© Alice Alvarez - S.I.G.
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CHAMPIONNATS D'EUROPE 2022

Tallinn, Estonie - 15 janvier 2022

Danse Libre : Sinitsina/Katsalapov conservent leur titre


Si seulement un peu plus d'un point départageait les deux teams russes lors de la danse rythmique, la différence aujourd'hui dans la danse libre est plus nette. 130.07 points (217.96 au total) pour les tenants du titre obtenu à Graz en 2020, et une nouvelle médaille d'or européenne, 126.75 pour leurs poursuivants (213.20 au total). Dans la plus pure tradition du classicisme russe, Viktoria Sinitsina et Nikita Katsalapov ont choisi deux morceaux de Rachmaninov cette saison : le Concerto pour Piano N° 2 et, une variation du même auteur sur la Rhapsodie de Paganini. Nikita explique en Mixed Zone et en conférence de presse que ce programme raconte "leur histoire". Une histoire qu'ils patinent avec le sourire, mais Rachmaninov, grand dépressif hanté par la crainte de la vieillesse et de la mort,  évoque pourtant plutôt mal l'amour et la joie de vivre. La première partie est douce, jolie et romantique, mais un peu mièvre et ne suscite pas autant d'émotion qu'elle le pourrait.  Ils sont cependant très beaux à voir patiner et Nikita ne commet aucune des erreurs dont il a la fâcheuse habitude. Sauf... un petit déséquilibre dans les twizzles qui lui fait perdre un niveau, mais pas de grades d'exécution. La seconde partie de cette danse est beaucoup plus intéressante à mon sens : enlevée, brillante. L'ensemble du programme est techniquement dense, avec une excellente liaison des éléments et pas une seconde de répit dans la réalisation. Nikita a cessé, depuis quelques saisons déjà, de tirer et pousser sa compagne comme une poupée de chiffons, elle donne enfin libre cours à son propre talent d'interprétation. Elle lui reste cependant légèrement inférieure techniquement. Malgré ses problèmes de dos, son partenaire a gagné en posture et en prestance, sans raideur. On les sent heureux d'être sur la glace, à l'aise, sûr d'eux sans arrogance, ce qui n'a pas toujours été le cas. Le couple s'est beaucoup amélioré sous tous les aspects. Sachant que, compte tenu de la blessure de Nikita, il est condamné à de longues périodes de repos entre les compétitions au détriment de leur entraînement, sa condition physique pour tenir de bout en bout un tel programme est à saluer chaudement. Le programme peut encore être amélioré avant les Jeux Olympiques qui arrivent très vite, par exemple sur la Midline qui n'est que de niveau 3. Mais notons qu'aucun des couples aujourd'hui ne dépassera ce niveau sur une suite de pas, quelle qu'elle soit.  

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Tout est très différent avec Stepanova/Bukin. Je trouve qu'eux aussi ont fait beaucoup de progrès. Fini de jouer les moulins avec les bras, tout est plus sobre, plus délicat, y compris les tenues. Après avoir reculé dans la hiérarchie mondiale, les voici de retour à leur meilleur niveau. J'aime beaucoup la première partie de cette danse, fluide et rapide, sur une musique originale : "We have a Map of the Piano", par le groupe expérimental islandais Mùm. Les choses se gâtent pour moi avec Sarah Alainn et le très banal "A Time for Us", extrait du Roméo et Juliette de Nino Rota. On passe d'une recherche contemporaine à un classique désuet, "radio friendly", sans aucune originalité. La fin de la chanson, exécutée par une vois suraigüe est pénible à l'oreille.  Il n'y a ni liant ni cohérence entre les deux morceaux. C'est très dommage car le patinage est ample, soigné, très agréable à l'oeil. La fin du programme les fait un tantinet retomber dans une agitation de mouvements exagérés, mais on sent qu'ils sont libérés et heureux de leur prestation. Alexandra est un peu moins réservée que d'habitude face à son exubérant partenaire. Ils repartent de Tallinn avec une médaille d'argent méritée. 

 

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Sur la bande originale du très romantique "Reviens-moi" ("Atonement" en version originale) de Dario Maranelli, et "Little Sparrow" d'Abel Korzeniowski, les Italiens Guignard/Fabbri empochent la médaille d'argent (124,62/207.97) avec, pour moi le programme le plus émouvant de la journée. Triste, mais beau, et très bien patiné. La dernière minute est beaucoup plus gaie, plus enlevée, avec deux très jolies pirouettes de Charlène effectuées à genoux (ce qui hélas va lui valoir des écorchures !). Leur technique est quasi irréprochable. Je les trouve beaucoup plus lumineux que d'habitude, réellement habités par leur danse. Ils retrouvent la 3ème marche du podium, après l'avoir brièvement quittée en 2020, et leur place dans la hiérarchie européenne. Dans le Kiss and Cry, Charlène est en larmes. En conférence de presse, Marco expliquera plus tard que l'absence de leur coach, Barabara Fusar-Poli, testée positive au Covid la veille, a pesé lourd sur leur mental. Sans compter l'inquiétude qu'il doivent avoir de se retrouver positifs eux aussi à quelques semaines des J.O. Mais c'était le risque connu et encouru en participant à ces championnats d'Europe. Cruel dilemme, les patineurs ont besoin de compétitions pour garder des repères, surtout lors d'une année olympique. 

 

Les Espagnols Olivia Smart et Adrian Diaz sont 4èmes (118.87/196.96), ce qui les qualifie pour les Jeux Olympiques au détriment du couple Hurtado/Khaliavin. Il y a plus original que "Le Masque de Zorro", mais la prestation est impeccable : bonne interprétation, même si le thème est facile voire bateau,  avec beaucoup de conviction et d'ardeur. Chaque battement de musique est marqué par un geste précis, du Gadbois dans le texte !. La blonde Olivia est aussi "caliente" que son ténébreux partenaire, et si l'ensemble ne révolutionnera pas l'histoire de la danse sur glace, il a le mérite d'être efficace. On entre facilement dans le jeu grâce au talent d'interprète des deux partenaires. Un point de déduction vient grever leur score, pour cause de chute, mais aucun des deux partenaires n'est tombé. Ils ont juste été victimes d'un léger déséquilibre sur la pose finale. En Mixed Zone, Olivia dit avoir "tout donné" sur la fin du programme, alors qu'elle était un peu crispée par l'enjeu au début. Quand je lui demande comment elle et Adrian vont se préparer aux Jeux Olympiques, elle répond en riant : "en s'entraînant comme d'habitude, mais en remettant un masque dès que nous ne sommes plus sur la glace !". Sage précaution. 

 

Sara Hurtado et Kirill Khaliavin sont 2.80 points derrière leur compatriotes dans cette danse libre et 5.89 au total, différence parfaitement justifiée. Si leur thème est infiniment plus original - deux morceaux de Led Zeppelin - l'exécution est elle, très en dessous de leurs possibilités. Pourquoi avoir choisi Led Zeppelin pour en faire cette prestation sans saveur ? Sara arbore une robe noire ultra sobre qui serait jolie, si le décolleté en forme de flèche ne pointait pas ostensiblement, et donc maladroitement,  vers son entrejambe. Elle semble toujours être aussi furieuse contre quelqu'un. Tout est sensuel dans son allure et sa façon de patiner, son expression n'en est que plus surprenante. Elle parvient néanmoins à sourire, enfin, sur la dernière partie, très rock, du programme. Mais on continue de ne voir qu'elle, Kirill étant totalement effacé et beaucoup moins bon technicien et interprète.  Sans doute eux aussi crispés par l'enjeu de la qualification olympique, ils patinent tous les deux sur la réserve alors que, n'ayant plus rien à perdre puisqu'ils sont déjà derrière Smart/Diaz après la RD, c'est le moment où jamais de se donner en plein. La stratégie ne va d'ailleurs pas payer. Ils sont 5èmes de la danse libre (116.07), mais 6èmes au classement général (191.60). Alors que Sara est une danseuse pleine de talent et de personnalité, et dotée d'une plastique superbe ce qui ne gâte rien en danse sur glace, je trouve que ce couple stagne depuis le début de son association. 

 

Les Espagnols se font doubler au total des points (196.01)  par les Britanniques Fear/Gibson. Ceux-ci vont patiner l'échauffement de six minutes sans quitter leur masque, ce qui doit être physiquement éprouvant. Ils ont choisi le thème du "Roi Lion" et je trouve leur programme très générique, même s'il est cohérent et assez bien réalisé. 

 

Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud sont 9èmes de cette danse libre (108.12) ainsi qu'au classement général (178.34), ce qui est un excellent résultat pour une seconde participation à des championnats d'Europe. Tous les spécialistes s'accordent à les voir comme les prochains grands danseurs français. Leur programme sur "Adagio" et "Palladio" a encore mûri depuis les championnats de France. "On ne peut pas dire que ça a été facile, mais on est contents", raconte Geoffrey en Mixed Zone. "Techniquement, on a encore des niveaux un peu bas, mais on va travailler dessus et s'améliorer. On a beaucoup privilégié le travail des gestes et des expressions ces derniers temps, il faut qu'on arrive à concilier les deux". Quand je leur rappelle qu'il y a quelques semaines, ils m'ont dit espérer faire un top 12, tandis que leurs coaches visaient un top 10, ils rient tous les deux : "Et oui, on a fait encore mieux !" Prévus remplaçants pour les Jeux Olympiques et les Championnats du Monde (où la France n'a plus qu'un quota), ils vont continuer de s'entraîner, la saison n'est pas terminée.  

 

Loïcia Demougeot et Théo Le Mercier perdent une place par rapport à la danse rythmique, doublés par les Britanniques Fear/Waddell,  pour terminer 16èmes (162.77), mais sont 15èmes de la danse libre (98.22), dans laquelle ils battent les Polonais Kaliszek/Spodiryev, auteur d'un programme franchement loupé et victimes d'une chute sur une pirouette. En Mixed Zone, ils sont souriants et détendus, bien qu'un peu déçus d'avoir reculé d'un rang. "On a beaucoup travaillé ce Bolero avec notre chorégraphe Laurie May, car c'est un morceau linéaire et répétitif. Il faut donc travailler chaque geste dans le détail pour donner du relief à l'ensemble. En résumé, nous sommes contents de nos premiers championnats d'Europe. On s'est qualifiés pour la danse libre, on n'a pas été trop mauvais, alors qu'on a atterrit là presque par hasard au dernier moment, sans même avoir le temps de se préparer !"

 

En accès virtuel : Kate Royan - S.I.G. ©