Programme court Seniors Dames
Le vivier russe semble, depuis quelques années, inépuisable chez les jeunes filles. Parmi elles, Alisa Fedichkina n'est pas la moins talentueuse. Avec un programme court patiné tout en douceur sur La Fantaisie N° 3 en Ré Mineur de Mozart (version du Mayfair Philarmonic Orchestra), elle prend une sérieuse option pour une troisième victoire consécutive à cette Coupe de Nice. Tout est aussi délicat qu'efficace chez cette demoiselle : gestes ciselés, robe marine relevée de quelques brillants, technique pointue et quasi irréprochable. Prudente, elle entame son programme par un double Axel, mais tous ses éléments sont de niveau 4, et sa combinaison triple flip/triple boucle piquée et son triple Lutz lui valent un bonus (même si le Lutz n'est pas très net en réception). Avec un total de 65.89, elle laisse Xiangning Li à 5.44 points. La musique sature dans les hauts-parleurs et les violons du "Love Theme" de Cinema Paradisio grincent, avant de virer au strident sur le programme de la Chinoise. Son physique filiforme est un atout pour les difficultés techniques qu'elle enchaîne sans problème : triple flip/double boucle piqué, triple Lutz (qui prouve une fois de plus que les juges ne voient pas tous la même chose - leurs notes vont de +1 à -2) et double Axel, avant une pirouette cambrée qui témoigne d'une flexibilité exemplaire : Xiangning est en caoutchouc ! Elle est seconde avec 60.45 points.
L'Allemande Nicole Schott, qui effectue ici sa rentrée, se classe 3ème (58.35) en patinant sur la bande originale du film Mission, "Nella Fantasia" : belle combinaison triple boucle piqué/triple boucle piqué, mais elle pose une main à la réception du triple boucle et du double Axel. Après avoir rapporté une qualification pour les J.O. à l'Ukraine, Anna Knychenkova confirme sa bonne forme du moment. Elle termine 4ème (57.46) avec double Axel, triple boucle piqué/triple boucle piqué et triple Lutz sur une musique de Flamenco. Bien que le thème soit, en patinage, usé jusqu'à la trame, j'ai apprécié le "Tango de Roxanne" de la Britannique Natasha McKay (53.99). Elle est rapide, volontaire, c'est une bonne interprète, et si son programme ne sera pas techniquement irréprochable, il a le mérite d'être bien construit et convaincant. Triple boucle/double pique piqué, triple Salchow, double Axel, mais des points de perdus sur la Flying Sit Spin. Petite anecdote : son coach, sous couvert de l'applaudir, lui indique le nombre de tours à effectuer dans ses pirouettes en frappant dans ses mains ! C'est prohibé par le règlement et gros comme le nez au milieu de la figure, mais tout entraîneur à le droit d'applaudir son élève et ne peut être sanctionné pour cela !
Micol Cristini, l'Italienne, aurait pu être mieux classée que 6ème (50.98), si elle n'avait pas effectué un simple Lutz (saut invalide) après avoir bien débuté avec triple boucle piqué/triple boucle piqué. Julie Froestcher est 12ème (48.43). Le thème hispanisant, "Ameksa", par les Taalbi Brothers, lui va très bien, mais rien ne lui sourit aujourd'hui : une collection de 0 récompense sa combinaison triple Lutz/double boucle piqué, et elle chute sur sa triple boucle en sous-rotation. Je trouve ses composantes un peu sévères, et, à la lecture des protocoles, elles sont surtout hétéroclites. En gros, personne n'est d'accord : de 4.75 à 7 sur l'ensemble. Pauline Wanner, qui fêtera ses 16 ans demain, n'est pas exactement dans un bon jour : combinaison triple boucle piqué/double boucle piqué hésitante, double Lutz invalidé, chute. Le très bluesy "Black Tears" de Imelda May met pourtant en valeur sa grâce, et, en seconde partie, "Johnny got a Boom Boom" de la même artiste, sert à merveille sa vitesse de déplacement ainsi que la hauteur et la longueur de ses sauts. Ca bouge vite et bien. Les mêmes sauts passent à l'entraînement et l'échauffement sans problème, avec des réceptions glissées et silencieuses. Ne reste plus qu'à les "fixer" en compétition. Pauline n'est pour l'instant que 16ème avec 44.03 points. La troisième Française, Sandra Ramond, se classe juste derrière elle (42.10), après une performance un peu difficile sur "Burlesque" chanté par Cher : chute sur un triple Lutz incomplet, seulement triple boucle piqué/double piqué au lieu de deux triples et double Axel "Tano".
Sur place : Julien Levacher et Kate Royan ©
Programme libre Seniors Messieurs
Les temps changent... Dans les tribunes, d'anciens danseurs devenus coaches échangent leurs impressions : Pasquale Camerlengo, Fabian Bourzat, Greg Zuerlein, Maurizio Margaglio et son ancienne partenaire Barabara Fusar-Poli, Olivier Schönfelder ; mais aussi d'anciens individuels, Viktor Petrenko, Tomas Verner. Pendant ce temps, des Turcs tentent, voire réussissent, des triples Axels ! Le premier sur la glace, Artan Engin Ali, dans une tenue très années 80, nous inflige une nouvelle fois "The Mission", mais nous gratifie d'un joli triple Axel. Il terminera 12ème du libre et 13ème du général. Il est talonné dans le libre, à un peu plus d'un point, par son compatriote Burak Demirboga, dont le sommet de la chevelure, d'un beau gris-vert façon plâtre, évoque les joies imminentes d'Halloween, et qui le double au classement général en finissant 12ème. Le jeune homme est physiquement à court après 2 minutes 50 de programme, mais il a une jolie glisse, un vrai talent d'interprète et la chanson "Grande Amore" de Il Divo est un bon choix musical. Bien sûr, de sous-rotation en erreur de carre, le niveau technique n'est pas très brillant, mais les deux jeunes gens sont très loin d'être ridicules sur la glace. Qui aurait cru qu'un jour, le patinage turc aurait le vent en poupe ?
Han Yan patine vite. Très vite. Trop vite ? Erreur sur le triple flip et le triple boucle, répétition du flip et une chute au milieu de la séquence de pas qui surprend tout le monde, lui le premier. Ce sont les composantes qui le sauvent (85.72). Logique. C'est un patineur sensible et expressif. Moi qui ne suis pas fan de blues, je trouve son "I'll take Care of You" (Beth Hart et Joe Bonamassa) très intéressant sur le plan chorégraphique et très bien réalisé. Niveau technique, ses sauts ont une telle ampleur qu'on l'imagine facilement y ajouter un tour supplémentaire. 165.38 points dans le libre lui rapportent 259.67 au total et bien sûr, une large victoire.
Jorik Hendrickx semble nerveux avant de monter sur la glace. Il sautille et trépigne. "Aranjuez" par Il Divo, le thème de son libre est très (trop ?) proche de celui de son court, et fait appel aux mêmes qualités artistiques. Il sera un de mes coups de coeurs de cette compétition même si je trouve son jeu dramatique un peu "facile", car il tire une nouvelle fois sur la corde sensible : voix de ténor, romantisme triste. Le contenu technique du programme est dense : triple Axel/double boucle piqué, triple Axel (accroché), triple Salchow, triple Lutz/triple boucle piqué, triple Lutz, triple flip, double boucle/double boucle piqué, double Axel. Et si certains de ses concurrents sont physiquement grillés à mi-programme, Jorik quitte la glace frais comme un gardon. Très solide athlète ! Il est néanmoins loin de Yan en matière de points : 157.63 pour le libre, 236.65 au total. Mais il décroche une jolie et très méritée deuxième place.
Peter Liebers, 4ème du programme court, gagne une place pour monter sur la troisième marche du podium (145.43/223.44). Je n'ai jamais été vraiment séduite par son patinage et je le dis franchement : "La Liste de Schindler", thème sinistre s'il en est, finit par m'assommer, d'autant plus qu'on l'entend systématiquement sur la glace depuis la sortie du film. En 1993. Vingt-quatre ans de costumes gris et d'interprétations plus ou moins réussies, quand ce n'est pas totalement à côté de la plaque. Liebers, qui est un "acteur" moyen mais crédible, a le bon goût de... ne pas en manquer et de ne pas tomber dans la caricature ou le drame à outrance (ce qui revient au même). Mais était-il vraiment nécessaire d'ajouter du Rachmaninov - pas vraiment le plus joyeux des musiciens - en deuxième partie de programme, au risque de déprimer la patinoire entière ? J'ai du mal à comprendre les 76.72 points qui lui sont accordés en composantes. Mais il est vrai que je suis hermétique à son patinage, que je trouve froid et académique. Techniquement parlant, je lui reconnais tout de même de belles qualités. Il en faut pour tenter quadruple boucle piqué (en sous-rotation d'où chute), et réussir triple Axel/double boucle piqué, triple Lutz, double Axel, triple Lutz/boucle/double Salchow, triple flip, triple boucle piqué/double boucle piqué et, pour finir, double Axel.
Tout à fait entre nous, je crois que j'en veux un peu à Liebers d'avoir chipé in extremis cette troisième place à Romain Ponsart ! ;-) "Natural born skater", né pour patiner. Moulin Rouge, la voix enjôleuse d'Ewan McGregor, et un quadruple boucle piqué d'anthologie en ouverture de programme. Le ton est donné. L'entrée en grand aigle sur le triple Axel reste un de mes éléments préférés de ses programmes. Mais les choses se gâtent un peu avec une seconde tentative de quadruple boucle piqué (répétition, danger !), un triple Lutz en sous-rotation assorti d'une chute et un Axel simple. Restent tout de même triple boucle, triple Lutz/triple boucle piqué et triple Salchow. Les composantes auraient pu (dû ?) sauver cette troisième place. Tant pis. L'essentiel est de retrouver la confiance, de se booster pour les compétitions à venir. Romain atterrit au pied du podium (143.48/215.79) mais gagne trois places, par rapport au programme court. Au passage, il bat un médaillé de bronze olympique !
Parlons-en du médaillé olympique : au 5ème rang donc (142.03/214.51), voici un Denis Ten, pas plus en réussite que la veille, hélas. Tout va plus au moins de travers sur ses sauts, que ce soit le quad Salchow du début (GOE négatifs, pourtant il me semblait nickel), jusqu'au double Axel de la fin, en passant par un quadruple boucle piqué en sous-rotation, de même que sa combinaison triple boucle piqué/boucle/triple Salchow. Mais sur le plan artistique... Ten ne patine pas, il vole. Quel incroyable touché de glace, quel légèreté ! Et sa musique, "SOS d'un Terrien en Détresse", interprétée par un de ses compatriotes issu d'une télé-réalité, est une réussite totale, émouvante, prenante. Où et comment finir avec des composantes plus de 20 points supérieures à la note technique !
He Zhang n'aura pas tenu la pression. Second du programme court, il dégringole à la 8ème place du libre (130.96) pour terminer 6ème du général (212.71). Pour commencer, le thème de Shéhérazade n'est pas ce qui convient le mieux à un homme. A part interpréter Shahryar, le roi de Perse, personnage très sympathique qui fait exécuter toutes ses épouses qu'il juge sournoises... Or notre ami Zhang ne nous interprète rien du tout. Il court après son programme et sa musique, loupe quasiment tous ses sauts - déductions sur quad Salchow, triple Axel, triple Lutz, triple Lutz/simple boucle piqué, double boucle, triple flip avec carre douteuse, double Axel/boucle/triple Salchow et enfin une répétition intempestive de triple Axel qui lui vaut - 3 points. S'il existe un équivalent chinois de la Bérézina, on est en plein dedans. Les juges lui offrent un lot de consolation avec des composantes généreuses, mais ça ne sauvera pas ce programme qu'il lui faudra rapidement oublier !
Mon second coup de coeur de cette compétition, le Britannique Philipp Harris, est 7ème (136.26/208.97). Il patine très en musique sur un célèbre "Blues for Klook" d'Eddie Lewiss excellemment chorégraphié. Son style me rappelle celui de son compatriote Steven Cousins. A 3 minutes, rien ne va plus et malgré sa solide constitution physique, Harris semble s'essouffler. Alors qu'il a déjà été en délicatesse sur son triple Axel, il chute sur un triple Salchow et se voit infligé une déduction pour dépassement de temps.
Adrien Tesson est 11ème du classement général (175.87), comme du programme libre (116.35). Justement, il est si beau ce libre, au son de Amber Run et "I found". Chutes, répétitions de sauts se soldant par des invalidations, Adrien ne récolte que 54.85 points sur une base value qui en vaut 61.31. Pourquoi ses sauts, qui passent à l'entraînement, lui font-ils défaut dès qu'il est en compétition ? Manque de condition physique ? De préparation ? Annick Dumont n'a pourtant pas la réputation d'être un entraîneur qui prend ces éléments essentiels à la légère. Problème de confiance, de concentration ? Adrien a l'un des plus beaux programmes libres de cette saison, l'un des plus originaux et des plus émouvants. On y devine son implication personnelle, une envie de communiquer, une poésie. Trop de choses dans la tête et pas assez de jambes ? Espérons que la suite de sa saison lui apportera plus de succès. Joshua Rols perd 3 places par rapport au programme court et échoue à la 19ème du libre et du général (83.97/136.88). A la sortie de la glace, apparemment très mécontent de sa prestation, il repousse sèchement les protège-lames que lui tend son entraîneur. 12ème junior à la même compétition l'année précédente, il a de quoi être en colère contre lui-même. Mais comme on apprend de ses erreurs paraît-il... A noter que ce jeune homme a été, l'été dernier, 5ème aux Championnats du Monde de roller artistique.
Sur place : Kate Royan ©