Tout en douceur...
Difficile de rivaliser avec l'intensité du programme court Messieurs... Pourtant le suspens est là aussi, entier. Sui/Han n'ont que peu d'avance sur leurs poursuivants et rien n'est joué. Leur programme long est à peine moins ciselé que le court. Rarement ai-je vu des lignes aussi pures. Sobres mais captivants. La musique, "Bridge Over Trouble Water" de Paul Simon, est douce-amère, l'interprétation est émouvante. La vitesse d'exécution est à l'image du silence de leurs carres : magique. La performance n'est pas 100% propre puisque la demoiselle chute assez lourdement sur le triple Salchow parallèle. La séquence chorégraphique est de niveau 1, mais les 4 fleurissent partout ailleurs. Coup de coeur pour leur dernier porté, d'une grande difficulté, et exécuté comme dans un charme. Et pour leur phénoménal quadruple twist. Je ne ferai qu'un reproche à Mademoiselle Sui : la couleur de sa robe est un brin violente pour un thème aussi épuré. Mais c'est vraiment chercher la petite bête... Ils remportent le libre de très peu devant Savchenko/Massot et empochent une médaille d'or méritée avec un total de 232.06 points. Leur joie, dans le Kiss & Cry et plus tard en conférence de presse, est communicative. Petit moment d'humour sur le podium : Bruno Massot et Vladimir Morozov prennent chacun Cong Han sous le bras pour le hisser à leur hauteur ! Le Chinois est en effet tout petit comparé à ses deux robustes concurrents. Quel effet cela fait-il d'être soulevé ainsi par deux hommes qu'on vient de battre ?!
Le choix est très aléatoire, mais ma préférence va tout de même aux Allemands, malgré les petites erreurs qui vont émailler un libre envoûtant. Je parle de goût personnel, pas de classement... La musique d'abord ("Lighthouse" de P. Watson) : douce, presque tendre, avec des accents de joie et de mélancolie. Un phare dans les bois, dans la nuit. Le thème, inchangé du début à la fin, donne une homogénéité particulière à l'ensemble. Que de délicatesse. Et quelle glisse, quelle facilité technique ! Pourtant, ils reviennent tous les deux de blessure, lui au dos, elle à la cheville, ce qui a tronqué leur préparation. Quelques points s'envolent avec le triple Axel lancé, Aliona touchant des deux pieds à la réception, mais c'est... un triple Axel lancé ! Incroyable de difficulté. Même chose sur le triple Salchow, tant pis, on ne va pas bouder notre plaisir. L'unité entre les deux partenaires est remarquable, tout comme leur complémentarité. Bruno est au service de sa camarade, mais il ne se fait pas non plus oublier. Il est sans doute aujourd'hui le porteur le plus solide du circuit et l'un des patineurs de couple les plus naturels, on le dirait né les lames aux pieds. Si les Chinois dégagent une grande émotion, Savchenko/Massot sont les spécialistes ultimes du frisson, cette chose incontrôlable qui part de l'intérieur, fait son chemin jusqu'à votre peau, à votre tête, à votre coeur. Ce libre, comme d'autres programmes cette année (je pense aux courts de Hanyu et Fernandez), aurait mérité d'être un programme olympique. Mais je les sens capables de faire encore mieux pour l'occasion ! Ils sont seconds de ce libre et médaille d'argent avec 230.30 points.
Non seulement Tarasova/Morozov sont des patineurs peu expressifs mais le thème de leur libre cette année est une totale erreur de casting. Scie de la fin des années soixante-dix, romantique à l'époque et aujourd'hui totalement datée, "Music" de John Miles, produite par le célébrissime Alan Parson's Project, mériterait quand même un peu plus d'enthousiasme et d'originalité. Bien sûr, à ce niveau de technicité, il est délicat d'être aussi de bons interprètes. Mais d'autres y parviennent... Un problème de costume leur vaut 1 point de déduction et leur porté Axel lasso tombe au niveau 1. Ils ne sont que 4èmes du libre, derrière Stolbova/Klimov, très soutenus par le jury. Ils remportent néanmoins 219.03 pts et une médaille de bronze qui doit leur être amère puisqu'ils espéraient l'or.
Le libre de leurs compatriotes Stolbova/Klimov est, une fois de plus, la preuve que tous les juges ne voient pas la même chose. Les notes de leur triple twist vont de +2 à -1, soit quasiment l'amplitude maximum entre les points. Je ne sais qui a raison ou tort, mais le principe est curieux. Il s'accorderont heureusement sans problème sur les GOE négatifs de la combinaison triple boucle piqué/triple boucle piqué/simple boucle piqué, et du triple Salchow parallèle. Ce programme est joli sans être prenant, techniquement difficile sans être très réussi, bref, on attend beaucoup mieux d'un couple de ce talent. Ils se classent 3èmes du libre, ce qui est un progrès énorme par rapport au court totalement loupé, et terminent 5èmes avec 206.72 pts. Compagnons d'amertume de leurs compatriotes Tarasova/Morozov, eux aussi avaient d'autres objectifs...
Il va beaucoup nous manquer le fantastique libre de Vanessa James et Morgan Ciprès sur "The Sound of Silence" de Disturbed, arrangé par Maxime Rodriguez... A la douceur chez eux, s'ajoutent la puissance et une incroyable intensité. Paradoxal, mais pas contradictoire. Et j'aime la prise de risque, les tripes qu'il faut avoir et maîtriser pour oser. Leur tentative de quadruple Salchow échoue, mais le jour où il passera aussi régulièrement qu'aux entraînements, ils seront les maîtres du monde. Ou presque ! Car ils ont tout le reste : le talent, une solidité mentale toute fraîche, une technique fiable et du culot. Tout ce qu'il faut pour un jour tout gagner. Partis de la 10ème place du court après une chute inhabituelle sur le triple twist, ils effectuent une jolie remontée à la 6ème du libre, pour finir 8èmes du classement général avec 204.68 points.
Eric étant blessé à l'épaule, ces championnats seront à oublier rapidement pour Duhamel/Radford. Tentative de quadruple Salchow lancé loupée, chutes sur triple Salchow et sur triple Lutz lancé, rien ne va plus. Je ne suis pas certaine que Patricia Kaas interprétant Piaf soit un choix musical judicieux, cette dernière transformant le chef-d'oeuvre de son modèle en une sorte de marche militaire, que nos Canadiens semblent avoir bien du mal à suivre. Ils sont 7èmes du classement final avec 206.6 points, place très inhabituelle pour eux.
Les 4èmes, avec un total de 211.51 pts, sont les Chinois Yu/Zhang, (5èmes du libre) clairement distancés par leurs cadets sur les deux notes. Le second couple canadien, Ilyushechkina/Moscovitch termine 6ème (206.19). Mention spéciale à Valentina Marchei et Ondrej Hotarek (9èmes avec 203.92), à leur éternel bonne humeur et enthousiasme. Quels que soient l'enjeu et le résultat, ils arborent toujours un sourire éclatant et ont une énergie à toute épreuve. La même mention à Scimeca-Knierim/Knierim, que j'aime dans un registre plus contemporain et plus original, mais qui ont assuré deux prestations formidables alors que la vie d'Alexa était, il y a encore quelques mois, menacée par la maladie (10èmes, 202.37).
Sur place : Kate Royan