Championnats d'Europe Minsk 2019

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Réjouissant, habitués que nous sommes à voir des patinoires aux trois-quarts vides, de trouver des tribunes aussi remplies pour un premier jour de championnat !  Enfin un pays et un public qui aiment et suivent le patinage ! La ville de Minsk est très belle, la patinoire l'est tout autant, il fait un soleil éclatant, le froid est tout à fait supportable. Et ces dames sont en forme. Que demander de plus ? 

Personne n'est surpris qu'Alina Zagitova prenne la tête du classement avec 75.00 points. Elle est la grande favorite, la plus attendue, la plus applaudie, la plus gâtée au "fleurimètre", et elle hérite, une fois de plus, d'un nounours géant. La championne olympique en titre nous offre d'entrée un triple Lutz combiné à un triple boucle, hélas en sous-rotation. Ce sera sa seule erreur. Tous ses éléments sont de niveau 4, son double Axel est très bon (avec une spectaculaire entrée en contre-trois), seul le triple flip "Rippon" lui vaut quelques GOEs neutres (0) car il est rattrapé au vol. Elle a grandi, elle est plus femme, bien que n'ayant pas encore dix-sept ans.  Son patinage en est plus ample et plus convaincant. Restent le thème et la conception du programme que je trouve datés. Le fantôme est bien vivant,  mais ne peut-on pas trouver à une jeune fille de son âge quelque chose d'un peu moins entendu et usé ? Si sa gestuelle s'accorde bien de ce classicisme, j'aimerais néanmoins la voir évoluer sur une musique plus moderne et plus rythmée. Idée personnelle qui n'engage que moi, comme d'habitude... Si, techniquement, je ne trouve rien à redire sur ses notes, côté PCS, il y en a pour tout le monde : ses détracteurs avec un 7.25 en "Skating Skills", et ses inconditionnels avec des 9.50 dans la même rubrique, ainsi qu'en interprétation. Le total est sûrement trop élevé mais on finit par s'habituer. Disons qu'il est un peu moins énorme que ce dont a parfois été gratifiée Evgenia Medvedeva, illustre absente de ces championnats.

Il n'est pas beaucoup plus surprenant de trouver une deuxième Russe juste derrière sa compatriote (72.88). Pas une seule erreur technique pour Sofia Samodurova qui bat A. Zagitova en PCS (39.25 contre 38.60). Triple flip "Tano"/triple boucle piqué "Tano", triple boucle "Tano", double Axel "Tano". C'est bon, c'est fini Sofia, tu peux baisser les bras ! Les points tombent comme les pièces d'une machine à sous : jackpot. Son programme sur "Nyah" me rappelle Alexander Abt, qui avait,  en son temps,  utilisé la même musique. D'autres parallèles me viennent en tête, la glisse de chat, la puissance de propulsion d'un seul coup de lame. Au même âge qu'Alina à deux mois près, Sofia paraît, par contre, beaucoup moins à l'aise au niveau de l'expression. Mais ce sont ses premiers championnats européens. Sofia Samodurova championne d'Europe, mission impossible ? ("Nyah" est extraite de la B.O. du film éponyme). Il n'y a que 2.12 points entre elle est Adelina pour l'instant...

La grande surprise du jour : la Suissesse Alexia Paganini est 3ème provisoire avec 65.64 points ! Au son de "Yo Soy Maria" de Piazzolla, elle est l'auteur d'un programme court excellent. Un seul petit GOE négatif sur sa pirouette cambrée ne vient même pas ternir le tableau. Qui l'attendait là ? Personne, même pas elle-même comme elle nous l'annonce en riant,  pendant la conférence de presse. Triple Lutz/triple boucle piqué, triple boucle, double Axel, tout passe et avec la manière. Le patinage est solide, la patineuse élégante, volontaire et déterminée. Un vrai bonheur. Un seul petit regret : son double Axel est placé trop tôt dans le programme pour être bonifié. 

Andrew Lloyd Weber et "Wishing You Were Somewhere Here Again" pour Viveca Lindfors. La Finlandaise, déjà très en forme lors de entraînements, tient ses promesses. Elle retourne son triple flip mais la combinaison triple Lutz/triple boucle piqué qui l'a précédé est impeccable et son double Axel lui donne des allures de chat qui atterrirait sur une patte, avec la légèreté d'une plume. Son patinage semble "facile" au sens visuel du terme puisque techniquement, il est loin de l'être. Elégante et fluide, même si, entre autres, sa pirouette sautée allongée n'est pas très nette, elle prend une très bonne 4ème place, tout à fait méritée, avec 65.61, soit à 0.03 points d'Alexia Paganini. Le libre promet d'être un véritable feu d'artifice ! 

Que fait Nicole Rajicova dans la vie ? Elle est analyste financière. Accessoirement, elle est aussi 5ème de ce court (64.08). Après avoir brièvement pensé arrêter sa carrière une fois ses diplômes obtenus, elle a décidé de revenir à la compétition et elle a eu raison. Elle aurait pu néanmoins nous dispenser d'une musique aussi sirupeuse que "Love Story" mais elle a heureusement assez de talent pour l'interpréter de façon éloquente. Sa combinaison ne contient pas deux triples mais  triple Lutz/double boucle. Le choix est cependant curieux sur le plan comptable. Mais il ne la pénalise pas puisqu'elle n'obtient que des GOEs positifs (ou neutres : trois petits 0). Elle est 5ème avec 64.08.

Laurine Lecavelier est redevenue blonde comme les blés, et, encadrée par Katia Krier et Brian Joubert,  elle est en forme et beaucoup plus en confiance qu'en début de saison. Son triple boucle piqué/triple boucle piqué n'est pas 100% net mais je chipote car il ne lui vaut qu'un tout petit -1. En revanche, le retournement sur son triple Lutz fait mal au score. Séquence de pas et pirouette allongée sautée ne sont que de niveau 3, d'où la possibilité de les améliorer et de gagner des points. Je ne comprends pas pourquoi les notes ne montent pas sur le double Axel, il me semblait très bon. Sa gestuelle façon hiéroglyphe "à plat", en accord avec "Maktub" de Marcus Viana,  très difficile à tenir, lui raidit les bras, et va contre la fluidité naturelle de sa glisse. Elle réussit pourtant à conserver toute la délicatesse  de ses mouvements. Le programme est bien construit, exigeant sur le plan physique et Laurine est toujours aussi gracieuse et pétillante. Elle n'est qu'à une place de son record (5ème aux mêmes championnats en 2017) : 6ème avec 63.29. Il n'en faudrait pas beaucoup dans le libre pour qu'elle l'égale, voire le batte, ce record, d'autant plus qu'elle empoche la quatrième meilleure note du court en PCS... 

Maé-Bérénice Meité est 8ème (58.95). Rihanna est "Stay" lui vont toujours aussi bien. La combinaison triple boucle piqué/triple boucle piqué prend un petit coup de vent,  mais la demoiselle a des muscles pour redresser le tout avant la réception. Le jury ne va pas lui faire de cadeau sur les composantes et la main posée à la réception de son triple Lutz (en sous-rotation) ne l'aide pas non plus. Les points perdus ne sont pas rattrapés par un bon double Axel. Je ne suis pas inquiète pour elle. Maé est une guerrière dans l'âme, nul doute qu'elle grignotera du terrain après-demain. 

De toutes les Russes actuellement sur le circuit, Stanislava Konstantinova est, de loin, ma favorite. Voire ma favorite de toute le circuit féminin. Lignes de rêve, élégance naturelle, la grâce incarnée. Et, malgré ses dix-neuf printemps,  elle patine comme une femme, avec conviction et maturité. Seul ennui : elle est affreusement inconstante. Pour honorer ma préférence qui, à quelques exceptions près,  porte malheur à ceux et celles à qui je l'inflige..., elle commence par massacrer ce qui aurait dû être une combinaison triple Lutz "Tano"/triple boucle piqué, qui se termine en double Lutz tout à fait invalide. Seul le double Axel passe haut la main (au sens figuré, ici pas de Tano ou Rippon). Le triple flip/triple boucle piqué, tenté à la place du triple boucle prévu et en remplacement de la combinaison loupée, finit sur deux pieds et l'envoie parterre. Oh la belle ligne de -5... Un patineuse de ce talent, dotée d'un tel potentiel, n'a rien à faire à la 11ème place d'un court avec un maigre 56.76. Les composantes sont sévères, et pas imméritées. Elle en pleure de rage, mais ne peut s'en prendre qu'à elle-même.  Alexandra Feigin (58.80) et Emmi Peltonen (58.06), respectivement 9 et 10èmes, ne s'attendaient sans doute pas à doubler la magnifique Saint-Petersbourgeoise au profil aristocratique et aux yeux de braise. Une vraie princesse de conte slave, mais vraiment pas en veine une fois de plus. Ekaterina Ryabova, dont les meilleures places jusque là ont été 6ème en Grand Prix Junior et 8ème en Challenger Serie, elle aussi devance Stanislava. Joli débuts européens pour l'Azeri, élève d'Evgeni Plushenko (absent en bord de piste aujourd'hui). 

Quels que soient ses résultats, j'avoue un faible pour la Hongroise Ivette Toth. Ses programmes sortent toujours de l'ordinaire, vent de fraîcheur et dynamisme assurés.  Celui que lui a concocté Benoît Richaud cette année n'échappe pas à la règle. "Uptown Funk" de Mark Ronson et Bruno Mars sied à sa personnalité, la demoiselle a du chien, de l'envie et un énorme potentiel. Techniquement, ce n'est hélas pas son jour. Il manque un petit morceau de sa combinaison triple boucle piqué/triple boucle piqué et ce sont de gros points qui s'envolent. Son triple Lutz est correct sans briller. Ses éléments sont de niveau 4 et proprement réalisés. Mais son double Axel est amputé de... quasiment deux tours, et donc invalidé. Yvette termine ce court à la 11ème place (54.90). Passée de la 33ème place européenne en 2015 à la 8ème en 2017, elle est ici pour améliorer son palmarès et devrait tenter de grimper les échelons dans le libre de vendredi. 

Impossible d'y couper, un championnat, qu'il soit européen, mondial, ou des Quatre Continents, ne saurait se passer de Lara Fabian. Moi si. Du moins, j'aimerais pouvoir. Surtout quand elle saccage l'Adagio d'Albinoni, pour accompagner Eliska Brezinova, soeur cadette de Michal Brezina. Mais je lui pardonne puisque qu'elle nous offre l'occasion de revoir, en bord de piste,  Jozef Sabovcik, un de mes anciens patineurs favoris. La Tchèque termine 12ème avec 55.85, bien qu'elle n'aie commis aucune faute notoire. Deuxième allergie auditive avec la célèbre hurleuse qui s'égosille sur "Caruso" de Lucio Dalla cette fois,  pour  Nathalie Weinzierl, 24ème et qualifiée de justesse pour le libre, avec 46.09 et deux chutes. Jamais deux sans trois, je dois boire le calice jusqu'à la lie quand la douce Lara vocifère "Je t'aime" ("Jotem" selon une désormais célèbre incrustation télévisuelle russe dans le bandeau titre d'un programme d'Elena Radionova). Niveau patinage, je trouve la Suédoise Anita Östlund en progrès, même si elle loupe son double boucle qui est invalidé, après avoir réussi un bon double Axel et avant d'effectuer une jolie combinaison triple boucle piqué/double boucle piqué. Je ne lui tiendrai donc pas rigueur de son choix musical. Pas plus que je n'en veux à la Serbe Antonina Dubinina de m'avoir fait découvrir Mireille Mathieu chantant en allemand ("Nur für Dich" - Rien que pour Toi). Il n'est jamais trop tard pour étoffer sa culture 😉

Retrouvez le reste du classement ici, ainsi que les scores détaillés. Le programme libre ? C'est vendredi 25 janvier, 18h heure locale, 16h en France. 

© S.I.G. - Sur place : Kate Royan

A l'issue de la compétition, elles ont dit...

Alina Zagitova : J'étais très concentrée et j'ai contenu mes émotions. Je vais continuer ainsi jusqu'au libre. J'ai fait quelques petites erreurs. J'ai besoin d'avoir confiance en moi. [En référence à sa 5ème place aux Championnats Nationaux de Russie] Je me suis dis : si quelque chose va de travers, j'entamerai la nouvelle année dans une nouvelle optique et je laisserai le reste derrière moi. C'est ce que j'ai fait. Je ne conserve que le bon. Après les Nationaux, mes parents m'ont pris mon téléphone et m'en ont donné un nouveau qui n'a pas d'accès à Internet ! Alors je lis, et j'étudie. Les études, c'est important, je ne vais pas patiner toute ma vie. 

Stanislava Konstantinova : Pas de commentaire. 

Laurine Lecavelier : Je me suis sentie très nerveuse aujourd'hui. J'aime patiner premier ou seconde de mon groupe et aujourd'hui je passais troisième. Mais je suis quand même contente de ma performance. Ma préparation a été compliquée puisque k'ai perdu mon entraîneur il y a quelques semaines [Jean-François Ballester, avec qui Laurine venait de commencer à travailler, est décédé en décembre]. Pendant un moment, j'ai pensé que je ne serai pas capable de participer à ces championnats. Mais j'ai réussi à changer d'état d'esprit, je suis là, et j'en suis heureuse. [Au sujet de son retour en Europe] Après ce qui s'est passé, j'avais besoin d'être avec ma famille et de mes amis proches. Je n'avais pas envie de retourner aux Etats-Unis et d'y être seule. Dans le libre, je veux patiner propre, je suis sûre d'en être capable, car nous avons enlever un peu du contenu le plus difficile. 

Maé-Bérénice Méité : Je suis déçue de mon triple Lutz. Il m'a coûté beaucoup de points et sans doute un passage dans le dernier groupe du libre. J'ai décidé d'aller m'entraîner en Floride car je veux refaire un cycle olympique. Je veux une vraie équipe autour de moi pour ces quatre nouvelles saisons. J'ai vu les progrès de Vanessa et Morgan, et je me suis dit que ce serait bien de voir si ça fonctionnait pour moi aussi. C'est ce qui m'a décidé à aller là-bas. C'est intéressant car l'équipe est jeune, elle a beaucoup d'énergie, des idées nouvelles, des éléments très difficiles. [Au sujet de ce qui la pousse à continuer après de si longues années] Je ne sais pas, j'aime vraiment le patinage et je veux atteindre certains buts. Ca m'incite à en faire toujours plus, quelles que soient les difficultés.

Sofia Samodurova : Aujourd'hui j'ai montré tout ce pourquoi j'ai travaillé pendant tous mes entraînements. J'ai obtenu 4.5 points de plus (que mes précédents Season Bests), grâce à un travail très dur. A l'instant, j'ai l'impression d'être encore en train de danser sur la glace, donc je suppose qu'il me faut encore un peu de temps pour me calmer. Néanmoins, je voudrais dire qu'il n'y a pas de réelle compétition pour moi avec les autres filles car je donne toujours le meilleur de moi-même et je travaille dur pour avoir d'excellents résultats. Le soutien que j'ai reçu était touchant et je voudrais vraiment remercier le public qui a été très gentil. 

Alexia Paganini : Il y a définitivement eu des petites choses dans mes transitions et mes pirouettes. Je sais qu'elles auraient pu être plus rapides. J'étais un petit peu hors tempo, il faut que je corrige ça, mais à part ça je suis plutôt contente. [Re. son ordre de passage en dernière position] C'est définitivement une première pour moi dans un programme court, c'était différent. [Après les six minutes] J'ai quitté mes patins, je suis allée faire un tour, puis je les ai remis. [Re. Sa préparation pour le programme libre, avec un jour de repos] Je vais probablement aller me distraire un peu, parce que si je reste concentrée tout le temps, je risque d'être fatiguée mentalement quand la compétition arrivera.

© I.S.U. Propos recuillis par Tatjana Flade - Traduit de l'anglais par Kate Royan

© S.I.G. - Myriam Cawston

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