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Difficile de croire qu'ils ne patinent ensemble que depuis huit mois. Adelina Galyavieva et Louis Thauron ont trouvé, l'un avec l'autre, le et la partenaire à la hauteur de leur talent et potentiel. A Moscou, sous la houlette d'Anjelika Krylova, ils ont acquis une osmose et un naturel rares et ce, en très peu de temps. Ils ont le sourire, même s'ils sont un peu stressés. Première sortie internationale dans la cour des grands, premier Grand Prix Senior pour Adelina. Flamenco, Tango, Flamenco. Le programme est enlevé, agréable à voir, plein de vie et d'envie. Seul un petit souci sur les twizzles de Louis lui vaut un niveau de moins que sa partenaire. Rien de grave. Ils sont là pour engranger de l'expérience, se faire connaître des juges et du public. Contrat pré-rempli aujourd'hui. Ils sont 10èmes avec 55.21 points.
Dans la famille Reed, issue d'un père américain et d'une mère japonaise, voici la benjamine : Allison. Sa soeur et son frère aînés, nés comme elle à Kalamazoo (Michigan) aux Etats-Unis, ont représenté le Japon aux derniers Jeux Olympiques, après avoir été sept fois champions nationaux. Fidèle à cet héritage multiculturel, Allison a patiné successivement pour...l'Israël et la Géorgie. Depuis le printemps 2017, elle représente la Lituanie au bras de Saulius Ambrolevicius. Allison a considérablement amélioré ses twizzles, mais le montage musical "Ojos Negros, Idilio, Zita", n'a rien pour adoucir leur allure quelque peu martiale. Les notes restent très neutres : 9èmes avec 59.77.
Betina Popova et Sergeï Mozgov, élèves eux aussi de l'inoubliable Angelika Krylova, nous offrent le premier frisson de la soirée, avec "Tango Volver" revisité par Maxime Rodriguez. Dès la première note, il est clair qu'ils ont saisi l'esprit de cette danse si particulière, pour laquelle leur grande taille est un avantage. Comme souvent, Betina et Sergeï ont tendance à surjouer. Mais leur gestuelle colle aux accents musicaux, ils développent une belle énergie, le programme ne comporte aucun temps mort. Pourtant, les "patterns" du Tango Romantica sont extrêmement difficiles. L'an dernier la danse ne comportait qu'un "pattern" et des key points sur huit pas. 21 des 49 pas sont des key points cette saison ! Rien que ça ! Un véritable casse-tête chinois au niveau de l'exécution. Au contraire de la majorité de leurs concurrents, les jeunes Russes vont valider deux des quatre keys points de leur premier pattern, mais un seul du second. Un porté trop long leur vaut un point de déduction. 63.6 et 8èmes. Il espéraient sans doute faire mieux que cela.
Premier couple de l'écurie Dubreuil/Lauzon/Haguenauer ce soir, Olivia Smart et Adrian Diaz ont choisi une partition aussi originale que difficile : "A Evaristo Carriego", dédié au poète argentin Eduardo Rovira et joué ici par Orchestra Color Tango. Cheveux platines gominés, longue robe noire ornée de dentelle dans le dos, Olivia est à la fois farouche et mystique, mais techniquement moins pointue que son partenaire. Même si l'ensemble est de bonne facture, le jury ne leur fera pas de cadeau. Un seul key point de validé, un niveau 2 sur la séquence de pas circulaire, ils ne récoltent un niveau 4 que pour leur porté en ligne droite. Ils prennent tout de même une bonne cinquième place avec un score de 68.16.
En danse sur glace, même s'il est politiquement incorrect de le dire, avoir un physique agréable est sans conteste un avantage. Depuis quatre ans, Victoria Sinitsina et Nikita Katsalapov forment un couple de rêve. Ils sont beaux, parfaitement assortis, la demoiselle a de fragile tout ce que son partenaire a de macho. Parfait pour un Tango. Nikita a abandonné ses mimiques excessives et ses effets de bras, pour une interprétation mieux pensée et plus sobre. Il laisse enfin à Victoria la possibilité de s'exprimer. Après divers soucis, et une attitude parfois condamnable de Monsieur sur la glace les saisons précédentes (mouvements de colère, gestes brutaux envers sa partenaire), on retrouve peu à peu celui qui fut médaillé de bronze à Sochi (avec Elena Ilinykh), assuré sans être arrogant, plus artiste, élégant. Les élèves d'Alexander Zhulin patinent sur un standard d'Astor Piazzolla, "Verano Porteno" par Raul Garello. Ils détiennent aujourd'hui le record de key points validés : six ! Niveau 3 pour les patterns et la médiane, 4 pour les twizzles et le porté rotationnel. Ils sont là pour le podium, et se montrent à la hauteur avec une seconde place et un total provisoire de 77.91.
Marie-Jade Lauriault et Romain Le Gac évoluent dans un tout autre registre, anticonformiste, innovant. Quand je pense qu'il existe des gens pour dire que les patineurs de Gadbois, centre qui abrite l'école Dubreuil/Lauzon, font tous la même chose... Marie-Jade et Romain sont l'exemple typique du contraire. Leur danse rythmique est à l'image de leur personnalité : tonique, engagée, athlétique. Le programme a mûri depuis les Masters. Le "Cellblock Tango" du film Chicago, allié au foxtrot "Roxie" est un excellent choix pour ce jeune couple énergique et plein de fantaisie. Auteurs de très bons twizzles (niveau 4), les voici moins en réussite avec les diaboliques patterns sur lesquels bien d'autres vont se casser les lames aujourd'hui. La diagonale n'est que de niveau 2. Mais notons que leurs composantes sont quasi égales à leurs TES, à quelques poussières près, ce qui fait d'eux des danseurs réguliers et complets. 7èmes avec 67.94.
Difficile pour un frère et une soeur d'interpréter une danse qui fut, au début du vingtième siècle, celle des maison de passe... Georges Clémenceau disait du Tango : "On ne voit que des figures qui s'ennuient, et des derrières qui s'amusent". C'est grosso modo ce qu'évoque l'interprétation de Rachel et Michael Parsons, tout est dans le bas du dos, rien sur les visages. Sur "Vuelvo al Sur" et "Tango Cha", la première partie du programme est lente et le patinage appliqué, encore trop junior, même si leur technique est parfaite, en particulier dans les twizzles (niveau 4). Ils valident cinq key points sur huit. La seconde partie est beaucoup plus intéressante sur tous les plans : ils sont mieux en musique, plus percutants, nettement plus à l'aise. Une sixième place et 68.14 récompensent une prestation pour l'instant inégale et cependant prometteuse.
"Tango d'Angélique" par Piernicola de Muro, compositeur de musiques de film, pour Piper Gilles et Paul Poirier. On ne pourra jamais reprocher aux Canadiens de faire comme tout le monde. Il y a toujours une vraie recherche d'originalité dans leurs programmes, cette danse rythmique ne fait pas exception. L'exception, c'est la robe de Piper, couleur mangue, brodée de fleurs rouges, qui tranche agréablement sur la collection de noir qu'on nous a imposée jusque là. C'est sans doute le Tango le plus romantique que nous verrons aujourd'hui. Mais les Canadiens ont toujours ce défaut : ils passent patinent beaucoup sur deux pieds. Leurs notes ne s'en ressentiront pas, même si leurs twizzles n'obtiennent qu'un niveau 2. Leur porté final est de toute beauté. S'ils n'ont sans doute pas les "skating skills" des Russes Sinitsina/Katsalapov, ils ont la même couverture de glace, ample et aisée. Ils sont 3èmes avec 74.25.
Avant-dernier couple de Gadbois (le tirage au sort a gardé le meilleur pour la fin !), Hawayek/Baker nous gratifient d'un second "Vuelvo Al Sur", pas beaucoup plus passionnant que celui des Parsons. Les choses s'améliorent avec "A Los Amigos" de Forever Tango. Si Kaitlin a cessé d'en faire des tonnes au niveau gestuelle, elle compense par une profusion d'expressions faciales outrées, proche d'une caricature. Ceci n'enlève rien à une indéniable qualité de glisse, et la seconde partie de programme est assez bien exécutée. Twizzles de niveau 3 pour elle, de niveau 4 pour lui, deux key points atteints dans le second pattern, on redescend d'un cran avec une médiane de niveau 2, pour remonter de nouveau à 4 avec le porté en courbe. Plus équilibrée dans sa conception et débarrassée des fioritures qui l'encombrent, cette danse rythmique pourrait être une vraie réussite. En l'état, elle leur vaut une 4ème place et 69.85.
Comme chaque fois qu'ils montent sur la glace, on entre dans une autre dimension. Gabriella Papadakis a, elle aussi, choisi une robe noire. Aucune comparaison possible avec celles de ses camarades. Pas d'ornement, pas de froufrou, un noir absolu, une ligne pure, un seule longue manche, une épaule et une cuisse dénudées. La demoiselle est superbe d'élégance et de sobriété. Guillaume Cizeron mène la danse au sens propre, avec chaque centimètre de son corps, entraînant une partenaire tantôt docile, tantôt prête à se rebeller. L'expression de son visage, son regard, passent de la soumission à la violence. On commence en douceur avec "Oblivion" d'Astor Piazzolla, avant d'êtres bousculés par "Primavera Porteno" du même auteur, le tout magistralement interprété par Gideon Kremer. Le public retient son souffle, se penche vers la glace pour mieux voir, conquis et fasciné. Car il y a quelque chose d'hypnotisant dans cette interprétation aussi juste que dépouillée. Gabriella et Guillaume nous ouvrent un monde de paradoxes, de fureur retenue et de grâce, de feu et de légèreté. Pour l'anecdote on notera qu'ils n'obtiennent qu'un niveau 1 sur le premier pattern, ce qui n'a pas dû leur arriver depuis leurs premières années juniors ! Un seul key point de validé dans ce pattern, mais quatre dans le suivant qui est de niveau 4. Le record de la journée sur cet élément. Ils prennent, bien entendu, la tête du classement avec 84.13, soit 6.22 points de mieux que leurs concurrents russes, et sept fois la note maximum de 10 en composantes. Oserai-je dire qu'on n'en attendait pas moins d'eux ? Ils nous ont habitués à tant d'excellence qu'on en devient de vrais enfants gâtés !
© S.I.G. - Sur place : Kate Royan