La revanche des aînés
Médaillée d'argent Junior individuelle en 2000 (oui, il y a 22 ans !) et après une "petite" pause de 16 années loin du patinage, Deanna Stellato épouse Dudek, décroche l'or de ce Grand Prix avec son partenaire Maxime Deschamps. A 39 ans, cinq centimètres plus petite et trois ans plus jeune que la doyenne de la discipline, Zoé Jones (UK), la Canadienne, née américaine, est dans une forme éblouissante. Le thème de Cléopâtre n'est sans doute pas le plus original qui soit, mais le programme est équilibré, la chorégraphie soignée et tant pis pour les points de perdus pour dépassement de temps, les mains posées à la réception du triple flip lancé, et la chute sur le triple boucle, lancé lui aussi. A l'ère du jeunisme, un peu de vraie maturité ne fait pas de mal. Le patinage du couple canadien est puissant et élégant, et la prise de risque non négligeable. Deanna et Maxime conservent l'avantage pris lors du programme court, empochent 121.51 points pour le libre, et un total de 185.84.
Les époux Kovalev n'ont que 58 ans à eux deux (contre 70 pour les Canadiens) et une énorme revanche à prendre sur un passé compliqué. Manque de confiance, manque de réussite, blessures, tensions, vexations, ignorés par leur fédération même lorsqu'ils pouvaient être sélectionnés, autant de couleuvres à avaler. C'est un miracle qu'ils ne soient pas découragés. Ils ont amorcé un virage vers le renouveau avec un titre national, et une quatorzième place aux championnats d'Europe l'an dernier. Puis il y a eu la 8ème place des championnats du Monde, en France, à Montpellier, plongeon direct dans le top 10 mondial. Ils auraient pu être déstabilisés. Et c'est tout le contraire. Ils ont pris leur envol. Camille, qui a eu les yeux vissés au sol pendant des années, regarde droit devant elle. Pavel, qui était facilement ronchon, arbore un grand sourire. "Caruso" de Florent Pagny leur va bien. Ils savent à présent s'exprimer dans des registres très différents, du classique au rock saignant, vifs et élégants. Il reste quelques points faibles à corriger comme l'expression, mais le couple est littéralement transformé. Quelques erreurs, une combinaison triple boucle piqué/double boucle piqué chahutée, les mains sur la glace à la réception du triple flip lancé, leur font perdre une place par rapport au programme court (115.87), mais ne les empêchent pas de monter sur la seconde marche du podium (179.85) et de repartir avec une très belle médaille d'argent.
Les Allemands Annika Hocke et Robert Kunkel collent littéralement aux basques des Français avec un total de 179.73 ! Avec leur seconde place du libre (119.62 et un Season Best), on a eu chaud ! La musique est jolie, "Without You" de Ursine Vulpine et Annaca, et le patinage est classique, mais intéressant. On sent, dans la chorégraphie, la patte délicate et romantique des anciens danseurs Anna Cappellini et Luca Lanotte. (Le couple s'entraîne à Bergame en Italie, avec Ondrej Hotarek, le mari d'Anna). Associés depuis seulement trois ans, ils ont fait de rapides progrès au niveau de l'expression et de l'interprétation.
Si certains progressent, d'autres s'enfoncent. Dès les premiers gestes, on sent que tout va partir en cacahuète. Pour commencer, les Italiens Ghilardi/Ambrosini, dans des tenues mauve délavé hors sujet, ont choisi l'un des thèmes les plus usés du patinage : le "Barbier de Séville". A coups de mimiques forcées et de figures téléphonées, le programme frise la caricature. Le triple twist d'entrée de programme est dégradé. Ils ne tiennent toujours pas leurs sauts parallèles : double Salchow parterre, et le double Axel, est en vrac au lieu d'être en séquence. Le triple flip lancé est reçu sur les mains, le triple Salchow lancé bascule vers l'avant. Filippo patine pourtant dans la discipline couples depuis dix ans maintenant, et Rebecca, ancienne individuelle, depuis 2016. Si le thème est ringard, la chorégraphie, elle, est pourtant réussie (réalisée également par Cappellini/Lanotte). Mais je ne suis même pas sûre que les Lombards d'adoption méritent les 113.79 dont on les gratifie.
Je leur préfère largement les Géorgiens Safina/Berulava, même si "Exogenesis" de Muse finit par me sortir par les oreilles. Où et comment rendre un morceau, pourtant excellent au départ, insupportable à force d'usage dans les patinoires. Mais à tout prendre, c'est beaucoup moins pénible que le "Barbant" de Séville. Et c'est surtout beaucoup mieux patiné malgré un bon paquet d'erreurs. Karina porte un bandage au genou et semble en très petite forme morale. Le couple fait partie des patineurs "relocalisés" à l'étranger, en l'occurrence à Oberstdorf en Allemagne, pour cause de guerre Russie/Ukraine. Une situation qui ne doit pas arranger un psychisme déjà fragile depuis la fin de la saison dernière. Ils sont 5èmes du classement général avec 162.44, mais 6èmes du libre devancés de 6.5 points par les Américains Mokhova/Mokhov.
La "Chauve-Souris" de la fratrie Mokhov entraînée par leur père, est à peine moins démodée que le Barbier des Italiens, du moins au niveau de l'interprétation. Seulement 0.28 points séparent les Géorgiens des Américains au classement général, avec 162.16 et une 6ème place pour ces derniers.
Océane Piegad et Denys Strekalin sont 7èmes avec un total final de 144.71. Océane semble très déçue en fin de programme. Pourtant c'est déjà un petit exploit que d'être sélectionnés pour un Grand Prix après à peine six mois de collaboration ! Ils reprennent le thème d'une danse libre de Papadakis/Cizeron, "To Build a Home" de Cinematic Orchestra, suivi de "Experience" de Ludovic Einaudi, entendu pour la première fois dans une patinoire grâce à Laurine Lecavelier. Ces deux musiques leur vont très bien. Leur délicatesse sied au physique de Tanagra d'Océane et leur force émotionnelle à la solidité de Denys. Deux grosses erreurs viennent grever leur budget points : la combinaison de triples boucles piqués loupée et un porté qui ne monte pas. Mais ils ont de longues et belles années devant eux pour continuer de progresser. A 19 et 23 ans, ils pourraient tous les deux être... les enfants de Deanna Stellato-Dudek !
Par Kate ROYAN pour SKATE INFO GLACE