"That Man" mieux que Rachmaninov...
Il est né français, elle est née ukrainienne, ils sont naturalisés allemands, ils patinent sur un jazz-swing composé par un Hollandais qui lui a donné un titre anglais : "That Man". Et le cocktail est parfait. Savchenko/Massot n'ont pas été champions olympiques à PyeonChang par hasard. Ils ne prennent qu'un petit point et 69 dixièmes aux Russes Tarasova/Morozov, avides de revanche depuis leur 4ème place en Corée. Mais rien n'est jamais joué.
Les Italiens ne sont pas chauvins. Toute la journée, ils auront applaudi les leurs comme les autres et Savchenko/Massot déclenchent un concert de cris de joie. Ils sont, depuis le mois dernier, les meilleurs patineurs du monde et le public ne s'y trompe pas. Le programme est enjoué, entraînant, plein d'humour, les patineurs s'amusent et pourtant... toutes les difficultés d'un programme court sont là : triple twist, triple Salchow, triple flip lancé, tous les éléments de niveau 4 et, cerise sur le gâteau, deux 10 en performance, deux en composition et trois en interprétation. Pas le temps de respirer, tout va très vite, tout est propre, et quand la musique stoppe on est tout de suite en état de manque. On voudrait qu'ils continuent encore, et encore ! Aussi à l'aise dans ce registre léger et pétillant que dans l'émotion, ils suscitent un tonnerre d'applaudissements, les tribunes en tremblent. Leur total de 82.98 ne les met pourtant pas à l'abri de leurs premiers poursuivants. Vive le suspens ! Aljona :
- "Le but de l'opération était de faire un programme court propre, ce qui nous a manqué toute la saison. Pour nous, il est important de faire notre job. Ce sont les championnats du Monde, c'est une nouvelle compétition. Nous sommes champions olympiques mais les Jeux Olympiques c'était hier. Nous avons rangé notre médaille et nous nous concentrons sur la présente compétition". Bruno :
- "Nous avons patiné exactement comme nous le voulions. Nous sommes heureux de partager ce moment avec les fans qui ont fait le déplacement et qui n'avaient pas pu se rendre en Corée.
A côté des Allemands, Tarasova/Morozov, même s'ils sont tout proches niveau score (81.29), font pâle figure. J'ai toujours le sentiment, assez gênant, de ne voir patiner qu'Evgenia. Très bien d'ailleurs, mais où est Vladimir ? Il la porte, il la suit, mais totalement verrouillé sur sa concentration, il n'exprime rien, et c'est à la jeune femme seule que revient la lourde tâche de faire exister le couple sur la glace. Quand, de surcroît, le thème choisi est le Concerto N° 2 de Rachmaninov, dédié par le compositeur à son neurologue pour le remercier de l'avoir sorti de sa dépression... Le contraste avec Savchenko/Massot qui vont leur succéder sur la piste sera brutal. Il n'y a aucune erreur dans le programme des Russes, sauf celle de la juge N°1 qui leur attribue un 10.00 en performance et interprétation. Quelle interprétation ? Triple twist, triple boucle piqué, triple boucle lancé, tout est net, sans bavure, de même que les éléments. Mais la construction du programme, coupée en deux, tous les sauts en début de programme, tout le reste ensuite, ne fait rien pour animer cette prestation que j'estime peu convaincante sur le plan artistique. Vladimir (il parle !) :
- "Nous sommes satisfaits de notre programme. C'est la dernière compétition de la saison, et après les Jeux Olympiques, c'est très dur. Avoir pu patiner ainsi après cette longue saison nous fait plaisir. Nous sommes clairement ici pour prendre notre revanche après notre résultat des J.O. On verra bien ce qui se passe demain, on n'y pense pas, on patinera et voilà".
Il en va tout autrement avec James/Ciprès. Ils sont vivants, puissants, ils savent transmettre une vraie émotion. Parce qu'ils la ressentent. 3èmes avec 75.32 points, ils avouent eux-mêmes avoir été largement payés car ils ont commis des erreurs, dont une réception hasardeuse de triple Salchow pour Vanessa. Mais honnêtement ? On s'en moque. Si ces championnats doivent être leur dernière compétition, il faut profiter de chaque seconde. Triple twist très ample, triple flip lancé, que des niveaux 4 et un porté remarquablement exécuté. Il va falloir tenir dans le libre, ils en sont tout à fait capables. Vanessa :
- "J'ai été très surprise, positivement, que nous soyons classés 3èmes. Notre programme n'était pas "clean" mais nous nous sommes battus et nous avons tout donné, nous avons patiné avec tout notre coeur du début à la fin. Notre score est notre "season best" alors que nous avons fait des bêtises, ça montre que nous sommes maintenant dans la cour des grands je pense". Il serait sympa d'y rester encore quelques saisons Vanessa, s'il te plaît... Morgan :
- "Pour parler franchement, notre préparation a été mauvaise. Je me suis blessé au cou pendant un porté une semaine après les Jeux Olympiques. Je n'ai pas pu travailler pendant une semaine et demi et Vanessa s'est entraînée toute seule".
4èmes avec 74.38 points, le second couple russe, Zabijako/Enbert est à peine plus expressif que Tarasova/Morosov, mais le thème d'un "Eté 42", sentimental et poétique, est plus facile à interpréter, ils s'en sortent donc mieux. Ils peuvent encore espérer rejoindre le podium. Ce que je préfère dans le "Magnificat" chanté par Mina repris cette année par les Italiens Della-Monica/Guarise, c'est savoir que je l'entends pour la dernière fois ! Utiliser un chant religieux est en soit un effort d'originalité, et un pari risqué que les Italiens sont capables de relever. Le souci est du côté de l'interprète. La Lombarde est considérée comme l'une des plus grandes chanteuses de son pays, à juste titre dans les répertoires pop, jazz et même napolitain voire chanson engagée. Mais, bien que sa voix couvre trois octaves, la "diva assoluta" n'est hélas pas une chanteuse lyrique et "Magnificat" lui va comme irait du Maître Gims à Luciano Pavarotti. Ses envolées sont parfois à la limite de la fausse note, au contraire du patinage de Nicole et Matteo. Leur style athlétique peut ne pas plaire à tout le monde, mais au fil des années, ils n'ont cessé de progresser. 5èmes avec 72.53 points, ils ne vont rater que leur triple boucle lancé. Je préfère, aujourd'hui, leur élégante sobriété à l'exubérance de Marchei/Hotarek, 8èmes avec 71.37 points.
Des deux couples chinois, ce sont Peng/Jin qui prennent l'avantage avec leur swing revival sur "My drag" de Jimbo Mathus. Ils sont provisoirement 6èmes (71.98 pts) quand leurs camarades Yu/Zhang émargent en 9ème position (71.31). Mon coup de coeur de ce court couples va aux Canadiens Moore-Towers/Marinaro. Ils sont vifs, convaincants, et la version de "Sweet Dreams" d'Eurythmics, ici interprétée par la québécoise Terez Montcalm, leur va à la perfection. Ils sont 10èmes (70.49). Sur les 28 couples présents dans ce programme, seuls 16 sont qualifiés pour le libre de demain. Parmi eux les Américains Knierim/Knierim, gracieux, mais adeptes de thèmes trop fades (je les préférais sur "Nothing Else Matters" de Metallica, moitié violoncelle/moitié version d'origine) et les Nord-Coréens Ryom/Kim, techniquement un peu justes, mais aussi enthousiastes qu'intéressants sur du McCartney/Lennon à la sauce rock Jeff Beck. Les grands absents du libre seront les Canadiens Seguin/Bilodeau, auteurs d'un court catastrophique. Deux déductions pour chutes, entre autres erreurs, les relèguent à la 22ème place, très loin des classement dont ils ont l'habitude. Deux déductions également pour Esbrat/Novoselov, une chute et un dépassement de temps. Lola loupe son triple boucle et la réception du triple flip lancé, et termine son triple twist sur l'épaule d'Andreï. Dommage car les niveaux des éléments sont bons, le programme est intelligemment élaboré et la musique est belle ("La Calipha" d'Ennio Morricone par Yo-yo Ma). 25èmes avec 51.94 points, il leur faudra améliorer leur technique et leur mental avant de pouvoir espérer passer un "cut" mondial.
© S.I.G. - Sur place : Kate Royan