokohama, qualification pour la Finale à Marseille-. Ils relèguent Natacha Lagouge et Corentin Rahier à près de 20 points mais les Lyonnais n'ont pas démérité. Ils ont la classe et l'élégance de futurs grands danseurs et leur choix musical éclectique ("Queen of Pain/Devil Doll" et "Goodbye Lenin") promet de futur programmes originaux et passionnants. Leur score au classement général (131.16) les place à 2.45 points des troisièmes seniors Lorenza Alessandrini et Pierre Souquet. Dans un style plus romantique et grand siècle, ces derniers se sont assurés du podium, ce qui devrait les mettre en confiance pour le Trophée de France.
Dans une interview réalisée par S.I.G. en août, Laurine Lecavelier disait vouloir gagner les Masters. C'est fait ! Et avec la manière. Techniquement fiable sur tout ses sauts (à l'exception d'une combinaison), très fluide, très gracieuse, elle reprend confiance sous la houlette de Katia Gentelet à Nice, après une saison 2015/2016 difficile.
A noter que "l'écurie Gentelet" est une affaire qui marche ! Les poulains de Katia, qu'ils soient juniors ou seniors, ont tous présenté des programmes originaux qui collent à leurs personnalités respectives, servis par des chorégraphies étudiées. Du travail d'orfèvre pour des jeunes gens talentueux. La réussite n'était pas au rendez-vous pour tous, mais l'école niçoise compte désormais comme un vivier important du patinage français.
Avec seulement trois participantes, Laurine, Maé, et Léa (Serna), la catégorie senior dames est tristement dépeuplée. Heureusement, les demoiselles juniors sont là en force et elles ont de la ressource. Mentions spéciales à Julie Froetscher pour sa technique et sa combativité, à la toute douce Elodie Eudine pour sa classe, et à Nadjma Mahmoud pour son éclatante vitalité. Pauline Wanner, prometteuse les années précédentes, semble, à contrario, avoir du mal à confirmer. De même, Alizée Crozet, dont les capacités de glisse pure sont spectaculaires, et dont on attend beaucoup depuis plusieurs saisons, commet encore trop d'erreurs pour être qualifiée de valeur sûre, malgré sa seconde place. Nul doute qu'elle va s'attacher à rapidement s'améliorer.
Au chapitre des disciplines en voie de désertification, parlons des couples. C'est sans doute la discipline la plus dure et la plus ingrate du patinage, ceci explique peut-être cela. Le phénomène n'est pas typiquement français, mais bel et bien international et depuis longtemps, toutes les épreuves de "pair skating" étant celles qui comptent le moins de concurrents. A Villard de Lans, seuls Camille Mendoza et Pavel Kovalev étaient présents. Ils ont paru plus stressés qu'avantagés par cette étrange exclusivité. Aucune raison officielle n'a été donnée à l'absence des deux autres couples seniors existants, Lola Esbrat/Andreï Novoselov (blessés ?) et Vanessa James/Morgan Ciprès (retenus Outre-Atlantique où ils s'entraînent ?). Il n'y a, à ma connaissance, pas de couple junior suffisamment prêt pour la compétition.
Il fut un temps où, emmenés par des locomotives comme Candeloro ou Joubert, ou encore Amodio, les seniors messieurs "cassaient la baraque". Aujourd'hui un nombre de juniors supérieur au nombre des seniors est un vrai pari sur l'avenir. Chafik Besseghier a-t-il les épaules assez larges pour tirer tout le monde vers le haut ? Peut-être. On lui en demande beaucoup, ce qui est logique il est "l'ancien". Et lui, combien est-il prêt à donner ? Rien à lui reprocher à Villard, il a fait son travail. Physiquement bien rôdé, mentalement costaud, il nous a offert deux très jolis programmes. Et surtout, il a fait preuve de combativité et de sang-froid en plaçant une combinaison triple boucle piquée/triple boucle piquée immédiatement après avoir transformé son quadruple de départ en triple. Ce qui vaudra à son triple Salchow, en seconde partie de programme, d'être invalidé car "en trop". Mais ce réflexe était le bon et il témoigne d'une maturité dorénavant bien acquise. Chafik a du métier, et également des ambitions, il le montre, il faudra compter avec lui cette saison.
On invite Philippe Warren à venir grossir les rangs des seniors et que fait-il ? Il se classe deuxième ! Et avec quel panache ! Ce garçon a les sauts explosifs d'un Joubert, c'est une véritable bombe, et la glisse sûre et élégante d'un Browning, c'est un oiseau. Il se dit qu'il souhaiterais patiner pour la France. On l'accueillera à bras ouverts !
Je ne reviendrai pas sur le cas Aymoz, à des années lumières de son véritable niveau, et qui termine en queue de peloton. Je lui souhaite simplement de trouver de toute urgence une solution. Très impressionnée par Simon Hocquaux l'an dernier aux Elite d'Epinal, je l'ai trouvé un peu moins en verve à Villard de Lans. L'élève de Karine Arribert a pourtant deux excellents programmes mais il a commis quelques erreurs de trop. Ceci n'enlève rien à son talent, ni à son patinage toute en élégance et finesse.
Côté juniors, on serre les rangs, à onze contre quatre "grands". On attend Maxence Collet, Luc Economidès ou Adam Siao Him Fa. Et on ne se trompe que pour le premier, passé complètement à côté de son libre. Il termine septième et c'est Landry Le May qui remporte ce qui aura sans doute été la compétition la plus disputée de ces Masters, avec les juniors danse et dames. Le potentiel est là. A ces jeunes messieurs et à leur entourage sportif d'en tirer parti au maximum.
K.Royan
10/10/2016