© Kate Royan - S.I.G.
Adrien vient juste de terminer son programme libre. Son dernier. Très ému, il a les larmes aux yeux. Mais n'est pas triste. Au contraire ! Il sourit, il joue de l'auto-dérision, et surtout, il fourmille de projets.
Adrien Tesson : Pas de bol, je me suis bloqué le dos ce matin à l'entraînement. J'ai été obligé d'aller voir le kiné et je suis sous anti-inflammatoires. On ne pourra pas dire que j'ai patiné mon dernier libre dans des conditions optimales ! Je suis pourtant arrivé prêt, physiquement j'étais bien. J'ai mis le double Axel et la combinaison de triples en premier sauts par prudence. Je voulais terminer sans trop me prendre la tête. Même si ça n'a pas payé je ne regrette rien. OK, j'aurais peut-être aimé partir sur un meilleur résultat [6ème du libre et 7ème du classement général]. Mais je me suis demandé longtemps si ça valait le coup de venir ou pas, et je n'ai pas voulu finir en baissant les bras. Allez, je vais dire que la performance me satisfait même si les notes ne sont pas là. J'ai patiné pour moi et pour le public.
Kate : C'est vraiment la der des ders ? Ce été, tu parlais d'une éventuelle prolongation en patinant pour la Belgique.
Adrien : Trop compliqué. C'était prendre beaucoup de risques sans être sûr que ça en vaille la peine, il y avait trop de questions sans réponses. A vingt-quatre ans, il est temps que je rentre dans la vie active.
Kate : Justement, tu as déjà étudié ta reconversion ?
Adrien : J'ai fait une licence STAPS à l'INSEP, je peux être préparateur physique et sportif, ce que je fais déjà, pendant quelques temps j'ai fait les deux : m'entraîner et travailler. Je vais passer un diplôme d'état pour être entraîneur. Je termine en juin et je vais aussi me lancer dans une formation de spécialiste technique. C'est un tournant important dans ma vie, mais c'est toujours dans le patinage. Je suis intéressé par tous les aspects du monde de la performance. Je travaille déjà en tant que chorégraphe et coach, et ce qui m'anime le plus c'est vraiment d'enseigner la technique. J'aime et j'aimerai aussi monter des programmes. Je pense que j'irai dans la direction qui s'offre le plus facilement à moi. Pour le moment, je me laisse la possibilité de tout essayer et de faire un choix plus tard. Il y a aussi le monde du show qui m'attire...
Kate : Et tu es très doué pour ça.
Adrien : On me le dit souvent. Je prends aussi beaucoup de plaisir à patiner dans des shows. Mais c'est beaucoup plus ponctuel. Pour l'instant je suis jeune, mais on n'en fait pas une carrière, surtout en Europe. En ce moment, je suis un peu au four et au moulin, mais j'adore ça, je suis hyperactif, ça me convient bien !
Kate : Géographiquement, tu te situes où pour tout ça ?
Adrien : Pour l'instant dans la région parisienne. A Champigny, le club qui m'a accueilli ces dix dernières années, qui m'a soutenu moralement et financièrement, qui m'a vraiment accompagné. Donc j'ai envie de faire un petit bout de chemin avec eux, histoire de rendre ce qu'on m'a donné. Mais c'est pareil, je ne suis sûr de rien. Est-ce assez intéressant financièrement parlant, est-ce que ça correspond à tout ce que je veux faire ? Mon objectif n'est pas d'être seulement entraîneur dans un club, c'est vraiment de travailler dans la performance, sur du haut niveau. Si le projet du club est en adéquation, je fonce. Advienne que pourra. Je peux très bien partir. Ou pas. On verra !
Kate : Pour revenir sur ce qui est le passé depuis déjà quelques minutes, quelle différence y a t'il entre travailler avec Annick Dumont et Claude Péri ? [Adrien a dû quitter Annick Dumont lorsqu'elle a pris ses nouvelles fonctions à la FFSG pour éviter un éventuel conflit d'intérêt].
Adrien : Il n'y a pas eu de grand changement. Je ne suis pas resté longtemps à Bercy et la seule chose différente a été l'émulation. J'ai été moins seul, il y avait Romain [Ponsard]. Je suis passé d'une structure où j'étais seul à un groupe avec une dynamique. C'est vraiment la seule chose qui m'avait manqué à Champigny ces deux dernières années. A notre âge, l'entraîneur est là pour nous poser, nous calmer, nous mettre en confiance. Il a moins un rôle d'enseignant qu'au début de nos carrières, donc il n'y a pas eu de changement significatif.
Kate : Tu te vois comment en coach ? Dur ? Gentil ?
Adrien : Un mélange des deux, un juste milieu. Je suis quelqu'un qui a pas mal d'empathie. J'arrive assez facilement à comprendre ce qu'un athlète peut ressentir. J'ai ma propre expérience de patineur pour ça, je suis capable de mettre quelqu'un en confiance, mais je sais aussi que pour faire performer un athlète, on a besoin d'une certaine autorité, d'établir un cadre et des règles. Il faut arriver à équilibrer le côté "je comprends, c'est dur, tu fais des sacrifices, tu as des coups de mou", mais si l'athlète veut faire de la performance, il ne peut pas se laisser aller, sinon il reste un patineur de loisir, pas un compétiteur.
Kate : Je te connais un peu et je pense que ça t'ira très bien.
Benjamin Noël [Passion Patinage] : On te sent ému mais en même temps ça y est, tu as l'air d'être prêt à tourner la page.
Adrien: Ce n'est pas comme si je ne m'y étais pas préparé ! Dans ma tête je savais que c'était ma dernière saison, même si cet été on a discuté de mes projets un peu dingues. A l'époque je ne savais pas encore vers quoi j'allais aller, mais je savais que ce serait la fin d'une ère. En gros, depuis 2018, je me suis dis, allez je me relance jusqu'aux prochains Jeux, peu importe ce qu'il se passe, sélection ou pas sélection. J'ai déjà commencé ma reconversion donc ça ne va pas non plus être un changement brutal, un complet bouleversement. J'écris un nouveau chapitre que j'avais déjà anticipé. Aujourd'hui la transition est faite, voilà, je passe de l'autre côté de la barrière.
Kate : En tout cas, tu finis sur un très beau "Tango de Roxanne". C'est pourtant un morceau qu'on entend très, voire trop régulièrement dans les patinoires mais tu as su te l'approprier...
Adrien : Pendant les nombreux confinements, quand on ne pouvait pas accéder à la glace, j'en avais parlé avec Annick qui était encore ma coach. Il y avait des années que je voulais patiner sur cette musique mais je ne le lui avais jamais dit. Cette musique, on l'a entendue des millions de fois et j'avais quand même des hésitations. Annick m'a répondu : "c'est ta dernière année, l'occasion où jamais de faire ce que tu veux". Je me suis dit : oublie les autres et ce qu'ils ont fait, choisis ce qui t'inspire. C'est aussi pour cela que j'ai fait appel au chorégraphe Mahil Chantelauze de Villard de Lans. L'an dernier, le travail qu'il a fait en danse avec Adelina Galyavieva et Louis Thauron était formidable. Justement sur "Carmen" qu'on a déjà entendu des milliers de fois. Ne serait-ce que dans la recherche musicale. Je suis resté baba. La danse est un sport que je ne connais pas très bien, mais là, réussir à nous faire accrocher sur une musique qu'on a entendue et ré-entendue ? C'était un exploit et j'ai tout de suite pensé : c'est lui qu'il me faut pour Roxanne ! Il m'a apporté une autre dynamique, des mouvements plus contemporains, une recherche très poussée. Il est jeune, il a déjà beaucoup d'idées très intéressantes, il n'est pas encore très connu ce qui évite que tout le monde le sollicite et du coup ses tarifs restent abordables (rires). Et je crois bien que je n'ai jamais une saison aussi régulière sur mes programmes libres. D'accord, comme d'habitude j'ai fait des erreurs (rires), mais je ne suis jamais passé complètement à côté de mon programme comme il m'était arrivé de le faire par le passé.
Kate : On te revoit l'été prochain à Courchevel sur ta trottinette ? (rires)
Adrien : J'espère bien !
Propos recueillis par Kate Royan - S.I.G. ©