© Alice Alvarez
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CHAMPIONNATS D'EUROPE

28 janvier 2023

Danse libre


Forza Italia !

 

Quatre médailles, dont deux d'or, à Helsinki pour la squadra Vert-Blanc-Rouge ! C'est une première. Déjà nantis du bronze en 2019 et 2022, Charlène Guignard et Marco Fabbri sont couronnés champions d'Europe de danse sur glace pour la première fois de leur carrière (210.44), neuf ans après leurs compatriotes Cappellini/Lanotte. La victoire est amplement méritée, même si le programme n'a pas été aussi propre qu'il aurait pu l'être, et qu'il l'a été plus tôt dans la saison. Sur la bande son de la série "Lucifer" ("My Love will never Die" par Claire Wigham) couplée à "La Berceuse de Mephisto" de Yair Albeg Wein & Oro Kribos, Charlène et Marco sont parfaits dans l'interprétation de ce thème sombre, chacun leur tour bourreau et victime, délicieusement diaboliques. La musique ne cesse de monter en intensité pour ne verser dans la douceur qu'à la fin. Pari risqué chorégraphiquement parlant, mais réussi. Le soufflé aurait pu retomber, or il ne fait que "respirer". La gestuelle est aboutie, le patinage précis, sauf lors d'un petit déséquilibre de Marco et quelques carres inhabituellement râpeuses de Charlène. Le stress est là, mais l'expérience aussi. Elle leur permet de conserver leur avance dans le libre (124.91), mais toujours avec un écart infime sur leur poursuivants, et même, un total au point près en TES. Ce qui ne me semble pas plus normal que dans la notation de la RD. Heureusement les composantes sont là pour faire la différence. Différence qui n'est pas non plus très élevée. L'heure est à l'économie du côté du jury : la moyenne des GOEs oscille entre 3 et 4. Côté niveau, les twizzles sont à 3 pour elle, 4 pour lui. 2 et 1 pour la séquence sur un pied, 3 et 2 sur la circulaire. Leur Base Value étant à 45.04, pour un score équivalent, ils sont donc moins bien notés que les Britanniques Fear/Gibson. Ce qui ne les empêche heureusement pas de gagner.

 

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Compte-tenu de l'énergie déployée, du thème, et de la réaction du public qui se déchaîne dès les premières notes de musique, le spectateur lambda peut aisément s'y tromper. Passés sur la glace en avant-derniers, juste avant les Italiens, ils mettent littéralement le feu à la patinoire. Oui, ça déménage avec Lilah Fear et Lewis Gibson. On n'a pas le temps de respirer et on se demande comment, eux, peuvent faire preuve d'une telle endurance, et avec le sourire s'il vous plaît. Un seul mot : spectaculaire. Rock, disco, techno, les Britanniques sont dans leur élément. Dans mes souvenirs de ski de ballet (qui commencent à méchamment dater !), un entraîneur  norvégien disait, en voyant évoluer son meilleur poulain, Rune Christiansen, plusieurs fois médaillé, sur la piste d'une discothèque :"si seulement il pouvait danser ainsi sur les skis !" En regardant Lilah et Lewis, moi je me dis que, même au meilleur de ma forme à leur âge en soirée, je n'aurais jamais pu tenir la distance ! Oui mais voilà, la danse sur glace n'est pas affaire que de spectacle. Impossible de ne pas se trémousser sur son siège au son de Lady Gaga, même sur la partie la plus lente, enfin la moins ultra-speed du programme, mais dès qu'on regarde de plus près... La jambe libre n'est jamais vraiment tendue. Les carres de Lilah laissent le plus souvent à désirer. Une erreur de Lewis sur la séquence de pas n'est pas sanctionnée alors qu'une broutille sur le porté chorégraphique prend +1. Seconds du libre, comme de la RD, ils décrochent une jolie médaille d'argent avec 123.77, et un total de 207.89.

 

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Médaille d'argent que, à l'issue de cette danse libre, j'aurais sans doute accordée aux Finlandais Turkkila/Versluis. D'accord, ils ne se renouvellent sans doute pas assez. Ils ne font jamais preuve d'une grande modernité. Mais dans le registre très classique des "Impromptus" et de la "Sonate N° 20" de Franz Schubert, ils auront été excellents cette année. Avouant, en Mixed Zone, avoir été très stressés à leur entrée sur la glace, ils n'en ont pourtant rien montré. Tout dans leur danse libre est fluide et délicat, sans tomber dans le piège de la mièvrerie, pourtant grand ouvert. Leur Base Value est plus élevée que celle de Fear/Gibson et leur TES pas si éloigné (moins d'un point) de celui des Finlandais et des Italiens. Ce sont encore les composantes qui font la différence, mais sans écart énorme. Le résultat aura vraiment été très serré. Devant une patinoire enfin remplie, toute acquise à leur cause et qui exulte, Juulia et Matthias récoltent 120,60 pour ce segment de la compétition, et 198.21 au final. La barre des 200 points ne devrait pas tarder à être franchie. "Le voyage ne fait que commencer", dit Juulia à sa descente du Kiss & Cry, "j'avais peur de regarder les notes, mais notre coach nous a dit que le plus important était d'avoir fait ce que nous avons fait, soit nous être fait plaisir devant notre public". 

 

Le "titre" Insomnia" de Faithless porte bien son nom : pas de risque de s'endormir et anti déprime garanti ! Un traitement qui devrait être remboursé par toutes les assurances maladie de la terre ! Allison Reed et Saulius Ambrulevicius donnent le ton. Du moins sur les trois-quarts de leur programme, car ils s'essoufflent un peu vers la fin. Rien de surprenant, tant le rythme est soutenu, presque brutal. J'apprécie beaucoup cette danse libre techno, genre musical peu utilisé, car difficile à patiner. Difficile, mais les Lituaniens s'en sortent très bien. Leur patinage est puissant (parfois même un peu trop) et, comme Fear/Gibson, leur enthousiasme est communicatif. Et ils sont nettement plus à l'aise que sur les danses latines ! Techniquement parlant, on redescend d'un cran, même si leur Base Value est la plus élevée de la danse libre (45.41). Le programme est bien pensé mais quelques niveaux tirent encore vers le bas : 2 pour Allison la médiane, 1 dans la séquence sur un pied, et 2 pour Saulius. 118.34 leur offrent la 4ème place du libre et du classement général (195.67).

 

Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud montent d'un cran pour terminer 5èmes de cette danse et du classement final (115.36/191.85). Le répertoire d'Edith Piaf, à quelques exceptions près, n'est pas follement gai. "L'Accordéoniste" et surtout "Mon Dieu" sont des thèmes délicats à interpréter. Or les Français le font avec une grande élégance et une jolie finesse, en évitant judicieusement de tomber dans le pathos et la théâtralité. La gestuelle d'Evgeniia et Geoffrey, sa sobriété, la justesse d'expression, tout évoque une tristesse plus mélancolique que désespérée. Avec la deuxième Base Value de la compétition (45.29), i.e. plus élevée que celle des deux premiers couples médaillés et à 0.1 point de celle des Finlandais, le programme est techniquement ambitieux. Depuis le début de la saison, les deux patineurs expliquent qu'ils ont en tête la performance plutôt qu'une place précise au classement. Ils ne cessent de progresser sur tous les plans. Les portés sont tous de niveau 4, de même que les twizzles. La séquence sur un pied est de niveau 2 pour Evgeniia, 3 pour Geoffrey et la tendance s'inverse dans la médiane. Comme lors de la RD, je trouve les grades d'exécution bas, avec beaucoup de +2 et les composantes me semblent assez sévères, en particulier un 7.75 en composition et un 7.50 en skating skills donnés par le juge N°1. "Nous avons bien patiné" dit Geoffrey en sortant de la glace, "mais c'était dur. Peut-être parce que nous passions derniers de notre groupe. Ce n'était pas une question de stress, c'était juste difficile". Mais les Français ont à présent assez de métier pour que leur sentiment de difficulté soit passée inaperçu. Il ressort de leur prestation une très belle émotion en toute sobriété, sans un geste ou une mimique de trop. 

 

Reprendre un thème musical déjà utilisé par vos aînés vous expose à la comparaison, et celle-ci risque souvent de ne pas être à votre avantage. C'est le cas pour Taschlerova/Taschler. Les deux premières musiques, accompagnées de voix qui dénoncent le réchauffement climatique [ce qui est une idée plus que louable], "On the Nature of Daylight" de Max Richter (B.O. du film Shutter Island) et "Run" de Ludovico Einaudi, on été utilisées par Weaver/Poje par le passé. Les Tchèques n'ont hélas pas leur grâce ni leur subtilité. Il y a un peu de "m'as-tu vu" dans cette exécution. Il est pourtant indéniable que cette saison, ils ont beaucoup progressé. Natalie et Filip, qui sont frère et soeur, ne peuvent pas jouer la carte de l'amour romantique comme le faisaient les Canadiens qui excellaient dans ce domaine (bien que n'étant pas en couple dans la vie). Mais quitte à dénoncer un phénomène qui, s'il ne nous tue pas, rendra la vie très compliquée à notre descendance, autant le faire avec un minimum de sensibilité. Oh, ils sont très convaincus parce qu'ils font. C'est seulement moi qui ne le suis pas. Je suis gênée par le côté gymnique, voire aérobique, de l'exécution. Les portés sont, certes, ambitieux, mais aussi visuellement peu gracieux. Nous avons d'abord droit au bûcheron qui charrie un fagot, puis au "gros navion", tel un papa facétieux qui fait tournoyer bébé pour l'amuser,  avant de se transformer en pizzaïolo qui envoie virevolter sa pâte, il est vrai avec dextérité. En pré-conclusion, voici le "chasse-neige", avec Natalie accrochée aux patins de son frère qui la remorque sur la moitié de la patinoire. On ne quitte pas l'aéronautique avec une gestuelle qui évoque celle d'un contrôleur au sol guidant un Airbus A320 sur un tarmac d'aéroport. N'est pas Papadakis/Cizeron et leur waacking, ou Villardien sur une chorégraphie de Karine Arribert, qui veut. C'est peut-être moi qui n'ai rien compris. Mais leur entraîneur et chorégraphe, Mario Zanni, est connu pour ne pas toujours faire dans la dentelle. Le programme a été modifié depuis le début de saison, mais hélas pas dans le bon sens. Un point de déduction pour violation de temps n'arrange pas un total de points néanmoins plus que correct pour une telle prestation : 111.34. Avec au total 188.33, ils sont 6èmes. 

 

On entre dans une toute autre dimension interprétative avec Loïcia Demougeot et Théo Le Mercier. Le montage musical est de toute beauté : "Swell" du Poitevin Raphaël Beau, alias Laake, "Gnossienne N° 3" d'Erik Satie, "Le Di a la Casa Alcanze" par Estrella Morente et Michael Nyman, les deux derniers adaptés par Cédric Tour, qui, en plus de sa casquette d'entraîneur (entre autres du tout récent champion d'Europe, Adam Siao Him Fa et de Bradie Tennell, seconde aux Nationaux Américains ce week-end) est bientôt aussi demandé dans le patinage qu'Hugo Chouinard pour ses talents d'arrangeur musical. Les Villardiens, 16èmes à Tallinn en 2022, bondissent à la 7ème place (107.41/179.96). Le style est dépouillé et élégant. L'interprétation, dans la retenue mais la sensibilité, est brillante. La combinaison porté rotationnel/stationnaire est une vraie trouvaille. Théo rencontre quelques soucis avec, d'où les GOEs majoritairement à +2. Les twizzles sont de niveau 4, la médiane de niveau 2, et la séquence sur un pied de Loïcia est de niveau 1, tandis que celle de Théo est de 2. Cette danse libre n'est pas exempte d'erreurs, mais elle est l'une des plus belles de la soirée, et des plus applaudies par le public. "Nous sommes fatigués" dit Loïcia en Mixed Zone. "Et soulagés parce que nos entraînements n'ont pas été super bons. Nous avons commis des erreurs. Avant d'arriver, nous avions surtout travaillé notre danse rythmique. Nous savons maintenant ce que nous devons améliorer dans la danse libre". Théo : "Sur le premier porté, je suis censé la lancer et je n'ai pas réussi à attraper sa jambe. Après ça, il a été difficile de nous reconcentrer mais on y est parvenus". 

 

Grâce à la 5ème place d'Evgeniia et Geoffrey, et la 7ème de Loïcia et Théo, la France repart d'Helsinki avec trois quotas pour la saison prochaine. Le déplacement français aura porté ses fruits ! 

 

Classement danse libre

Scores détaillés

Classement général

 


Par Kate ROYAN pour Skate Info Glace