Magnifique dans une robe noire aussi sobre qu'élégante, immense sur ses hauts talons, taille mannequin et un grand sourire aux lèvres, accompagnée de son agent, Maé est rayonnante. Hors glace, ce qui frappe le plus chez la jeune femme est son aisance, sa grande culture et sa brillante intelligence. Patineuse talentueuse mais aussi une "tête", bien remplie et bien posée sur les épaules. Elle sait ce qu'elle veut, et elle le dit.
Kate : Commençons par le registre sportif. Où en es tu de ta récupération suite à ta blessure [rupture du tendon d'Achille l'an dernier aux championnats du Monde de Stockholm], de ton entraînement ?
Maé Bérénice Meité : J'ai passé la phase de récupération de la technique des sauts, tout est là. Je peux de nouveau passer des combinaisons triple/triple. Mais je n'ai repris vraiment que depuis deux mois et j'ai encore un léger déficit musculaire au mollet. Ca a eu un gros impact au début car, concrètement, je ne pouvais pas faire de pirouette debout, de pirouette allongée, de double Axel départ à l'arrêt. J'ai beaucoup travaillé pour regagner de la masse musculaire mais ce n'est pas encore totalement là. Mais je peux tout de même patiner sans problème majeur et je suis en train de récupérer la partie cardio, la condition physique, qui justement m'ont manqué pour participer aux championnats de France. Je pense qu'avec un petit mois de plus, ça aurait pu marcher.
Kate : Comment t'es-tu retrouvée en Italie, chez Lorenzo Magri pour ton entraînement ?
Maé : J'ai fait mes petites recherches pendant ma longue convalescence. J'ai eu largement le temps de réfléchir. Je voulais aller dans un centre basé en Europe mais toujours en collaboration avec Silvia Fontana et John Zimermann aux Etats-Unis. J'ai maintenant un bon groupe connecté et complémentaire.
Kate : Tu es donc à Egna. Ca se passe bien ?
Maé : C'est génial. Tout est top : le staff technique, l'administratif, tout est fluide entre les intervenants. Je suis au sein d'un super groupe, avec beaucoup de jeunes et des patineurs de haut niveau. On effectue un travail très complet : cours de ballet, cours de stretching, préparation physique.
Kate : Sur les réseaux sociaux, il y a peu, tu n'étais pas très optimiste, tu craignais de perdre ton statut de sportive de haut niveau.
Maé : Ca, c'est le côté caché de la scène et j'aimerais bien que les gens sachent un peu ce qui se passe.
Kate : Comment gagne t'on le statut de sportive de haut niveau et, à l'opposé, comment le perd t'on ?
Maé : Pour être sportive de haut niveau, il faut participer à des compétitions de référence. Ce qu'on appelle les compétitions de référence, pour nous ce sont les Grand Prix, la Finale des Grand Prix, les championnats d'Europe et du Monde. Il s'avère que cette année, j'ai des "circonstances atténuantes" car je n'ai pas pu concourir en début de saison. Je n'ai pas non plus pu participer aux championnats de France qui permettent d'être qualifiable à la seconde partie de saison, soit les deux grands championnats internationaux. Je n'ai pas fait ces championnats de France, donc je ne suis pas éligible. Mais... Il existe des modalités, et les fameuses circonstances particulières comme, justement, les blessures.
Kate : Ce n'est, en effet, pas comme si tu avais décidé de prendre une année sabbatique !
Maé : Non et je compte bien continuer. Je ne vais pas m'arrêter sur une blessure aux championnats du Monde.
Kate : Alice, la photographe de S.I.G. et moi, exerçons des professions médicales dans le civil, nous étions en "remote access" devant notre écran pendant ces championnats, et en te voyant, nous avons tout de suite pensé à un problème au tendon d'Achille, du fait que tu ne puisses plus prendre appui sur ton pied.
Maé : Alors par contre, moi, je n'ai rien compris à ce qui m'arrivait (rires). Tout s'est passé très vite. Je me suis dit : tu n'es pas tombée de toute la semaine sur ce saut, tu tombes pendant la compétition, tant pis, relève toi, ce n'est pas fini, on se bat jusqu'au bout quoi qu'il arrive ! Et quand j'ai essayé de reposer mon pied : impossible. J'avais l'impression d'avoir des talons hauts dans mes patins ! Je voulais absolument continuer d'avancer, je pensais, technique, règlement, je perds 5 points. Si je m'arrête, pas de qualification aux J.O., je dois absolument continuer ! Mais je ne peux pas prendre appui sur ce pied, qu'est- ce que je fais, je vais voir le juge arbitre, personne ne bouge... Il m'est passé un million de questions par la tête en quelques secondes. Je me suis finalement résolue à aller le voir. Il m'a demandé si je voulais quelques instants pour reprendre mes esprits et repartir. "Ah non Monsieur, là je ne peux pas, quelque chose ne va pas du tout avec mon pied, je ne peux pas continuer". Il m'a proposé de l'aide pour sortir de la glace, mais avec le Covid, les soignants hésitaient, on y va, on n'y va pas, on a le droit ou pas, comment fait-on avec les distances de sécurité ? Donc j'ai dit : OK je peux patiner jusqu'à la porte de sortie. C'est malencontreux, mais tout arrive pour une raison ! Ensuite le diagnostic a été posé, je suis rentrée en France, opération, immobilisation, etc.
Kate : Tes objectifs sont donc maintenant de reprendre le plus vite possible.
Maé : Tout à fait. Mais j'écoute beaucoup mon corps. Je n'ai plus seize ans, il faut savoir quand y aller ou quand renoncer. Ne pas faire ces championnats de France a été une décision difficile. Mais on n'a qu'un seul corps, j'ai besoin du mien, et il y aura d'autres occasions de patiner. Je touche du bois ! J'ai en vue les compétitions de seconde partie de saison, les séries B. J'essaye de me préparer pour ça et d'être au taquet pour les opportunités qui se présentent !
Son agent intervient : Mais tu n'es pas non plus restée sans rien faire pendant ta convalescence, tu as avancé sur des projets...
Maé : Oui ! J'avais du temps, beaucoup de temps ! J'ai validé mon Master et écrit mon mémoire sur le thème de la performance sportive et du management. J'ai étudié la culture française et je me suis penchée sur cette dichotomie qu'il y a entre performance et gestion. Ce qui m'a inspiré des projets d'entreprenariat incroyables ! J'ai étudié ce qui existait, ce qu'il manquait et je me suis aussi basée sur mon expérience personnelle. J'ai lancé un projet en cours de développement qui s'appelle "Visio Planner". En résumé, ce sera un outil de management par une patineuse pour des patineurs. C'est un concept dans lequel je créé des outils digitaux. Je ne vais pas tout dévoiler non plus car il y aura un lancement officiel. L'exemplaire que je vais sortir va servir aux patineurs, mais je veux établir un catalogue d'outils digitaux qui va servir aux chefs d'entreprises qui ont besoin de gérer leur business, puisque que ma formation initiale, c'est cela : un Master en Business et Management. Je veux mettre à profit mon expérience sportive mais aussi ce que j'ai étudié. En parallèle, j'ai été acceptée dans un "business accelerator", celui du Yunus, en partenariat avec le Comité International Olympique. Ils nous donnent l'opportunité, à nous sportifs, d'avoir accès à tout ce qui est entreprenariat. Ils aident les sportifs de haut niveau à préparer leur après carrière, ou à construire leur carrière. Ils nous offrent les outils nécessaires pour tout ce qui est marketing et management. Comment créer son entreprise, comment trouver l'idée, comment prospecter, bref tous les fondamentaux dont on a besoin. Ensuite, et c'était une opportunité réservée exclusivement aux Olympiens, on avait la possibilité de présenter notre projet. C'est ainsi que j'ai été acceptée dans leur "business accelerator", pour six mois, de septembre à février. Là, on développe le projet à fond, on a un mentor qui nous recommande, qui est dans notre branche de spécialité par rapport à notre projet, on passe par toutes les étapes du business plan. Je suis en plein dedans aussi et j'espère que c'est un projet qui va voir le jour pour de bon très rapidement.
Kate : Pas trop difficile de tout gérer quand tu vas reprendre les compétitions ?
Maé : Non, justement, puisque j'ai crée des outils pour ça, j'applique ma propre méthode pour gérer mes journées. J'espère que cela pourra ensuite servir aux autres. Tout est question d'organisation ! Quand je vais reprendre l'entraînement de façon plus intense, la priorité restera le patinage. Mais ça fait du bien de pouvoir s'évader un peu et de penser à autre chose. J'ai déjà lancé une première version avec une athlète de haut niveau qui est maintenant dans la gestion de patrimoine. Comme je disais, "Visio Planner" se décline pour les professionnels et les particuliers. Elle m'a expliqué son besoin et je lui ai dit que je pouvais peut-être l'aider à mieux gérer sa clientèle, avec un outil connecté. On a rassemblé toutes nos idées, on a réfléchi aux outils qui seraient les plus optimaux pour son entreprise et ça a créé un petit bijou qu'on a appelé le "Budget Planner".
Kate : Un "think tank" à toi toute seule donc ?
Maé : (rires) Je n'irai pas jusque là, mais avoir des idées, monter un projet, le mettre en pratique, c'est passionnant, enrichissant et j'avais vraiment besoin de concrétiser ça. Mais on va me revoir sur la glace le plus vite possible !
Propos recueillis par Kate Royan - S.I.G. ®