Réaction en Chen...
Nathan Chen est premier de ce court, avec, comme dans les précédentes épreuves, un écart de points négligeable (1.86) sur son premier poursuivant. Le début de son programme, sur "Nemesis" de Benjamin Clementine, révèle un talent artistique que beaucoup dénient à Nathan. Non, il n'est pas qu'un quadiste. Le geste est arrondi, délié, et colle aux variations de la musique. Côté technique, on est loin de la catastrophe coréenne et de la très inattendue 17ème place individuelle du court olympique. Mais tout n'est pas propre pour autant : points perdus sur la combinaison quad Lutz/triple boucle piqué et le quadruple flip, sur la pirouette sautée assise de niveau 3, des grades d'exécution assez bas sur le triple Axel. La préparation du quadruple, chronophage, casse l'harmonie du programme par défaut de transition. Le Californien (d'adoption) est néanmoins satisfait de ses 101.14 points :
- "Je suis content de la façon dont ces championnats commencent pour moi, surtout après mes deux programmes courts ratés des Jeux Olympiques [Nathan ne s'est pas non plus distingué dans le court de l'épreuve par équipe]. C'est super d'avoir de nouveau l'opportunité de patiner ce programme. J'espère vraiment me racheter ici. Au bout du compte, je suis fier de ce que je viens de réaliser. Je vais me préparer pour le libre et essayer d'être le plus propre possible. Pour ce qui est de ce que je vais réaliser, il faut que j'en discute avec mon entraîneur. Les choses peuvent changer, nous avons un jour de battement, ce qui nous laisse le temps de réfléchir".
Etrange d'entendre de nouveau le Concerto pour Piano N° 2 de Mozart, définitivement associé à Papadakis/Cizeron et à l'année de leur révélation. C'est un véritable monument auquel s'attaque Kolyada. Le choix pourrait sembler curieux pour un garçon si athlétique, mais Mikhaïl Sergeïevitch est une vraie âme russe. Il engrange un petit 0.79 de plus que Chen en PCS, un plus gros 2.65 de moins en TES. La différence se fait sur un quad unique, combiné avec un triple boucle piqué et la base value d'un quadruple Lutz/3T est de 3.3 inférieure à celle d'un 4T/3T. Le programme du Russe, pris en sandwich entre deux redoutables Américains, est cependant exempt de la moindre erreur. 100.08 points le classent au deuxième rang.
- "J'ai fait tout ce que j'avais prévu de faire, on a un peu allégé le programme et ça m'a réussi. Donc je suis content. J'étais d'humeur combative, j'ai fait ce que je sais faire de mieux. Je prévois de présenter le même programme libre qu'aux Jeux Olympiques. Pour monter sur le podium, en fait il faut... ne pas penser au podium !"
Le 3ème provisoire de ce programme court est Vincent Zhou, benjamin de la compétition (17 ans), sur "Chasing Cars" de Snow Patrol qui lui vaut 96.78 points. Deux quads pour lui aussi : Lutz combiné avec un triple boucle piqué et quadruple flip. Aucun des neuf juges n'est d'accord sur les grades d'exécution échelonnés de 0 à 2, sauf sur le fait qu'il ne mérite pas la note3. 3.3 points au total derrière Kolyada, il peut encore bousculer ses aînés, et surtout le "vieux" russe de 23 ans, celui-ci n'étant pas connu pour sa régularité.
- "Je suis venu ici avec l'idée de patiner un programme clean, j'ai réussi, et être dans les trois premiers c'est la cerise sur le gâteau [Parenthèse et métaphores pâtissières : il utilise en fait l'expression "icing on the cake", le glaçage sur le gâteau, sans équivalente française, que je trouve plus conforme à l'image évoquée. Une cerise n'est qu'une petite touche de décoration, un glaçage enrobe et habille...] Pour moi, il est très important de ne pas me focaliser sur le classement. Je me concentre sur mon patinage car c'est la seule chose que je peux contrôler. Pour ce qui est des quads, je vais m'en tenir à ce que j'ai tenté aux Jeux Olympiques. J'ai fait de bons entraînements et j'ai hâte de vous le montrer dans le libre".
Boyan Jin suit le second Américain de près, avec un score de 95.85. Sur la musique du film "Tigre et Dragon", le Chinois commence par un joli quadruple Lutz/triple boucle piqué, mais le quad boucle piqué qui suit est en sous-rotation. Ses éléments sont de niveau 4, sauf sa séquence de pas. Shoma Uno est à Milan pour remporter ces champions du Monde. Tout reste possible. Ou pas. 7.68 points de retard sur "Mr Quad Chen Reaction", ce n'est pas rien. De plus, le jeune homme au visage d'ange et à la coiffure ébouriffée est toujours handicapé par sa blessure à la cheville. Etonnant tout de même de le voir en 5ème position (94.26 pts). Quadruple boucle piqué d'entrée et tout va bien jusqu'à la combinaison qu'il tronque en triple Salchow/double boucle piqué dont la réception est instable. Il est évident que quelque chose cloche. Son triple Axel, réussi et bonifié lui évite de s'enfoncer plus loin au classement. A noter qu'il décroche la meilleure note de composantes du programme court, 46.36, ce qui n'a rien de surprenant. Shoma est, à Milan, le plus beau patineur à voir sur la glace malgré ses difficultés. Les "Quatre Saisons" de Vivaldi sont au patinage ce que le marronnier est au journalisme : une musique récurrente et prévisible. Sauf lorsqu'elle est patinée par les plus grands talents.
- "Malheureusement, je suis blessé. Je n'ai pourtant pas ressenti de douleur pendant mon programme, et je n'ai pas très bien compris ce qui se passait. Dans le doute, j'ai opté pour une combinaison plus facile. Je me suis senti très soutenu par tout le monde et j'espère pouvoir surfer sur cet élan dans le libre".
6ème avec 93.00 points, dans le Kiss and Cry, un chapeau de cowboy sur la tête, Keegan Messing est ravi. Il a raison. Programme propre, difficultés maîtrisées : quadruple boucle piqué/triple boucle piqué, triple Axel, niveaux 4, sauf la séquence de pas, et un triple Lutz avec bonus car réalisé en avant-dernier élément. Le très classique "Singing in the Rain" n'est pas exactement une nouveauté, mais le Canadien, entraîné dans les brumes froides de sa ville natale, Anchorage, par l'ancien patineur autrichien Ralph Burghardt, y met du coeur et de l'envie. Sur les sauts, sa vitesse de rotation est spectaculaire et elle l'emmène très loin. Le jeune homme, qui a commencé sa carrière par le patinage de couple avec Ellie Gottsein et a représenté les USA en tant que junior individuel jusqu'en 2014, est encore assez peu connu sur la scène internationale senior.
Bravo ! Voici qui résume parfaitement le programme de Romain Ponsart. Un seul mot : bravo. Il abandonne "l'Hymne à l'Amour" interprété par Johnny Hallyday au bénéfice du "Roi Arthur". La musique lui va aussi bien que le thème, il y a quelque chose d'un vrai monarque dans la posture de Romain sur la glace. Il est tous les personnages à la fois, depuis le Arthur en quête du Graal, à Vortigern, en passant par Sir Perceval et Uther Pendragon. Aucune faute dans ce programme, seulement quelques poussières d'accrocs. Qui, oeil acéré oblige, n'échappent pas aux juges. Le quadruple boucle piqué d'entrée reçoit des grades d'exécution négatifs, comme la combinaison triple Lutz/triple boucle piqué. Et c'est sans doute l'une des premières fois que les PCS du Français sont de presque 10 points (9.69) inférieures à ses scores techniques (qui à eux seuls le classeraient 11ème). Ses progrès sur les éléments sont évidents, ses notes de composantes sont un peu sévères. 16ème avec 79.65 points, il améliore son record personnel dans un programme court de... 15,74 points. Le dernier, 63.81, date du Grand Prix de France. Il n'aura donc fallu à Romain que cinq mois pour pour franchir un nouveau palier. Il devance des concurrents comme Michal Brezina, gagnant du bronze européen en 2013, ou Daniel Samohin, champion du Monde juniors en 2016. Ou encore Nam NGuyen, 5ème des championnats du Monde de Shangaï en 2015 et qui aujourd'hui, ne passe pas le "cut".
© S.I.G. - Sur Place : Kate Royan