Cliquer sur le nom des patineurs vous permet d'accéder à la vidéo de leur programme.
La robe du début de saison était intégralement noire et sobre. Celle qui dénude une épaule de Gabriella Papadakis aujourd'hui est vert corindon. En fait, c'est exactement la même, mais dans un autre tissu et un autre ton. En noir Gabriella était ombrageuse et rebelle. Ici à Minsk, le maquillage est plus prononcé, les boucles d'oreilles ouvragées aux perles rouges et vertes lui confèrent une allure moins sombre et plus aristocrate. En vert, elle est moins dramatique, mais plus dangereuse, presque traîtresse. Lors de la pose de départ, le visage tout proche de celui de Guillaume, on ne sait si elle va le mordre ou l'embrasser. Ou les deux. Caliente !! Plus sensuel, tu meurs... Mais aussi redoutable que paraisse la blonde incendiaire, Guillaume Cizeron ne se laissera pas faire. C'est encore et toujours lui, comme il se doit, qui mène la danse de main de maître. Ils sont brillants et libres, ils savent ce qu'est un vrai Tango ! On n'imagine pas une seconde qu'ils puissent être battus, tant ils évoluent dans une autre sphère. Je sais, ce n'est pas gentil pour leur concurrents. Mais c'est vrai. Papadakis/Cizeron sont deux coudées au dessus du lot. Avec une homogénéité de mouvements parfaite, une vitesse spectaculaire, ils s'attirent et s'éloignent, se défient, se séduisent, comme deux aimants, deux amants. Que les twizzles de Guillaume soient considérés de niveau 3 (à cause d'un pied posé un poil trop tôt ?) ne les empêche pas d'engranger de beaux +4 et +5, sauf de la part du juge N° 4. Premier pattern, niveau 2 : tous les key points sont validés même si l'un d'eux n'est pas sur le bon battement (T). Deuxième pattern niveau 3: cette fois, tout est bon. Que de progrès et d'affinement dans cette danse rythmique depuis sa présentation à Grenoble. Malgré quelques petites poussières d'erreurs, les Français prennent aisément la tête avec 84.74. Et douze fois 10 en composantes. Le seul 9.25, leur note la plus "basse", attribuée par le juge N° 9 en paraît presque ridicule.
En regard de leur début de saison, j'ai parié gros (moralement !) sur Sinitsina/Katsalapov. Pourtant, je suis avertie : "Attention, Nikita peut reprendre ses mauvaises habitudes n'importe quand". Je sais, mais vous verrez, vous verrez... Effectivement, tout le monde voit, moi compris : Nikita, parterre dès la deuxième série de twizzles. Une vraie grosse gaufre bien laide, le "splat" classique, presque de référence, à plat sur le popotin. Alexander Zhulin, son entraîneur, se frappe la tête du plat de la main. Par amour, solidarité, osmose, ou les trois, Victoria perd à son tour l'équilibre, mains sur la glace. Vous prendrez bien un grand verre de -4 et -5 pour fêter ça... Aussi surpris que le public par une telle bourde, le couple peine à retrouver son rythme. Mais, après quelques secondes de flottement, tout le monde se reprend. Les gestes sont nets, pile en musique, les carres profondes, les patineurs sont fluides et rapides. On aimerait oublier la gamelle car ils sont beaux et bons. Niveau 4 pour le premier pattern (Gabriella et Guillaume n'ont obtenu que 2), tous les key points sont atteints. Bravo. Deuxième pattern de niveau 3 (4 pour les Français) et trois key points de validés sur 4. Si, à l'exception des twizzles, les grades d'exécution ne sont pas mauvais, par contre les composantes sont sévères : minimum 8.25 (Skating Skills), maximum 9.50 (interprétation de la musique). La chute des PCS est proportionnelle à celle de Nikita... Dans un registre plus léger, côté fashion, la robe de Victoria, artistiquement coupée et découpée, est superbe. Il est vrai que, même vêtue d'une serpillière, la demoiselle aurait l'air d'une reine. Par contre, la veste de Nikita, un peu étriquée, aux pans courts qui lui battent les fesses, n'est pas du meilleur effet. Avec un total de 70.24, le plus glamour des couples russes n'est que 5ème. Près de 15 points derrière Papadakis/Cizeron et plus de 10 derrière Stepanova/Bukin. Pas du tout ce qu'ils espéraient... Ils se sont cependant bien battus, et Nikita a su lutter contre ses trop fameux démons qui, il y a encore peu, lui faisaient perdre toute combativité à la première erreur commise. Accéder au podium n'est pas encore totalement hors de portée, mais il faudra pour ça que ceux qui les précèdent commettent de grosses erreurs dans la danse libre. Or, ce n'est guère dans leurs habitudes... Nikita reste tête baissée dans le Kiss & Cry, pendant que Victoria tente courageusement de garder le sourire. Et que Zhulin, figé, fait la grimace de celui qui vient d'avaler un verre de vinaigre au citron. En coulisse, quelques pendules risquent d'être remises à l'heure de Minsk...
Alexandra Stepanova est presque aussi belle que Sinitsina (certains de mes amis masculins disent qu'elle l'est encore plus), et Ivan Bukin presque aussi bon glisseur que Katsalapov. Mais, aussi talentueux et bon technicien que le couple soit, rien à faire, je n'aime pas leur danse rythmique, à l'exception de la seconde partie. Est-ce à cause de ce découpage musical déconcertant ? J'admets que la Malaguena version pseudo-techno a le mérite d'être originale. Mais elle fait vraiment mal aux tympans ! En dehors de ce détail personnel et auditif, je reconnais à Stepanova/Bukin d'avoir fait, cette saison, des progrès impressionnants. Ils se sont améliorés sur tous les plans : gestuelle, fluidité, régularité, expression. Oserais-je dire que, sur la glace, Ivan ressemble de plus en plus à son célèbre père, Andreï, cinq fois champion d'Europe - avec Natalya Bestemianova -, quatre fois champions du monde, une fois médaillé d'argent et une fois médaillé d'or olympique dans les années 80 ? Le nom est lourd à porter, et la succession rude à prendre. Oh Ivan n'égalera sans doute pas le palmarès de son père, la danse sur glace a changé, les carrières sont plus courtes, les critères différents. Mais il n'est pas loin d'être aussi brillant danseur, toute relativité historique gardée. Twizzles de niveau 4 pour les deux partenaires, un malheureux +3 égaré au milieu des +4, +5, premier pattern de niveau 2 avec un key point loupé, un hors rythme et deux OK. Deuxième pattern de niveau 4, avec tous les fameux key points validés. La seconde partie du programme, sur un Tango du fabuleux guitariste Al Di Meola, est un petit bijou : chaque geste colle aux accents de la musique, l'interprétation est magnifique, vécue, pensée. On se demande un peu ce qu'Edith Piaf vient faire en troisième morceau musical, sans aucun rapport avec les précédents (il n'y en avait déjà aucun entre la Malaguena et Al di Meola). Mais là aussi, le tempo et les accents de "Carmen Story" sont utilisés à très bon escient. Même si je n'aime pas la construction du programme, les trois parties, prises séparément, sont extrêmement bien patinées. Les Russes font de très beaux seconds avec un score de 81.37.
A 0.76 points des Russes en T.E.S., les Italiens Guignard/Fabbri sont troisièmes (79.05). On dit que rien ne pousse à l'ombre des grands chênes. Ce n'est pas toujours vrai. Dauphins de Cappellini/Lanotte pendant sept longues années, le couple a tranquillement mûri, travaillé, patienté et appris. Il s'épanouit aujourd'hui dans des progrès remarquables. 5èmes Européens l'an dernier, ils ont, cette saison, remporté deux médailles d'argent en Grand Prix, au Skate America et à Helsinki ; ainsi que le bronze de la Finale. Ils ont aussi gagné deux Challenger Series : le Inge Solar Memorial et le Lombardia Trophy. Ils ont de très belles lignes et une fluidité de gestes qui m'enchantent. Leur premier porté est d'une grande difficulté, mais réalisé sans effort apparent. Leurs twizzles sont de niveau 4 et leur vaut un +5 au milieu d'un rang de +3 et +4 en GOEs. Tous les key points sont bons, un seul est hors tempo. Ils ont opté pour un tango classique, en trois parties parfaitement liées, sur une chorégraphie chatoyante et un rythme enlevé. Barbara Fusar-Poli peut être fière de ses poulains et courir pour les embrasser. Elle qui fut une danseuse flamboyante, vraie diva au caractère ombrageux et au verbe haut (rappelez-vous des vingt secondes de "regard qui tue" des J.O. de Turin et de notre crainte, pas toute à fait saugrenue, qu'elle gifle publiquement son partenaire !), est aujourd'hui une coach calme et attentive, souvent maternelle, toujours très positive et proche de ses élèves.
Je n'ai rien contre les Polonais Kaliszek/Spodyriev. Mais comment peut-on les classer quatrièmes ? (72.87) Ils ne sont pas foncièrement mauvais. Mais ils ne sont pas bons non plus. Leur premier geste, avant même que la musique démarre, est brutal, presque parodique. Maksym secoue sa partenaire sans élégance, avant de l'envoyer tourner en tire-bouchon, un peu comme il lui donnerait un coup de pied aux fesses. Comment peut-on attribuer des niveaux 4 à leurs twizzles, raides, gymniques, patinés à un mètre l'un de l'autre, avec, dans la dernière série, le pied libre au ras du sol ? Les deux patterns sont de niveau 4 également, et tous les key points validés. Pardon ? C'est le gag du jour. Il ne fait pas rire tout le monde. Pester, s'énerver, ne sert à rien, je vous l'accorde. Mais ça défoule. "E uno scherzo ?" (C'est une blague ?) gronde, sur ma gauche, une toute jeune retraitée de la danse sur glace, venue renforcer les rangs de la TV italienne. A la lecture des notes provisoires affichées sur l'écran I.S.U. de ma table de presse, j'ai les yeux qui s'arrondissent comme des soucoupes volantes. Ce n'est pas possible, les juges ont quelque chose à se faire pardonner ! L'un d'eux a écrasé leur petit chien ? Craché, par inadvertance, dans leur bol de céréales ce matin ? Sérieusement, ces jeunes gens auraient de meilleurs niveaux que Papadakis/Cizeron, Guignard/Fabbri et Stepanova/Bukin ?! On nage en pleine science-fiction. Ils sont raides comme des passe-lacets, balancent bras et jambes avec entrain mais comme dans une séance d'aérobic. Oh ils mettent beaucoup de coeur dans ce "Tango Passion", mais leurs mouvements secs, jamais aboutis, évoque plutôt une marche militaire. En noir et blanc, décolleté jusqu'à la ceinture, Maksym a tout d'un barman qui vient de faire craquer sa chemise trop petite. Natalia arbore une robe vert sapin doublée de vert nénuphar, amplement pourvue de fausses transparences, et alourdie de lignes verticales brillantes. Trop chargée et trop longue pour sa petite taille, et découpée d'une manière peu flatteuse pour sa silhouette athlétique, elle la fait paraître deux fois plus large qu'elle ne l'est. Bref, l'ensemble est un superbe loupé. Les Polonais ne sont, de toute façon, pas responsables des niveaux faramineux et des GOEs à +3, +4, qu'on leur balance comme des poignées de riz à des mariés qui sortent d'une église. Mais les surnoter aussi ouvertement ouvre le flanc à la critique, voire à la démolition en règle, car, en réaction, on ne voit plus que les défauts des patineurs et du programme. Heureusement, le jury se calme un peu sur les PCS. Mais quand même... les mettre dans les mêmes points que des Hurtado/Khaliavin, Fear/Gibson, Smart/Diaz, il fallait oser. Mais en danse sur glace, les juges osent tout, on le sait bien . [J'entends certains d'entre vous penser très fort : "c'est même à ça qu'on les reconnaît"...]
Il m'est généralement difficile de choisir entre Hurtado/Khaliavin et Smart/Diaz. J'aime les deux couples et, dans un monde idéal, Hurtado/Diaz auraient continué de patiner ensemble. Mais les hurlements de Sara qui crevaient les fenêtres et les murs nous ont prouvé, si besoin était, que l'association n'était pas viable. Aujourd'hui, ma préférence va à Hurtado/Khaliavin. Leurs deux musiques sont belles - "I've Seen that Face Before" de la chanteuse néerlandaise Sharon Kovacs, et l'inusable "Libertango" - ils sont exemplaires de fluidité, expressifs. Mais la seconde série de twizzles ratée par Sara, et les key points non validés, vont les reléguer à la 8ème place (69.28). Le sort favorise donc Smart/Diaz, élèves du célèbre centre canadien de Gadbois et ici encadrés de Romain Haguenauer et Marie-France Dubreuil. Si Olivia n'est pas encore l'égale d'Adrian en terme de technique, elle a, depuis le début de saison, fait d'énormes progrès. Ils sont 6èmes avec 70.02, soit à 0.22 petits points de Sinitsina/Katsalapov.
Gros succès populaire pour Marie-Jade Lauriault et Romain Le Gac, salués par des salves d'applaudissement. Leur style original et leurs portés impressionnants marquent les esprits. Le jeune couple paraît plus détendu et à l'aise que dans les compétitions précédentes. Leur programme ne cesse de s'améliorer, des grades d'exécutions entièrement positifs en témoignent. Niveau 4 pour les twizzles de Marie-Jade, niveau 3 pour Romain. Les key points, niveau 1 et 3, tellement difficiles à atteindre, se soldent, par un oui, deux non et un hors tempo (en gros un "ni oui ni non") pour le premier pattern ; trois oui un non pour le second. Leur T.E.S. est exactement le même que celui de Turkkila/Versluis (37.23) - et supérieur à celui d'Hurtado/Khaliavin - mais de meilleures composantes leur permettent de classer devant les Finlandais, soit 9èmes avec 68.98.
Adelina Galyavieva et Louis Thauron sont 13èmes (64.62), ce qui signe est un excellent début sur la glace européenne. Twizzles niveau 4 pour tous les deux s'il vous plaît, et cinq key points de validés sur huit (même si deux sont hors mesure). Ils sont à moins de 2 points du couple Le Gac en T.E.S. et précèdent au classement des danseurs beaucoup plus expérimentés qu'eux. Sans faire injure à leurs précédents partenaires respectifs, il y a, entre Adelina et Louis, une osmose et une complicité, ainsi qu'une joie d'être sur la glace, qui n'existaient pas du temps des associations Abachkina/Thauron et Galyavieva/Abecassis. Ca se voit et ça se sent. Ils ont la rage, ils en veulent, mais ici pas de course à la gloire, ni de caprice de star, les jeunes gens sont posés, réfléchis, intelligents et ambitieux, tout en restant modestes. Qu'elle est belle notre Russo-Française dans sa pimpante robe rouge et noire, qui bat l'air d'un poing de guerrière quand la musique s'arrête. Et quel plaisir de voir sur le visage de Louis un grand sourire lumineux à la fin du programme. Ils sont contents, ils ont toutes les raisons de l'être. Angelika Krylova, leur célèbre coach, peut être fière. Elle a, elle aussi, les yeux qui brillent et un immense sourire. Adelina lui saute dans les bras. Tout le monde a fait de l'excellent travail depuis les championnats Nationaux. Ils battent, au passage, leur Season Best.
© S.I.G. - Sur place : Kate Royan