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L'avant-dernière concurrente vient de terminer son programme libre. Je me retourne vers mon voisin de tribune, Hiro Yoshida, journaliste du site Europe On ice.
- She is phenomenal.
Il est tout à fait d'accord, c'est le mot qui convient. Alena Kostornaïa est phénoménale. Sur un savant mélange de "The Meadow" d'Alexandre Desplat (bande originale du film "La Nouvelle Lune"), "Eyes on Fire" de Blue Foundation (bande originale du film Twilight) et "Supermassive Black Hole" de Muse, registre d'abord tout en douceur, puis de plus en plus rythmé, pour finir sur un vrai rock bien décapant, la petite Moscovite vient de réaliser une prestation nette et sans bavure - à l'exception d'une carre douteuse sur son flip. Elle a vraiment tout pour elle : la grâce, la légèreté, la fluidité, l'énergie, la musicalité, un vrai sens artistique et une technique à toute épreuve. Un vrai bijou, poli aux bons soins de l'école Tudberidze bien sûr. Triple Axel/double boucle piqué Tano, triple Axel, double Axel, triple boucle, triple flip/triple boucle piqué Rippon, triple flip/Euler/triple Salchow, toute la panoplie des sauts y passe, et un brio exceptionnel. Plus question de parler de pure technicienne qui présente le minimum syndical côté composantes (reproche souvent fait aux élèves de Sambo 70), Alena est une patineuse complète et brillante. Avec 159.45 pour le seul programme libre, elle surpasse de loin son aînée, Alina Zagitova et la relègue à près de 18 points (141.82), et de 20 en TES. La championne Olympique en titre est quasiment à la rue et ne conservera sans doute pas son tire à Pékin dans deux ans, si toutefois elle est toujours là. A l'allure où les jeunes Russes poussent et fleurissent, il n'est d'ailleurs pas sûr qu'Alena Kostornaïa n'y soit non plus. Aujourd'hui notre adorable petit requin dévore tout le monde, mais demain ? Qui aura les plus longues dents et les plus acérées dans le bassin à remous où éclosent sans arrêt les redoutables trouvailles de Madame Tutberidze ?
Si Alina Zagitova nous offre aujourd'hui un festival, c'est celui des sous-rotations. Elle qui sait si bien les dissimuler d'habitude, n'est pas au mieux de sa forme. Le jour de la distribution des musiques, elle a eu moins de chance que sa compatriote. On lui a recyclé un curieux mix oriental plutôt daté de "The Feeling Begins" de Peter Gabriel, "Lawrence d'Arabie" de Maurice Jarre, et "Ramses" de Kathir Hicham. Je trouve Alina peu à l'aise et très stressée. Une vue de l'esprit parce que je ne l'aime guère dans ce registre ? Peut-être. Mais le visage figé de la jolie Russe évoque assez peu Cléopâtre, titre du programme. Elle, dont je comparais hier le physique à celui de Madison Chock, sur une musique orientale de même type, n'a rien de la présence rayonnante, ni de la sensualité de l'Américaine (il est vrai qu'elles n'ont pas le même âge et n'évoluent pas non plus dans la même discipline). Alors qu'elle est d'habitude si gracieuse, certains des gestes d'Alina, pas aboutis, trop brusques, donnent à l'ensemble une impression de précipitation. Sur la glace avant ses deux rivales directes, Kostornaïa et Bell, aléa du tirage au sort, elle n'a pas de point de repère et commet de nombreuses d'erreurs. Triple Lutz en sous-rotation retourné soit une ligne de GOEs négatifs, combinaison double Axel/triple boucle piqué Rippon en sous-rotation également. Le triple Salchow Rippon et le double Axel solo - précédé d'une jolie, mais trop courte spirale Charlotte en transition - passent sans souci, mais Alina est encore, et deux fois, en sous-rotation sur triple Lutz (avec carre douteuse)/double boucle piqué. Elle se reprend avec un spectaculaire triple flip Rippon/Euler Tano/double boucle Rippon, et un bon triple flip. Tous ses autres éléments sont de niveau 4. 141.82 l'amènent à la 3ème place du libre et à la seconde du classement général avec 216.06, soit de nouveau près de 20 points derrière sa cadette. Ce n'est certainement le résultat qu'elle attendait.
Mariah Bell n'aura rien lâché dans cette compétition. 3ème du programme court, elle s'offre le luxe de battre Alina Zagitova aujourd'hui avec 142.64 et une prestation presque parfaite. Sa seule erreur ? Une sous-rotation sur le triple Lutz final. Après Britney Spears, elle évolue à présent sur "Halleluja" de Leonard Cohen, interprété par K.D. Lang, le tout chorégraphié par Adam Rippon. Toujours aussi pétillante, le plus joli sourire du patinage américain enchaîne triple flip/triple boucle piqué, triple boucle, triple Salchow, double Axel, triple flip/double boucle piqué/double boucle, triple Lutz/double boucle piqué, triple Lutz solo (incomplet). Ouf, c'est fini, tout le monde peut respirer. Elle est, à mes yeux, la plus élégante, la plus expressive et la plus "juste" des trois patineuses qui vont monter sur le podium grenoblois. Il n'y a jamais un geste de trop chez Mariah, jamais une mimique surjouée. Rien non plus du patinage à l'américaine trop lisse, un brin soporifique, qui a fait les beaux jours de la discipline. La jeune femme est toute en vécu et en sensibilité. Sous son apparence angélique et fragile se cache un diablotin espiègle, doté d'une énorme volonté et d'une vraie solidité physique et morale. Elle remporte une très belle médaille de bronze avec 212.89. Comptablement parlant, c'est une excellente affaire qui pourrait la qualifier pour la Finale prévue le mois prochain à Turin.
Avant la compétition, j'aurais parié gros sur Kaori Sakamoto en la pronostiquant devant Mariah Bell sans sourciller. Après le programme court qu'elle a terminé 6ème, je pense que ce Grand Prix sera pour elle très vite à oublier. Tout faux. Il y a des erreurs dans son libre mais... Kaori lutte bec et ongles pour remonter au classement. Dans un costume, comme celui de Brian Joubert il y a quelques années, très inspiré du personnage de Matrix dans le film éponyme et sur sa B.O., elle attaque par un double Axel et un triple flip/triple boucle piqué d'anthologie. La Japonaise ne saute ni très loin, ni très haut, mais sa technique est efficace. Du moins au début... Elle réceptionne son Triple Lutz sur la mauvaise carre. Triple Salchow, le triple boucle de la combinaison avec double boule piqué et le triple boucle final sont tous en sous-rotation, au contraire de sa très belle combinaison double Axel/triple boucle piqué/double boucle piqué Tano. Il en faut du muscle pour enchaîner autant de rotations quand on a peu de détente et qu'on couvre peu de surface. Pourtant, Kaori ne patine jamais en force. Il y a quelque chose d'à la fois académique et rafraîchissant dans sa façon d'évoluer. 135/16 et un total de 199.24 la classent 4ème.
La "Danse des Sept Voiles" de Richard Strauss. Salomé tentant de séduire son beau-père Herode pour le convaincre de décapiter Saint Jean Baptiste. Tout un programme, au propre comme au figuré. Le thème paraît difficile, voire un brin glauque, mais Starr Andrews s'en sort très bien. Elle est fine, délicate et sait très bien jouer de ses longs membres déliés. Son libre s'ouvre par une séquence chorégraphique bien trop longue à mon goût, puis les difficultés s'enchaînent sans réellement suivre les mouvements de la mélodie. L'ensemble manque de transitions, qui se résument à des longueurs de patinoire en croisés, avant de longues préparations de sauts. Ce sont d'ailleurs ses composantes les plus basses. Triple boucle piqué/triple boucle piqué, triple flip en sous-rotation avec chute, triple Lutz éclaté en simple, triple boucle/double boucle piqué réussi, double Axel/Euler/triple Salchow en sous-rotation, triple boucle en sous-rotation. Les éléments ne sont donc pas très bons et les composantes reflètent ce dont je parlais plus haut, à savoir un patinage à l'américaine conventionnel et maintenant daté. Starr est néanmoins 5ème du libre (113.95) et du classement final (180.54), perdant une place par rapport à la veille.
Nicole Schott la suit à un peu plus d'un point : 112.46. "Brush on Silk" de John Williams, "Oogways Legacy" de Hans Zimmer, "Crouching Tiger Hidden Dragon" de Tand Dun, l'Allemande compile trois bandes originales de film : "Mémoires d'une Geisha", "Kung Fu Panda" et "Tigre et Dragon". L'élève de Michael Huth, ancien coach de Carolina Kostner, paraît nettement plus à l'aise que dans son programme court sur le blues de Beth Hart. Ses mouvements sont plus amples, son programme plus cohérent. Mais pas exempt de bévues : triple flip largement retourné et triple boucle/double boucle en sous-rotation. Autant de points qui s'envolent mais tout le reste est bon : double Axel, triple flip/double boucle piqué, triple boucle, triple Salchow/double boucle piqué/simple boucle. Nicole est en forme et gagne quatre places pour terminer 6ème du libre et 7ème au total (166.89).
Retour au classique hispanisant pour Wakaba Higuchi avec "Poeta" de Vicente Amigo. Plus expressive et explosive que Sakamoto, Wakaba réussit son double Axel mais chute à la réception d'un triple Lutz en sous-rotation. Elle se perd un peu en route avant de réaliser un très bon triple Salchow. Double boucle, double Axel/triple boucle bouclé retourné, triple flip éclaté en simple, triple Lutz/double boucle piqué. Ce n'est pas du grand Wakaba. Elle descend de deux places pour n'hériter que de la 7ème du libre (109.34) et la 6ème du classement général (174.12), juste devant Nicole Schott.
Léa Serna patine sur "Light of the Seven", superbe musique de Ramin Djawadi, illustrant l'épisode N° 10 de la sixième saison de "Game of Thrones". Le thème est sombre et difficile. Léa, concentrée sur ses difficultés techniques, a un peu de mal à le vivre et à l'interpréter. Sa première combinaison, triple Lutz/triple boucle piqué se termine en sous-rotation. La suivante, triple flip/double boucle piqué/double boucle est quasi impeccable si l'on omet un léger déséquilibre en réception. Le double Lutz est timide et noté par six 0 contre deux +1 et un -1. Le double Axel lancé à vitesse insuffisante, est atterri sur deux pieds. Un triple flip/double boucle piqué trop hésitant lui fait perdre de nouveaux points. Son triple Salchow est nettement accroché et en sous-rotation avec rupture d'équilibre. Déstabilisée et manquant visiblement de condition physique, Léa ne parvient pas à déclencher un second double Axel qui est invalidé. Derrière sa barrière, Brian Joubert, décoloré en gris-blond, n'a pas l'air follement heureux, au côté de son élève dans le Kiss and Cry. Le programme est techniquement ambitieux et ce n'est que la seconde participation de Léa à un Grand Prix. 8ème du libre (103.59), elle est aussi 8ème au final (166.02).
Elle bat donc Maé-Bérénice Meité sur ce segment de la compétition. 9ème avec 101.10, Maé a connu des jours meilleurs. Aucun saut ne va lui sourire à part sa combinaison d'entrée double Axel/triple boucle piqué/double boucle piqué, et un double Axel solo. "Hometown Glory" d'Adele lui va aussi bien que le "Mas Que Nada" des Black Eyed Peas, mais dans un tout autre registre. Après Maé sensuelle et solaire, voici Maé douce-amère romantique. Et Maé malchanceuse. Chute sur le triple flip, chute sur un double boucle parti en travers, quasi chute sur triple Lutz et élément invalide sur le triple Salchow/double boucle piqué (puisque c'est le troisième), soit quatre déductions. Le genre de chose qui ne pardonne pas. Dommage car le programme est extrêmement bien construit et chorégraphié pour mettre au maximum ses qualités en valeur. Maé est 10ème de la compétition avec 157.45. Elle peut faire beaucoup mieux que cela et est la première à le dire. Ce qui ne passe pas aujourd'hui passera demain n'est-ce pas ?
Yuna Shiraiawa - qu'un monsieur, accompagné de ses enfants (et qui s'est donc trompé de tribune celle-ci étant résevée aux medias) s'obstine à stupidement appeler "Chiuahua" jusqu'à ce que je lui enjoignes de se taire -, vêtue d'une somptueuse robe gris taupe et bordeaux ornées de franges et de brillants, n'est pas dans un bon jour non plus. 7ème du court, elle plonge à la 10ème place du libre, sous la barre des 100 points avec 98.59, et termine 9ème au total (161.71). Carre douteuse et sous-rotation pour son triple Lutz/double boucle piqué, la jeune fille qui effectue ici sa première saison en Seniors, collectionne les "carottes", surnom du petit signe qui symbolise les sous-rotation dans les protocoles. Une première pour son triple Lutz donc, puis pour son triple boucle, son triple flip, son second double Axel, et le triple Salchow du 3S/Euler/double Salchow. Il ne manque qu'un poireau pour faire une soupe. Ses composantes sauvent ce programme patiné cependant avec conviction sur la B.O. de "Amen" de Fred Amar.
Je crains que nous n'ayons définitivement perdu Maria Sotskova qui, il n'y a pas si longtemps, figurait parmi les meilleurs patineuses européennes. Qui a eu l'ide saugrenue de la faire patiner sur la bande originale de "50 Nuances de Gris" ? La jeune fille à l'allure réservée et timide, presque effacée, a à peu près autant de chance de pouvoir interpréter un thème "hot" que moi de réussir un triple Axel. Ca ne l'aide certainement pas à se sentir à l'aise dans ses patins. Le montage musical est, de plus, raté, avec un blanc au milieu et un enchaînement hasardeux. Lourdement handicapée par la dernière place du court, il est très vite clair qu'elle va la conserver car pas un seul de ses sauts ne passe. Ils sont absolument tous dégradés pour sous-rotation, ou chute, ou les deux. Elle commet aussi l'erreur de remettre un triple boucle en quatrième élément, alors qu'elle l'a déjà effectué un quelques secondes avant. "REP", combinaison invalidée par une ligne de -5, la deuxième d'affilée. Elle se retrouve avec quasiment 20 points de moins en TES qu'en composantes, c'est un massacre. Elle a beau essayer de jouer de son charme (et Dieu sait qu'elle en a) et de séduire à grands coups de tête et d'effets de queue de cheval, avec un petit peu de "O Face"* pour corser l'ensemble, elle n'a pas l'air plus convaincue que ça par l'exercice. Pourtant on la devine jouant le tout pour le tout, avec beaucoup de courage et de détermination. Mais trop tard. En bord de piste, son entraîneur et son chorégraphe, curieusement, se congratulent. Dans le Kiss and Cry, Maria sourit, un sourire qui ne montera pas jusqu'à ses yeux de chien battu. Même si je n'ai jamais été une inconditionnelle de son style ultra-classique, je suis triste pour elle car je crains qu'on ne la revoit plus. La jeune patineuse a toujours ses belles lignes et sa souplesse, mais la Maria que nous connaissions a disparu.
Sur place : Kate Royan
* O Face : expression anglophone qui évoque sourire forcé lèvres arrondies mimant un "oh" de surprise ingénue et/ou extatique