Champion du Monde en 2005 et 2006, Stéphane Lambiel continue de patiner en gala et se lance ponctuellement sur un triple Axel ou un quadruple boucle piqué à 37 ans. Pendant les championnats d'Europe, nous l'avons rencontré pour évoquer son rôle d'entraîneur auprès de Shoma Uno et Deniss Vasiljevs et son amour de la danse sur glace.
Solène : Deniss Vasiljevs a toujours eu une cote de popularité particulièrement importante. Comment l'analysez-vous ?
Stéphane : Je ne suis pas certain d'avoir une explication... mais j'aimerais en avoir une ! Il est intelligent, il a une forte personnalité, il patine avec grâce tout en étant très athlétique. Il montre une qualité d'exécution des éléments formidable. C'est ce que je constate, mais c'est difficile à analyser et à mesurer. Je comprends qu'il plaise au public, il est extraordinaire.
Solène : J'ai constaté qu'il parlait un peu Français !
Stéphane : Oui il parle bien Français ! Il a une très bonne oreille. Il fait des fautes mais c'est fluide. Quand il a le courage de parler, il s'en sort très bien. On se parle parfois Français. Il vit en Suisse et a beaucoup de francophones dans son entourage. Il faudrait qu'il prenne le temps d'apprendre à écrire. Quand on apprend une langue, savoir l'écrire aide à mieux formuler ses pensées.
Solène : On m'a dit que vous aviez un faible pour nos danseurs français, Loïcia Demougeot et Théo Lemercier...
Stéphane : C'est vrai ! Loïcia et Théo amènent un vent de nouveauté. C'est toujours intéressant de voir des jeunes qui arrivent avec une personnalité marquée. Loïcia a fait un immense bond en avant depuis un an. Ils ont du talent et leur travail paie ! Je leur souhaite une belle et longue carrière où ils continueront à développer leur esprit créatif.
Solène : Quelle est votre relation à la danse sur glace ?
Stéphane : J'aime beaucoup cette discipline de manière générale. C'est celle qui a le moins souffert du changement de système de jugement. Juger le patinage est très compliqué. Avec le nouveau système, on essaie de créer des cases et d'y mettre des points, mais cela ne définit pas la qualité du mouvement et du patinage, ou encore l'émotion que le patineur transmet. La danse sur glace comporte encore beaucoup d'esthétisme et les patineurs accordent de l'importance au concept de leur programme, à la beauté de leurs mouvements, à l'histoire du programme, à la musicalité et aux costumes. La recherche créative est plus approfondie que dans les autres disciplines, d'où mon amour et ma passion pour la danse.
Solène : Vous avez chorégraphié quelques programmes pour des danseurs, et notamment la danse libre de Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron en 2019, sur Duet et Sunday Afternoon de Rachel Yamagata. Quel regard portez-vous sur ce programme et sur cette expérience de création plusieurs années après ?
Stéphane : J'avais eu des premières expériences avec Maia et Alex Shibutani ainsi que des danseurs allemands, Nelli Zhiganshina and Alexander Gazsi. J'avais beaucoup apprécié créer des chorégraphies pour eux. La connexion entre les deux athlètes est intéressante, et permet de créer quelque chose d'encore plus profond qu'en catégorie individuelle. J'ai eu la chance de chorégraphier cette danse libre pour Gabriella et Guillaume, qui m'ont laissé une page blanche à écrire pour eux. Créer ce programme avec deux patineurs aussi incroyables était un pur bonheur et une très belle expérience. Nous avons d'ailleurs un projet, ou disons un rêve, avec Guillaume de patiner ensemble. J'espère que nous pourrons le réaliser !
Solène : Quelle place laissez-vous à la création lors des entraînements avec vos élèves ?
Stéphane : J'adore passer du temps à créer avec mes élèves. Nous nous focalisons beaucoup sur les programmes de compétition mais dès que nous avons la possibilité de sortir des schémas de compétitions, nous pouvons nous laisser aller sur la musique. C'est formidable. Le patinage a tellement plus à apporter que des sauts et des points ! C'est important de mettre en avant cette facette de notre sport. La beauté du patinage et de ses mouvements inspirent et font rêver. Nous avons envie d'être dans le corps de l'athlète pour vivre les mêmes sensations.
Solène : Plusieurs patineurs japonais dont Shoma Uno s'entraînent avec vous en Suisse. Comment les accompagnez-vous dans ce changement d'environnement ?
Stéphane : C'est un grand changement personnel, et leur engagement dans cette démarche est clé. Nous sommes capables de nous adapter à n'importe quel environnement, lorsque l'engagement est là. Il est important de se tenir à sa décision. Certaines choses ne sont plus possibles, comme faire des dîners de famille tous les dimanches par exemple. Mes athlètes ont cet engagement en eux lorsqu'ils décident de venir en Suisse. Il y a aussi des périodes plus calmes où ils peuvent rentrer chez eux, voir leur famille et leurs amis. Je ne suis pas là pour les mettre au service militaire ! A Champéry, ils apprennent sur eux-mêmes et leur patinage, ils développent leurs aptitudes. Ils avancent le plus loin possible et un jour ils me diront qu'ils n'ont plus besoin de moi (sourire). Ils transmettront à leur tour ce qu'ils ont appris. C'est ma mission d'entraîneur : leur donner des outils, vivre une belle expérience et parcourir un chemin ensemble. Après, l'élève doit voler de ses propres ailes. C'est comme être parent finalement !
Solène : Qu'est ce qui vous inspire en ce moment ?
Stéphane : C'est une bonne question... La nature, mais aussi et surtout la musique. Quand j'écoute de la musique, je pense tout de suite à des mouvements ou à un patineur, j'ai des images qui me viennent en tête. J'écoute tout type de musique. Nos téléphones connaissent bien nos goûts et nous guident dans une direction mais j'essaie de casser cela et de m'ouvrir à d'autres styles. Je repense à un concert qui m'a fasciné cette année : Paolo Nutini au Montreux Jazz Festival. Son énergie était incroyable !
Par Solène MATHIEU pour Skate Info Glace