Kevin Aymoz a gagné une très belle médaille d’argent au Skate America. Nous l’avons rencontré après la compétition.
Solène : Quel est votre bilan de cette compétition ?
Kevin : Je suis très heureux. La journée du programme court a été difficile. L’entraînement le matin ne s’était pas bien passé. Je me sentais prêt mais les sauts ne passaient pas. J’ai réussi à me reconcentrer avec l’aide de mes entraîneurs et à livrer la performance que je voulais. Avant, quand j’étais en situation d’échec ou de réussite, j’avais tendance à avoir des réactions extrêmes. C’est moins le cas maintenant. Je suis très content de cette médaille d’argent, cela me donne confiance. Après le Japan Open, Silvia m'a dit “Il va falloir qu'on mette les bouchées doubles, t'es prêt ?”. Cela fait longtemps que je n’avais pas fait une vraie saison de Grands Prix. La dernière fois était en 2019, je m’étais qualifié pour la finale. Les saisons suivantes ont été entachées par le COVID et les blessures. A mon retour du Japan Open, nous nous sommes plongés dans la préparation de ce Skate America et j’ai enchaîné les programmes. C'était dur, mais j'étais très motivé. Cela montre que le travail paie et la saison est maintenant bien lancée.
Solène : Est-ce que vous vous projetez vers la Finale du Grand Prix ?
Kevin : Bien sûr, j'aimerais bien me qualifier en finale, mais ce n’est pas l’objectif de la saison. Si j’y arrive j’en serai très heureux. Si ce n’est pas le cas, je serai déçu mais la saison continuera. Notre premier objectif était de créer un beau programme libre. Ensuite, nous avons des objectifs pour la deuxième partie de saison avec les championnats d’Europe et du monde. Avec une deuxième place au Skate America, je sais que la qualification en finale est possible, mais cela dépend aussi des autres grands prix et je ne peux pas contrôler ce qui va se passer au Skate Canada, à Angers ou au NHK. J'irai en Finlande pour donner le meilleur de moi et nous verrons si cela me qualifie en finale.
Solène : Le public français est déçu de ne pas vous voir au Grand Prix de France à Angers. Comment s’est prise cette décision ?
Kevin : Je suis déçu aussi, mais la décision a été mûrement réfléchie avec mes entraîneurs et la FFSG pour que je sois dans les meilleures conditions possibles. Lorsque nous avons reçu les dates et lieux des Grands Prix, j’ai regardé comment je pouvais aborder la saison le plus sereinement possible. J’ai vu qu’Angers était le troisième Grand Prix, donc pile au milieu. Ce n’était pas idéal, je préfère avoir deux semaines complètes entre deux Grands Prix. Ensuite, nous savons que le NHK Trophy est toujours très prestigieux et demandé par les patineurs mais aussi avec un niveau très relevé, avec notamment trois patineurs japonais à domicile. Quant à la Coupe de Chine, elle est assez excentrée (à Chongqing) et je n’avais aucune idée de qui seraient mes concurrents potentiels. Ensuite, il y a eu un peu de stratégie : Adam et moi avons tous les deux une chance de nous qualifier en finale. Ce serait quasi historique d’y arriver tous les deux ! (NB : Brian Joubert et Alban Préaubert avaient déjà réussi cela en 2006). Pour maximiser nos chances, il est préférable mathématiquement que nous ne participions pas aux mêmes Grands Prix. J'avais aussi envisagé de choisir le duo Skate Canada et Espoo, mais Jun-Hwan Cha avait déjà choisi cela avant moi. Une des règles est que le top 4 des championnats du monde ne peut pas se croiser deux fois lors des Grands Prix. Jun a pu choisir avant moi en raison de sa deuxième place aux championnats du monde. Le Skate America a l’inconvénient d’être le premier Grand Prix, il faut être prêt tôt, mais je vis en Floride, à deux heures de vol de Dallas, sans décalage horaire. Quant à Espoo, je connais la patinoire et j’y ai mes repères. J'ai gagné une médaille lors du dernier Grand Prix là-bas. C'est un choix confortable pour moi.
Solène : Quelle est l’histoire de votre programme court ?
Kevin : Ce n’est pas mon histoire mais celle d’amis à moi. Je ne souhaite pas en dire trop pour le moment, je le ferai peut-être plus tard dans la saison. C’est en tout cas un programme qui me tient beaucoup à coeur.
Solène : Parlons de votre programme libre sur le Boléro… Ce choix a beaucoup étonné !
Kevin : Mes entraîneurs m'avaient proposé de patiner sur le Boléro il y a deux ans. J’avais refusé et je leur avais même dit que cette idée était barbante. Mais quand j’étais en France, j’ai vu une publicité pour le Boléro de Maurice Béjart à l’Opéra de Paris. Je me suis dit que c’était peut-être un signe et j’y suis allé. J’ai pleuré du début à la fin. J’ai ensuite immédiatement appelé mes entraîneurs. Je leur ai dit que j’étais désolé de ma réaction initiale et que je voulais patiner sur le Boléro. Je voudrais que les gens puissent ressentir, en me voyant patiner, ce que j’ai ressenti quand j’étais à l’Opéra de Paris. J’ai beaucoup travaillé avec Brice Mousset, un danseur français installé à New York pour créer un Boléro à ma façon. Nous avons voulu faire une Boléro intense et presque animal. Tous les ans, nous réfléchissons pour proposer des nouvelles transitions, de nouvelles séquences de pas, de nouvelles positions de pirouettes. Quand j’ai annoncé que j’allais patiner sur le Boléro, j’ai eu des réactions négatives, même dans mon entourage proche ! Ils ont changé d’avis en voyant la chorégraphie. C’est évidemment un challenge, parce que beaucoup de patineurs l’ont déjà patiné mais je crois que nous l’avons réussi. Ma note artistique, la plus haute lors de ce Skate America, le prouve, je pense.
Solène : La note artistique la plus haute, mais aussi un +5 unanime sur la séquence chorégraphique, c’est très rare.
Kevin : Oui, cela me fait extrêmement plaisir. Je ne l’ai pas vu tout de suite. J’avais regardé le protocole en diagonale pour voir ma note artistique, les niveaux obtenus et les fautes techniques, comme la carre du flip, mais je n'avais pas pris le temps de regarder les GOE. On me l’a appris plus tard et j’étais ravi ! La fin du programme est un challenge. Je fais face aux juges. C’est difficile parce que je suis assez timide mais je ne peux pas baisser le regard. Je dois leur montrer que c’est moi qui ai le pouvoir. J'attends que le ou la juge baisse le regard avant de pouvoir partir. A la fin du programme libre, la juge n'a pas baissé les yeux tout de suite et ça a été très dur pour moi. Surtout qu’après quatre minutes d’effort, on a envie de lâcher mais il faut rester maître de soi jusqu'à la fin.
NB : C’est seulement la troisième fois qu’un patineur obtient un +5 unanime sur la séquence chorégraphique dans la catégorie masculine. Les deux autres patineurs étaient Nathan Chen en 2019 et Jason Brown en 2021.
Solène : Il y a une transition très originale vers la séquence triple Axel double Axel. Comment est venue l’idée ?
Kevin : Elle est belle, mais elle fait un peu peur. Merci à John et Silvia... Ils ont toujours beaucoup d'idées. S’ils pouvaient, ils me feraient jongler avec des cuillères en feu avant un quadruple (rires). En fait, c'est dur pour la cuisse. Je dois descendre très bas et remonter haut pour lancer l’Axel et sauter le plus haut possible. J’ai entendu la réaction du public pendant le programme, c’était magique ! Cette compétition était difficile pour les transitions, car la piste n’est pas de taille standard. Elle est longue mais très étroite. J'avais des difficultés dans toutes mes transitions à cause du manque de place. Avant le triple boucle, j’ai d’ailleurs dû modifier la transition à cause de cela.
Solène : Avez-vous regardé d’autres Boléro célèbres ? Je pense par exemple à Torvill et Dean ou Carolina Kostner.
Kevin : J’avais vu celui de Torvill et Dean de nombreuses fois, il est exceptionnel, mais je ne l’ai pas regardé récemment. En fait, je n’ai regardé les autres Boléro qu'après avoir fait ma chorégraphie. Si j’avais regardé avant, il y aurait eu un risque que je m’en inspire trop, même de façon inconsciente. En plus, je me serais dit que je n’allais jamais être à la hauteur de Torvill et Dean. J’ai regardé celui de Kamila Valieva aussi, c'est un très beau Boléro. Il y en a eu beaucoup d'autres mais je n'ai pas tout regardé, juste quelques-uns par curiosité. Le Boléro, c'est comme un bon jean, tout le monde en a eu un dans sa carrière ! Habituellement, je suis contre le fait de patiner sur ces musiques que nous avons trop entendues dans les patinoires, mais le voir à l’Opéra de Paris a tout changé.
Solène : Lors de cette compétition, vous étiez avec John et Silvia. Dans quelle mesure les avoir tous les deux à vos côtés vous a-t-il aidé ?
Kevin : Tous les deux m’apportent beaucoup. Nous sommes une équipe au quotidien. Je travaille autant avec l’un qu’avec l’autre. Leur aide dépasse la technique. Avant mes programmes, John m'a dit : “C'est comme si tu devais sauter entre deux montagnes. Il n’y a que 50 centimètres entre les deux bords mais le vide fait des dizaines de kilomètres. Si tu hésites et que tu n’y vas pas à fond, c'est sûr que tu vas tomber. Saute vraiment, n’hésite pas, n'aie pas peur.” C’est une image qui est très importante et qui me rassure. Silvia m'a dit “On ne veut pas voir quelqu'un qui s'accroche au siège. On veut voir quelque chose d'impressionnant, quelqu'un qui prend des risques. Lève toi, tente des choses. Quand le lion a faim, quand il court après sa proie, il ne se pose pas la question de savoir s'il va être fatigué au bout de quatre minutes. Il a faim et tant qu’il n’a pas réussi, il va courir”. Cela faisait longtemps que je n'avais pas fait de compétition avec eux deux et cela m'avait beaucoup manqué.
Solène : Vous travaillez également avec Françoise Bonnard à Grenoble.
Kevin : Je m'entraîne souvent avec Françoise quand je suis en France. Elle fait partie de mon équipe et nous lui envoyons des vidéos toutes les semaines. Je patinerai à Grenoble la semaine avant le Grand Prix de Finlande pour absorber le décalage horaire. Ce sera également le cas début janvier. Les championnats d’Europe sont très tôt cette année et je n’ai pas le temps de faire un aller-retour aux Etats-Unis entre les fêtes de fin d’années et les championnats d’Europe. Les conditions de glace à Grenoble sont exceptionnelles et je me sens bien avec Françoise. Cela me fait aussi plaisir d’être avec les patineurs grenoblois.
Solène : Vous semblez avoir passé de très bons moments cet été, lors des tournées de galas.
Kevin : Nous avions une équipe extraordinaire, que ce soit au Japon ou lors de la tournée de l’équipe de France. Avant, j’avais du mal à m'ouvrir, j'étais timide. Mon état d’esprit a changé du tout au tout. Quand je vais en compétition maintenant, je retrouve mes amis ! Je me suis rapproché de l'équipe de France, de Jason (Brown), de Satoko (Miyahara), d’Ilia (Malinin), de Kazuki (Tomono), de Madison (Chock) et Evan (Bates) et de plein d’autres ! J'ai aussi appris à connaître Loena (Hendrickx). Je ne la connaissais pas et elle me faisait peur parce que je la trouvais très impressionnante. On a appris à se connaître. Elle est touchante et inspirante.
Solène : Vous avez été invité au Japan Open début octobre, c’était une belle opportunité.
Kevin : C’était une chance extraordinaire. J’en entendais parler depuis des années mais c’est la première fois que j’étais invité. C’est une compétition très originale. Nous avons eu beaucoup d'entraînements pour le gala, mais seulement deux entraînements pour la compétition et nous ne patinons que le programme libre. C’était une belle expérience. L’organisation des spectacles et compétitions est toujours impeccable au Japon.
Solène : Aux Masters, nous vous avons vu en bord de piste, avec les patineuses grenobloises Ninon Dapoigny et Mila Bertsch. Parlez-nous de cette expérience.
Kevin : Je travaille avec Ninon depuis 2-3 ans et avec Mila depuis un an et demi. Elles m'ont demandé de faire leurs chorégraphies. C’est aussi le cas de Maia (Mazzara) mais je patinais peu de temps après elle aux Masters donc je n’ai pas pu l’accompagner. Elles sont super toutes les trois. J’espère qu'elles n'auront pas trop de blessures et qu'elles vont pouvoir avancer dans de bonnes conditions. Je suis content qu’elles m’aient demandé d’être leur chorégraphe cette année et que Françoise et le club de Grenoble me fassent confiance. Cela me permet par ailleurs de préparer mon diplôme d'État. Mais c'est dur d'être entraîneur ! J'ai réalisé qu’ils sont stressés, eux aussi (rires). Il faut être solide pour les athlètes. J'ai beaucoup de choses à apprendre, je ne sais pas si je veux être entraîneur tout de suite. Je me connais, je sais que je vais être trop passionné et cela risque de faire beaucoup. Je serai chorégraphe, c'est certain. J’aime explorer la musique et partager des émotions. J’ai besoin de transmettre. C'est important de transmettre ce que je connais, sinon cela n’a pas de valeur. C'est ce que je continuerai un peu à faire avec les autres patineurs.
Solène : Rassurez-nous, vous n’envisagez pas déjà votre fin de carrière ?
Kevin : Je continuerai jusqu’aux Jeux Olympiques 2026, c’est certain. Après, on verra, cela dépendra de beaucoup de choses, dont ma forme physique. Rien n’est décidé.
Solène MATHIEU - Skate Info Glace