En marge de la finale du Grand Prix, nous avons rencontré les danseurs canadiens Laurence Fournier Beaudry & Nikolaj Soerensen. Après une deuxième place au Grand Prix d'Angers et une
victoire au trophée NHK, il s'agissait de leur première qualification à la finale.
Solène : Comment allez-vous ?
Laurence : Très bien ! Nous sommes contents d'avoir participé à la première finale du Grand Prix de notre carrière. C'est un bel objectif d'accompli.
Solène : Cette saison, en plus de vous qualifier pour la finale, vous avez même gagné un Grand Prix. Est-ce que vous pensiez que cela arriverait dès cette année ?
Nikolaj : Quand nous avons fixé nos objectifs l'été dernier, j'ai annoncé que je voulais gagner un Grand Prix. Laurence m'a dit "Pourquoi ne veux-tu pas gagner les deux ?".
Nous avons vraiment bien travaillé cette année et nous sommes heureux de cette victoire au trophée NHK. Nous nous donnons à fond pendant nos entraînements et prenons beaucoup de plaisir.
Laurence : Nous avions beaucoup de pression lors des deux dernières saisons : une pression extérieure mais aussi une pression qui venait de nous-mêmes. Nous n'avons pas pris
beaucoup de plaisir entre 2020 et 2022. Quand nous avons fait le bilan après les championnats du monde de Montpellier 2022, nous avons décidé que nous voulions prendre plus de plaisir à
l'entraînement. Évidemment il faut travailler, mais nous voulions moins de pression et plus de plaisir.
Nikolaj : Nous sommes très durs avec nous-mêmes, mais nous avons réalisé que nous avions déjà des entraîneurs dont la mission est d'être durs avec nous. Nous n'avons pas
besoin d'être durs aussi avec nous-mêmes (rires). L'année dernière était particulièrement difficile : la pression des Jeux Olympiques, le COVID... C'était très stressant. Nous avions peu de
compétitions mais beaucoup de temps à la maison pour réfléchir et du coup pour stresser. Nous nous entraînions avec onze couples qui allaient aux Jeux Olympiques, dont trois qui voulaient
gagner. Nos entraîneurs étaient stressés aussi. Je vais être honnête, j'ai failli arrêter après les championnats du monde. Finalement nous avons décidé de continuer mais à la condition que ce
soit vraiment différent cette année et que nous prenions du plaisir.
Laurence : Nous avions cet objectif phare d'aller aux Jeux Olympiques. Une fois cet objectif accompli, il était important d'identifier clairement nos raisons de continuer.
Nous réfléchissons à ces sujets avec notre préparatrice mentale et nos entraîneurs. Finalement, en nous mettant moins de pression, nous patinons mieux. C'est plus fluide et notre
communication est meilleure.
Solène : Comment vous voyez-vous dans la hiérarchie mondiale de la danse sur glace ?
Nikolaj : Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron sont absents, Madison Hubbell et Zach Donohue ont arrêté leur carrière. Les Russes sont également absents. Cette saison est
enthousiasmante car nous avons eu la preuve au trophée NHK que tout était possible. Avant d'arriver au Japon je sentais que nous pouvions gagner. Nos entraînements se passaient bien. Nous
avons une énergie différente, je pense que tout le monde le voit, que ce soient nos entraîneurs ou nos parents. Mes parents me disent "Qu'est ce qui se passe ? Tu es différent".
Laurence : C'est une année de transition avec des portes qui s'ouvrent. Les niveaux des meilleures danseurs sont proches et la performance du jour J a beaucoup d'impact sur
le résultat final.
Solène : Le Canada a plusieurs couples de haut niveau. Comment le vivez-vous ?
Laurence : Très bien ! C'est pour cela que nous continuons à patiner. Nous sommes heureux de faire partie de cette équipe.
Nikolaj : Nous avons de très bonnes relations avec les couples canadiens et les couples de l'Ice Academy de Montréal. Nous voyons beaucoup Madison Chock et Evan Bates en
dehors de la glace. C'est motivant d'être sur la glace avec ces couples. Nous sommes amis avec Charlène Guignard et Marco Fabbri et je me demande souvent comment ils font pour s'entraîner
seuls en Italie. Cela nous arrive parfois, quand nous passons une semaine au Danemark, environ tous les deux ans, et nous ne trouvons pas cela facile du tout.
Laurence : Au Canada il y a beaucoup de compétitions nationales. C'est fun et cela nous prépare bien aux compétitions internationales. Cela prépare bien la relève aussi !
Solène : En parlant de relève, il y a un couple de danseurs canadiens juniors à cette finale, Nadiia Bashynska et Peter Beaumont. Les connaissez-vous ?
Nikolaj : Ils s'entraînent à Toronto avec la même équipe que Piper Gilles et Paul Poirier. Nous les connaissons peu mais nous les avons vu patiner à Turin, ils sont très
bons. Ils ont beaucoup de potentiel et patineront sûrement chez les seniors l'année prochaine. Ils sont prêts. Maintenant nous sommes "les vieux". Nous sommes dans la catégorie senior depuis
très longtemps. Pour te donner un exemple, lors de notre premier championnat du monde senior, Nathalie Péchalat, Fabian Bourzat, Anna Cappellini et Luca Lanotte étaient sur le podium.
Laurence : Nous avons l'habitude de patiner uniquement entre seniors. A la finale, les juniors viennent voir nos entraînements. Nous ne nous identifions pas comme des mentors
mais c'est intéressant d'avoir les deux catégories dans la même compétition.
Solène : Nikolaj, tu as connu l'Ice Academy de Montréal à ses débuts. Tu étais leur premier patineur international. Comment perçois-tu l'évolution de cette école ?
Nikolaj : Je suis arrivé fin 2010. D'ailleurs cela ne s'appelait pas l'Ice Academy de Montréal à l'époque. Marie-France Dubreuil et Patrice Lauzon avaient commencé à
entraîner à Gadbois en septembre 2010. Ils n'avaient pas de couple international, seulement quelques couples canadiens. Il s'agissait des couples de Pascal Denis à l'origine. Je suis arrivé
avec mon ancienne partenaire canadienne. Sara Hurtado et Adria Diaz sont venus deux semaines l'été 2011. Tu étais là aussi Laurence je crois ? Tu t'entraînais seule avec nous.
Laurence : Oui je venais deux fois par semaine à Gadbois.
Nikolaj : L'ambiance était différente, nous patinions tous en même temps puisque nous n'étions pas nombreux. Laurence et moi avons commencé à patiner ensemble en 2012. A la
même époque, Sara et Adria ont décidé de s'installer à Gadbois. Gabriella et Guillaume sont venus en 2014 car Patrice connaissait bien Romain Haguenauer. Nous avons fait nos premiers
championnats du monde avec eux en 2014. Ils étaient 13èmes et nous 29èmes, nous n'avions pas obtenu la qualification pour la danse libre. L'année suivante ils ont gagné mais nous étions
11èmes donc finalement nous avons eu une meilleure progression qu'eux puisque nous avons gagné 18 places et eux 12 (rires).
Laurence : Madison et Zach ont rejoint Montréal à ce moment-là. L'équipe d'entraîneurs s'est agrandie. Notre entraîneuse de danse de salon qui ne venait qu'occasionnellement
est venue plus régulièrement. Une professeur de théâtre est venue ensuite, puis un autre entraîneur de danse.
Nikolaj : Notre école est plus structurée qu'avant, mais l'ambiance est restée familiale. Il y a quelque chose que je n'arrive jamais à expliquer sur l'ambiance à l'Ice
Academy de Montréal. Marie-France et Patrice ont créé un climat particulier où il n'y a pas de place pour une concurrence malsaine. Si un couple arrivait et ne respectait pas cela, cela ne
fonctionnerait pas avec eux. Nous chérissons cette ambiance. Nous ne serions pas restés dix ans sinon !
Solène : Vous faites partie des rares patineurs à avoir participé aux championnats d'Europe et aux championnats des Quatre Continents, puisque vous avez d'abord représenté le Danemark
puis maintenant le Canada. Est-ce que les championnats d'Europe vous manquent ?
Nikolaj : Ah oui, ils nous manquent beaucoup !
Laurence : Les Quatre Continents sont une belle compétition, mais ce n'est pas pareil. Les championnats d'Europe ressemblent aux championnats du monde, avec beaucoup de
patineurs et un planning similaire sur la semaine. Le niveau des championnats d'Europe est très haut.
Nikolaj : En plus, nous aimions faire cette compétition avec Gabriella et Guillaume.
Solène : Lilah Fear vous décrit comme le Ying et le Yang. Qu'en pensez-vous ?
Nikolaj : Oh j'avais oublié ça (rires). C'est probablement vrai...
Laurence : Nous avons des personnalités assez différentes.
Nikolaj : C'est pour cela que ça fonctionne ! On ne s'ennuie jamais.
Laurence : Nikolaj est assez impulsif. Il prend ses décisions rapidement alors que je suis plutôt patiente.
Solène : Nous réalisons cette interview en Français, mais est-ce que vous parlez Français ou Anglais ensemble ?
Laurence : Nous parlons moitié Français, moitié Anglais.
Nikolaj : Laurence aime bien me parler un peu en Danois aussi.
Laurence : Mais tu ne me réponds jamais en Danois !
Nikolaj : Parfois sur la glace, Patrice me parle Anglais et je lui demande de me parler Français. C'est sûrement parce qu'il entraîne beaucoup les couples américains, il a
l'habitude de travailler en Anglais.
Laurence : Marie-France nous parle Français généralement. Romain nous parle toujours Français. Il parle même Français à Lilah et Lewis (rires).
Solène : Nikolaj, quelle était ta motivation pour apprendre le Français ? Ce n'était pas forcément nécessaire dans une ville aussi internationale que Montréal.
Nikolaj : Je viens du Danemark, pays où les enfants sont encouragés à apprendre à la fois l'Anglais et le Danois. C'était naturel pour moi d'apprendre le Français lorsque je
me suis installé à Montréal. C'était une conviction personnelle. D'ailleurs, à Montréal, le sujet de la langue française est sensible.
Laurence : Il gronde nos amis anglophones de Montréal qui n'ont pas appris le Français ! Je me souviens que lorsqu'il débutait en Français, il n'arrêtait pas de répéter le
nom des stations de métro de Montréal en imitant la voix qui fait les annonces.
Nikolaj : Je n'ai pas étudié le Français, je l'ai appris sur le tas. Mon Français n'est pas parfait du coup... J'ai entraîné des enfants à la patinoire et je devais leur
parler Français. J'avais moins peur de faire des erreurs devant les enfants, cela m'a aidé à briser la barrière de la langue. Aujourd'hui je fais encore des erreurs mais je m'en
fiche ! Si tu me comprends c'est le plus important.
Laurence : Tu fais peu d'erreurs... Mais parfois tu dis des mots très mignons comme "guigot" d'agneau.
Nikolaj : J'ai appris quelque chose récemment : comme on dit "l'épaule" je pensais qu'on disait "l'écoude" alors que c'est "le coude" (rires).
Solène : Dernière question, nous avons beaucoup parlé de la France, mais nous sommes actuellement en Italie. Préférez-vous la nourriture française ou italienne ?
Laurence : Oh... C'est difficile. Quand nous étions au Grand Prix d'Angers, nous avons acheté plein de fromages et de charcuterie ! Puis nous avons fait des tartines de
fromage dans la chambre d'hôtel (rires). A Turin nous avons essayé de trouver de la stracciatella.
Nikolaj : Disons égalité entre nourriture française et italienne !