Programme Libre Juniors Messieurs : Economidès loin devant
Fraîchement émoulu des rangs juniors, Luc Economidès conserve sa première place, mais sans briller. S'il ne cesse de progresser sur le plan artistique, l'aspect technique met du temps à suivre. Il paraît stressé, la réception de ses sauts est hésitante, il chute sur un triple Axel, sous-rotations, répétition... Il devancera tout de même Maxence Collet de près de 20 points sur le libre et de plus de 40 au total (122.83/195.81). Ce même Maxence Collet, qui, sur la superbe chanson d'AaRON, "Lili", récolte 99.43 (2 chutes et deux déductions) et la seconde place du classement général avec 150.13. Ce jeune garçon est pétri de talent mais, tout comme ses concurrents, il lui faudrait enfin faire preuve d'une technique fiable s'il veut figurer en bonne place des compétitions internationales. La bonne surprise vient de Lotfi Sereir qui se classe second du libre et passe de la 5ème place du court à la troisième du classement général (101.35/148.68). Plus tard, dans la soirée, lors du gala, un Luc Economidès totalement libéré va nous offrir un numéro de toute beauté, imaginatif, émouvant. Et sans une faute technique. La preuve, si besoin en est, qu'il a tout pour réussir, y compris la condition physique. Une performance sur laquelle s'appuyer quand, en compétition, le doute vous fait vous emmêler les patins et les idées.
Programme libre hommes seniors : Homme en noir pour Moulin Rouge
Le noir va décidément très bien à Romain Ponsart. Dans un costume éclairé de quelques sobres paillettes et d'une chemise blanche, l'élève de Rafael Arutunian, prouve encore une fois ses talents d'interprète sur "This is your Song". Côté technique, le jeune homme semble encore en rodage. Sa première tentative de quadruple échoue (classée triple boucle piqué dégradé), et il replace le saut après la séquence de pas, mais chute. Par contre, triple Axel, triple boucle, triple Lutz, triple Salchow, toute la panoplie est là, y compris une combinaison triple Lutz/double boucle piqué. Romain va devoir sérieusement s'atteler à la réalisation de combinaisons triple/triple et d'un quad fiable s'il veut pouvoir s'illustrer en compétition internationale. Il remporte néanmoins ces Masters avec 137.97 points dans le libre et un total de 205.02.
Fin touché de glace, et feeling à fleur de peau sur "I found" d'Amber Run, Adrien Tesson est tout aussi artiste. Mais des lacunes techniques l'empêchent encore et toujours de scorer. Le triple Axel qu'il passe à l'entraînement lui fait subitement défaut. Sous-rotations, sauts dégradés dont un pour erreur mathématique (répétition), erreur de carre, rotations simples, les erreurs s'accumulent et le bilan est mitigé. A court de forme physique ? Dommage car Adrien améliore chaque année la dimension artistique de ses programmes. Il termine second du libre (113.14) et de la compétition (175.94).
Des erreurs, Philip Warren va, lui aussi, en commettre un wagon. Son medley de Coldplay ne me convainc pas vraiment. Il chute sur sa tentative de quad Salchow, perd des points avec son triple Axel, son triple flip (faute de carre), sa Flying Sit Spin, et sa pirouette combinée avec changement de pied, pour terminer sur un simple Salchow. Sa combinaison triple Lutz/double boucle piqué/double boucle ne lui rapporte quasiment rien, et il s'en sort grâce à un triple Lutz, un triple Axel/double boucle piqué et un double boucle. C'est maigre, d'autant plus que le patineur est doté d'une détente exceptionnelle et d'une puissance musculaire que beaucoup peuvent lui envier. Il termine 3ème du libre (108.74) et monte sur la troisième marche du podium (165.32) près de 40 points derrière Romain Ponsart. Chafik Besseghier, victime d'une pneumonie, Kevin Aymoz qui tente de guérir une blessure mal soignée, le patinage masculin français est en proie à de sérieux soucis... Espérons que la suite de la saison permettra d'y remédier.
Libre dames seniors : Maé ressuscitée.
Surtout, ne jamais croire que Maé-Bérénice Meité va se laisser abattre ! Elle nous le prouve encore aujourd'hui. Malgré un genou resté fragile après blessure, elle assure. Double Axel, triple flip/double boucle piqué (en sous-rotation), triple Lutz, triple Salchow, double Axel/triple boucle piqué , triple Lutz (répété : erreur), triple boucle. Tout ne passe pas sans heurt, mais elle se bat, et passe de Chopin à Pharell Williams avec une aisance déconcertante. Je ne suis pas emballée par un tel contraste musical mais le pari est osé et elle le remporte haut la main. 113.50 points récompensent sa prestation et lui permettent de remporter ces Masters avec un total de 162.16.
Laurine Lecavelier est, au classement général, à moins d'un point de Maé. 0.74 très exactement. Plus tendue sur un medley des chansons de Marilyn Monroe que sur la musique d'Ashram, - et dans une robe presque identique à celle que portait la célèbre actrice dans "The Seven Year Itch" - Laurine entame son programme par un triple Lutz magistral. "By the book", à montrer dans les écoles de patinage. La suite sera moins brillante. Manque de netteté à la réception des sauts, deux chutes dont une plutôt étonnante sur un triple boucle piqué, Laurine n'en perd pas pour autant sa glisse, sa grâce et sa détermination. Ca ne suffira hélas pas à dépasser Maé qui l'a précédée sur la glace et qui a rapidement remonté les points perdus au programme court. Maudit soit ce tout petit 0.74 , elle était partie pour gagner. Le libre ne lui rapporte que 108.33, plusieurs niveaux étant étonnamment bas. Elle termine seconde avec 161.42. Mutine, sexy, enjôleuse et tendre à la fois, le rôle de Marilyn lui va très bien. Il ne lui reste plus qu'à s'en persuader !
Autant le dire tout de suite, que ce soit comme genre de film ou sur le plan musical, "La La Land", sorte de monde des Bisounours pour adultes, n'est pas ma tasse de thé. Mais... De tous les patineurs qui ont opté pour ce thème cette saison, c'est Léa Serna qui s'en sort le mieux. Vive, gracieuse, efficace, elle obtient d'excellents niveaux (4 pour les pirouettes, 3 pour la séquence de pas), ce qui compense un peu les erreurs techniques commises, essentiellement des sous-rotations. Elle remporte une jolie troisième place (105.17/148.51), de quoi la réconcilier avec son propre patinage après sa saison un peu loupée l'an dernier.
A son entrée sur la glace, le public applaudit et encourage Julie Froetscher. Qui fait une faute de carre ou accroche une aspérité et s'étale de tout son long sur la glace. Je crains une seconde qu'elle ne se soit fait mal, mais elle se relève, s'ébroue, et agite un doigt sentencieux, s'interdisant de s'arrêter à un tel incident de parcours. Dans la même tenue exotique que l'an passé, Julie patine sur les Quatre Saisons de Vivaldi. Plus les années passent et plus je lui trouve un physique à la Carolina Kostner, fine, élancée, avec de longs membres déliés dont elle devrait apprendre à tirer meilleur parti. Redresse tes épaules Julie, tiens-toi droite, lève les yeux, ta haute taille est un atout, tu es taillée dans le solide tissu qui fait les grandes ballerines. J'aime la chorégraphie de son programme (signée Benoît Richaud), intelligemment travaillée pour mettre son élégance naturelle en valeur. Atteinte, comme la plupart des patineurs de ces Masters, mais à un moindre degré, par l'épidémie de sous-rotations qui sévit on ne sait pourquoi à Villard de Lans (manque de préparation ? condition physique encore insuffisante ? Mais les patineurs ne sont-ils pas censés être prêts ?), Julie éclate son double Axel en simple, nous fait une petite "wrong edge" (autre épidémie du moment...), voit sa seconde combinaison invalidée, mais ses niveaux sont bons (3 et 2). Elle aussi vient seulement d'aborder les rangs seniors, c'est donc un bon résultat que cette quatrième place (96.25/139).
Danse Libre Senior : Beethoven revisité...
Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron prennent la glace et le temps s'arrête, on se laisse porter, c'est magique, hypnotisant, envoûtant, ces deux là sont presque des sorciers ! Comme leurs précédentes réalisations, leur "Moonlight Sonata" nous jette un sort. Ce qui me frappe cette année, c'est le contraste saisissant entre le classicisme quasi académique de la musique, et la modernité de leurs mouvements. Beethoven version rock, voire même Beethov version trash ? C'est, comme d'habitude, simple, évident, mais cette fois ça vous rentre carrément dedans. De la douceur oui, encore, mais aussi et surtout de la violence. Cette Sonate au Clair de Lune, je l'imaginais plus traditionnelle, le choix raisonnable et un peu couard d'un couple qui n'a cessé d'innover jusque là, mais qui devient prudent car il faut ramener une médaille dans cinq mois, et de préférence la plus prestigieuse. Tout en étant déçue, je leur aurais peut-être pardonné cette démarche circonspecte, calculatrice mais avisée. Un Mozart bis, sans l'effet de surprise, une valeur sûre.
Mais déjà, Beethoven n'est pas Mozart. Bleu marine et bleu roi, c'est du bleu. Mais ce n'est pas la même couleur. Beethoven et Mozart c'est du classique. Mais ce n'est pas la même musique. Ce soir Gabriella et Guillaume ont présenté un Sonate où chacun des mouvements de la mélodie parle d'un sentiment différent mais tangible, charnel. Les voici moins éthérés, plus sanguins, plus terrestres. Leur lecture de la musique est plus dépouillée encore, mais aussi plus acérée. Personne n'aurait l'idée d'associer la Sonate au Clair de Lune, symbole populaire de la promenade romantique de deux amoureux, à de la violence, de la tristesse, des sentiments sombres et exacerbés. D'ailleurs l'auteur n'a jamais expliqué clairement ce qui l'avait poussé à composer ce morceau. Certains pensent qu'il s'agit en fait d'une sorte de marche funèbre, inspirée par son amour impossible pour une très belle et inaccessible comtesse italienne. C'est cet amour exalté, rageur, vengeur, parce que voué à l'échec, que je vois à travers l'interprétation de Gabriella et Guillaume. On est loin de la délicatesse douce-amère de leur FD sur Mozart. On voyage entre élans de lumière et âpreté du désespoir.
Le porté/pirouette au changement de rythme musical est tout simplement fabuleux. Les twizzles sont vertigineux. Je n'ai jamais vu des danseurs sur glace patiner aussi près l'un de l'autre, on ne passerait pas une feuille de papier entre leurs patins respectifs. Pas une seule note de musique n'est laissée inexploitée, pas un seul mouvement n'est indépendant de la musique. Je voudrais pouvoir décrire ce programme de façon aussi précise et concise qu'eux le patinent. Ils ont encore gagné en fluidité, ce que je ne pensais pas possible. La perfection n'étant pas de ce monde, il reste bien sûr des détails à améliorer. Mais en cette année olympique, Gabriella et Guillaume sont prêts, ils possèdent déjà leur FD jusqu'au bout des patins. L'avalanche de 10 qu'ils reçoivent en composantes n'est sans doute pas justifiée et j'aimerais que l'habitude de surnoter passe à ses auteurs, car elle finit par nuire aux patineurs. Surenchère aussi ridicule qu'inutile. Avec 123 points glanés dans cette FD (record sans réelle valeur puisque donné par un jury français) , Papadakis/Cizeron sont bien sûr les brillants vainqueurs de ses Masters. Total : 203.54. Et une standing ovation. La première de la saison, sûrement pas la dernière...
Avec 99.17 et un total général de 160.41, le jeune couple Lauriault/Le Gac termine, logiquement, assez loin de leurs camarades d'entraînements à Montréal. Leur medley de Queen est, à mon avis, mieux patiné que leur SD. Plus de coeur, plus de tripes. On passe du très romantique "Take my Breath Away" au rock syncopé "Another One bites the Dust". C'est cette seconde partie qui est la mieux exécutée. Ils sont techniquement solides, rapides. Je ne suis pas fan d'un de leur portés, gymnique, compliqué, long et visuellement disgracieux. De bons niveaux et de bonnes composantes les font doubler Abachkina/Thauron pour prendre la seconde place du libre et de la compétition.
Comme ils doivent être déçus, Angélique et Louis, eux qui, pour leur première année en seniors, caracolaient en seconde position de la short dance. Lara Fabian s'époumone dans les hauts parleurs, mais ces danseurs sont peut-être encore un peu jeunes et frais pour traduire toute l'intensité et l'émotion de la chanson "Je suis Malade". Angélique redevient plus russe et théâtrale pour l'occasion mais aïe les twizzles, où et comment perdre une place au classement. Les autres niveaux sont bon (sauf la circulaire). Avec 95.93, et un total de 158.38, ils sont troisièmes.
Galyavieva/Abécassis ont conservé leur FD de l'an passé. Le patchwork musical est toujours un peu décousu mais ils savent s'appliquer et être convaincants. Un Pierrot tout en noir et une Colombine en tutu rose, pour une jolie free dance au cours de laquelle ils vont commettre quelques erreurs, et se verront sanctionnés pour un porté trop long. Ils sont derniers de l'épreuve avec 70.08, mais quatrièmes du classement final : 118.95.
Les Masters n'auront pas profité à Alessandrini/Souquet. Ce sont pourtant de très bons interprètes et la chanson "U-Turn (Lili)" de AaRON, si prenante, est pour eux un choix bienvenu car différent. Peut-être Lorenza se ressent-elle toujours de sa blessure de l'inter-saison, mais des niveaux inégaux et des erreurs techniques les bloquent en quatrième position du libre (73.87), pour un total de 117.06 et la queue du classement final. Il va leur falloir travailler d'arrache-pied pour retrouver un meilleur niveau en vue des Internationaux de France (15/17-11 à Grenoble) pour lesquels ils sont sélectionnés.
Sur place : Kate Royan ©