Les Quatre Continents fêtent leurs dix-huit printemps. Créée en 1999 par l'I.S.U. afin d'offrir aux patineurs non-européens un pendant aux Championnats d'Europe, la compétition a atteint sa pleine maturité malgré son jeune âge.
La foire aux quads...
Il y a seulement quelques années, Brian Joubert passait pour fou quand il parlait de placer deux quadruples sauts dans un programme... Nathan Chen va en réussir cinq dans son seul programme libre ! Seul moyen de distancer définitivement Shoma Uno et Yuzuru Hanyu en embuscade à quelques points après le programme court. La guerre est ouverte, les hostilités lancées. Surenchère ? Dans le passé, le quad était beau parce qu'exploit technique. Il ne pénalisait pas la dimension artistique d'un programme. Avec deux quads, nous étions toujours dans une mesure équitable. Avec cinq ? Des patineurs-artistes de grand talent, tels Jason Brown ou Adam Rippon qui n'en maîtrisent actuellement aucun, se voient relégués à des places encore honorables, mais à distance du podium. Combinaison quad Lutz/triple boucle piqué, quad flip, quad boucle piqué, combinaison quad boucle piqué/double boucle piqué, quad Salchow, voici ce que réalise Nathan Chen, dans un libre qui contient également deux triple Axels dont un en combinaison, ainsi qu'un triple Lutz. Mathématiquement parlant, le jeune homme effectue trente-cinq rotations en l'espace de quatre minutes trente, et encaisse entre soixante-dix et cent fois son poids à chaque réception. Combien de temps un corps de dix-sept ans peut-il tenir ? Qu'en est-il de celui d'un quasi "vieux briscard" de vingt-deux ans tel Yuzuru Hanyu ? Patrick Chan, qui en a vingt-six, dit accorder la priorité à sa santé en se limitant à trois quads, ce qui est déjà un énorme stress physique (et mental, ça va de soi). Est-on en train de faire prendre des risques inconsidérés à nos athlètes ? Des médecins spécialisés, des physiothérapeutes ont-ils étudié la question ? Quelles sont leurs conclusions ? Difficile pour l'instant d'avoir le recul nécessaire, le phénomène est si nouveau. Mais tous les patineurs sus-cités ont déjà connu des blessures, plus ou moins sévères, les obligeant à manquer plusieurs compétitions.
Faut-il limiter le nombres de quadruples sauts dans un programme ? Tous les athlètes n'ont pas le même pouvoir de résistance et de résilience. Certains s'en sortiront sans trop de dommages. D'autres seront très vite candidats à la chirurgie, façon Evgeni Plushenko. Comment déterminer qui va tenir le choc et qui va tomber en morceaux ? A supposer que les pathologies liées au patinage soient pré-détectables, comment pourrait-on interdire aux uns et permettre aux autres ? C'est matériellement impossible. Alors, ne serait-il pas possible de valoriser davantage des éléments différents, afin que les patineurs aient d'autres armes que la foire aux quadruples pour se départager au sommet ? Qu'on ne s'y trompe pas, j'aime les quadruples sauts, les combinaisons techniquement ardues, l'exploit physique, et je ne suis pas partisane d'une réduction drastique des difficultés. Mais je m'interroge. Est-il envisageable que la multiplication des quads ne vienne pas au détriment de l'autre dimension du patinage, celle qui fait de lui ce sport si particulier, qui donne le frisson, qui provoque l'émotion : l'artistique ? Comment peut-on à la fois se concentrer sur de telles difficultés, et vivre son programme en éprouvant et communicant de l'émotion ? Va-t'on vers un patinage "Top Jump"(*) ou peut-on encore espérer des programmes qui nous font rêver, nous "prennent aux tripes" ? Je ne prétends pas avoir le début d'une réponse à toute ces questions. Je reste partagée. J''ai la plus grande admiration pour l'exploit physique, je suis émerveillée par ce que le corps humain peut réaliser. Mais je m'inquiète pour le squelette et les articulations de ces jeunes gens.
De la supériorité du continent nord-américain...
Sur la bonne vieille Europe en danse sur glace ? Les championnats du Monde d'Helsinki, cette semaine, en décideront. Mais l'écrasante suprématie des Américains et Canadiens, qui remportent les six premières places des Qautre Continents, n'est pas passée inaperçue. D'aucun diront que leurs concurrents asiatiques et australiens n'ont pas un niveau suffisant pour se mêler à la bataille. Exact. Le septième couple européen, les Danois Fournier-Beaudry/Sorensen, devance(raient) de 6.45 points les Chinois Wang/Liu. Bien sûr, il est difficile de comparer les notes données par deux panels différents dans différentes compétitions, d'autant plus que ce mode de calcul reléguerait automatiquement Papadakis/Cizeron à la troisième place des Mondiaux ! Mais nos amis nord-américains vont arriver à Helsinki en rangs serrés, lames affûtées, crocs en avant, forts de cette razzia faite à Gangneung. Si Gabriella et Guillaume veulent conserver leur titre (ce serait le troisième d'affilée, comme aux Championnats d'Europe), toute faute est prohibée, même la plus minuscule. Le péril ne viendra pas seulement des Canadiens Virtue/Moir, ouvertement soutenus par les juges au Trophée NHK et à la Finale du Grand Prix, mais que les Français ont conforté dans leur préférence en commettant des erreurs. S'il paraît difficilement imaginable que Chock/Bates battent Gabriella et Guillaume, les juges semblent également avoir un faible pour la fratrie Chibutani. Il leur faudra donc être non seulement meilleurs que les meilleurs, mais meilleurs qu'ils ne l'ont jamais été, voire meilleurs que meilleurs ! Or, ils sont déjà exceptionnels. Quel qualificatif allons-nous devoir inventer ?
Les trouble-fêtes...
Ceux qui avaient pronostiqué une razzia japonaise chez les dames en ont été pour leurs frais. Une Canadienne, Gabrielle Daleman, 2ème et une Américaine, Mirai Nagasu, 3ème, ont talonné Mai Mihara. Même combat pour les couples canadiens Duhamel/Radford et Ilyushechkina/Moscovitch, qui ont empêché les Chinois de truster le haut du classement. Si Sui/Han gagnent, Yu/Zhang et Peng/Jin se classent respectivement 4 et 5èmes. Dans un passé encore récent, les Nord-Américains tendaient à faire les 4 Continents buissonniers, préférant peaufiner leur préparation aux championnats du Monde. La compétition a enfin gagné ses galons de grand rendez-vous international. Les patineurs, d'où qu'ils viennent, arrivent maintenant à l'épreuve reine de la saison, les Championnats du Monde, avec dans les patins une préparation "in situ" à peu près équivalente. Helsinki, à moins d'un an des Jeux, devrait donner un avant-goût de ce que sera la grande bataille Olympique. Encore quelques heures à attendre...
Kate Royan
* Top Jump : compétition expérimentale organisée par l'I.S.U. en l'an 2000 et qui constituait uniquement à enchaîner des sauts.