La compétition se tient à la patinoire Yubileiny, qui abrite l'école de Tamara Moskvina, où tant de grands patineurs ont gagné tant de compétitions... Saint-Petersbourg est connue pour son formidable vivier : Urmanov, Yagudin, Plushenko, les couples Berezhnaya/Shikharulidze, Kazakova/Dmitriev, Mishkutenok/Dmitriev ; ainsi que pour d'autres patineurs qui ont trouvé le succès ailleurs, mais qui ont commencé leur carrière ici, pour ne parler que des plus récents : Enbert, Stolbova, Klimov, Trankov.
Ce sont ces messieurs qui débutent la compétition avec leur programme court. Ils sont 18 en lice pour la sélection de trois 3 places européennes et 2 places olympiques. Maksim Kovtun, le "mauvais garçon" du patinage russe, trois fois champions de son pays, termine son programme 16ème après avoir réussi une combinaison quadruple boucle piqué/triple boucle piqué propre, mais raté tous ses autres sauts. Il déclare immédiatement forfait pour le programme long, ce qui s'est déjà produit au Skate America. Kovtun a changé de coach cette année (il est à présent chez Inna Goncharenko) et se bat avec des blessures. Autre forfait à l'issue du programme court : Petrov, élève de Mishin à St Peterbourg. Un autre de ses poulains, Lazukin, très soutenu par le public, finit 5ème. Le "vieux" Sergeï Voronov, champion national en 2008 et 2009, est 4ème avec une jolie combinaison quadruple boucle piqué/double piqué, un triple Lutz et un triple Axel. Bien qu'il réalise un bon programme, ce n'est tout simplement pas suffisant pour battre le jeune patineur local Dmitri Aliev, entraîné ici par Evgeni Rukavitsin. Aliev réussit un quadruple boucle piqué, un triple Axel et une combinaison triple Lutz/triple boucle piqué. Voronov n'est qu'à 1.7 point, mais ils sont tous les deux plus de dix points derrière les deux premiers, Samarin et Kolyada. Mikhaïl Kolyada a débarqué dans le patinage russe comme un ouragan il y a un an, en gagnant les Nationaux et en restant parmi les meilleurs Russes pendant toute la saison. Son programme contient un quadruple Lutz en déséquilibre, une énorme combinaison quadruple boucle piqué/triple boucle piqué, et un triple Axel. Il sera le seul participant à réussir deux quadruples propres dans ce programme court.
Passons à la catégorie suivante, les couples, dans laquelle la majorité des concurrents sont eux aussi de Saint Petersbourg. Les trois couples de Nina Mozer prennent la tête. Les tenants du titre européen, Tarasova/Morozov commettent une erreur dans leur triple boucle piqué parallèle et ne se classent que deuxièmes. Ce sont Stolbova et Klimov qui mènent. Evgenia se souvient avoir commencé à patiner ici-même il y a vingt ans, motivée par tous les plus grands couples de l'époque. Zabijako/Enbert sont 3èmes, et Enbert a lui aussi des souvenirs de St Petersbourg : c'est dans cette même patinoire qu'il a participé à sa toute première compétition. L'équipe de Madame Moskvina semble un peu en retrait, avec Boïkova/Kozlovski 5èmes et Efimova/Korovin 8ème. A noter: Alisa Efimova, la soeur de Lubov, patine en individuel... pour la Finlande !
La danse courte va se révéler pleine de surprises ! Environ la moitié des concurrents sera incapable de réaliser des twizzles propres. D'Anabelle Morozov à Viktoria Sinitsina, à ce niveau, c'est tout de même dommage. Heureusement les trois derniers couples sur la glace réalisent une danse sans erreur majeure : Bobrova/Soloviev en tête, suivis de Stepanova Bukin et... la plus grande surprise de la compétition : Zahorski/Guerreiro qui prennent la 3ème place provisoire. Ekaterina Bobrova se rappelle avoir gagné ses premiers championnats nationaux ici-même il y a sept ans.
Il est très agréable et très intéressant de voir, en bord de piste, autant d'anciens patineurs devenus entraîneurs de la nouvelle génération : Viktoria Volchkova, Evgeni Plushenko, Ilya Klimkin, Vagen Azroyan...
Deuxième jour de la compétition : drame à la russe ! [NDLR : Ce n'est pas pour rien que les championnats nationaux sont surnommés les "Hunger Games" par les Russes. Tout le monde veut et peut remporter sa part du gâteau !]
Programme court dames. Le vivier féminin russe est si vaste que, dans les 18 compétitrices présentes, on trouve une championne du monde, deux médailles d'argent mondiales (E. Radionova et E. Leonova), la vainqueur de la Finale du Grand Prix (A. Zagitova). Et à peu près toutes ces demoiselles ont gagné une médaille à un Grand Prix Senior ou Junior à un moment ou à un autre de leur carrière. La moindre petite faute compte et seulement quatre de ces jeunes filles vont en commettre sur leurs sauts. Deux d'entre elles sont les fameuses médaillées d'argent mondiales, qui perdent toute chance de figurer dans l'équipe Européenne (et Olympique). Polina Tsurskaya, deuxième à passer sur la glace, réalise un sans faute avec des sauts à crever le plafond, des pirouettes d'une qualité incroyable et elle restera en tête jusqu'au passage de Zagitova. Le contenu technique du programme de cette dernière est le plus élevé de la compétition. Mais elle commet une erreur à la réception de son triple boucle. Ses composantes sont néanmoins suffisamment élevées pour qu'elle batte le programme sans faute de Turskaya, ainsi que celui de Maria Sotskova. Sotskova est l'une de ces formidables patineuses, toujours régulière, au patinage toujours propre et... qui ne gagne jamais rien. Serafima Sakhanovich est de retour, et elle s'entraîne chez Monsieur Evgeni Plushenko. Evgeni n'est pas présent aujourd'hui, mais il est remplacé par Yulia Lavrenchuk, qui patinait en son temps pour l'Ukraine. La championne du Monde, Elizaveta Tuktamysheva, présente un programme correct mais sa combinaison n'est "que" triple boucle piqué/triple boucle piqué. A noter que toutes les patineuses ont présenté une combinaison triple/triple, pas une seule ne s'est contentée d'un triple/double. Incroyable, chacune de ces demoiselles pourrait prétendre à une médaille européenne, voire mondiale.
L'ambiance reste tendue et électrique avec ces messieurs et leur programme long. Pas un seul n'entre eux ne va réussir à tenir debout. On l'a vu, avant même que ce LP ne commence, Kovtun et Petrov sont forfaits sur blessure. Ils n'étaient que l'ombre d'eux-mêmes la veille et ont déjà dû déclarer forfait plus tôt dans la saison lors de Grand Prix. Pour moi, le programme du jour le plus intéressant est celui de Shulepov, de St Petersbourg, avec un contenu très dense, bourré de transitions. Malheureusement, il commet plusieurs erreurs dont une chute sur son quadruple boucle piqué d'entrée. Il ne termine que 6ème du libre et 9ème au classement général. A l'issue du programme court, il était déjà clair que l'or allait se jouer entre Samarin et Kolyada, séparés de deux points, tout comme le bronze devait aller à Aliev ou Voronov, 10 points derrière leurs leaders, mais avec seulement 1.5 points entre eux. Samarin, qui a réalisé le programme de sa vie la veille et qui bat Kolyada aujourd'hui dans le programme long, perd ses moyens et finit 4ème derrière Voronov et Aliev, soit second au final. Aliev est deuxième du programme long et 3ème du général (vous suivez ?) Le patineur le plus malchanceux de toute la Russie est Sergeï Voronov qui termine 3ème du programme long mais à la maudite 4ème place du classement final. Les quatre patineurs nous ont offert un festival d'erreurs, dont des Axels simples qui semblent être devenus de rigueur ! Voronov va néanmoins obtenir une standing ovation du public. Je ne suis pas certaine que nous le reverrons patiner, il flottait comme un parfum d'adieu dans la patinoire. Il met (sans doute) un terme à sa carrière sur une très belle saison, avec une victoire au Grand Prix du Japon, une sélection à la Finale et une quatrième place nationale. Tout cela méritait bien un grand merci de la part du public de sa ville. Le programme long de Dmitri Aliev est sans doute le plus atypique de la journée : pas de course au quad, et son corps semble se dissoudre dans la musique. La douceur de ses mouvements de bras et sa fluidité me rappellent les patineurs japonais. Mikhaïl Kolyada, bien sûr, est loin devant ses concurrents. De nos jours, sa glisse de félin, la hauteur de ses sauts et la vitesse de ses pirouettes font partie de ce qu'on attend d'une jeune fille russe plutôt que d'un homme. Samarin est un peu pénible à regarder quand ses sauts ne passent pas et aujourd'hui n'était pas son jour. Il s'est d'ailleurs plus tard excusé de cette mauvaise prestation auprès de sa fédération, de ses coaches et du public , précisant qu'il allait se remettre sérieusement au travail pour ne plus jamais patiner aussi mal. Les patineurs sélectionnés pour les championnats d'Europe à Moscou sont donc Kolyada, Samarin et Aliev.
La compétition danse va être aussi intense que celle des messieurs, si ce n'est plus ! De nouveau, aucun des couples n'est capable de réaliser des twizzles impeccables. Les premiers à faire un bon programme sont Popova/Mozgov sur le thème de Carmen. Ils participent aux championnats nationaux ensemble pour la première fois. (Mozgov patinait avec Yanovskaya et a été deux fois champion du monde junior ; Popova était associée à Vlasenko, qui est retourné patiner avec son ancienne partenaire Solovieva). Ils n'ont rien à perdre et peuvent se donner à fond, avec des éléments spectaculaires et un surcroît d'émotion. Ils terminent 3èmes de cette short dance et 4èmes au final. Les concurrents suivants sont Sinitsina/Katsalapov. Sinitsina connaît un léger déséquilibre sur des twizzles, puis ils entament un porté loupé. Et Katsalapov s'arrête de patiner. La musique est coupée, le couple salue et quitte la glace. Il semblerait que Katsalapov se soit blessé à la jambe. Zahorski/Guerreiro sont immédiatement appelés alors que le couple précédent n'a pas terminé son programme. Plus tard, ils avoueront qu'ils n'ont pas compris s'ils avaient le temps de s'échauffer et n'ont pas vraiment su quoi faire. A l'exception d'une petite erreur de Zahorski, leur programme est très propre, mais ils m'ont parus raides, en particulier comparés à Popova/Mozgov. Ils sont 4èmes de la danse libre et 3èmes du classement général. Au tour de Stepanova/Bukin de rater leurs twizzles (un accroc pour elle), mais ils finissent cependant seconds de la short dance et du classement final. Le programme le plus émouvant sera celui de Bobrova/Soloviev. Ils vivent sans doute là leurs derniers championnats nationaux et les gagnent pour la 7ème fois ! Ekaterina Bobrova, d'habitude plutôt mesurée, fond en larmes dans le Kiss and Cry. Elle éclate de nouveau en sanglots lorsque le public leur offre une standing ovation. Mais celui qui pleure le plus est leur coach, Alexander Zhulin, juste devant les caméras...
© S.I.G. Sur place : Tanya Drubetskaya
(traduit de l'anglais par Kate Royan)