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On le sait depuis la veille, forfait, Nicolas Nadeau ne participera pas au programme libre. C'est donc l'Israëlien Daniel Samohin qui étrenne la glace en ce début d'après-midi. "Once Upon a Time in Mexico" de Robert Rodrigues aurait pu le sauver des affres de la veille. Il ne finira pas dernier de ce libre "grâce" à Boyang Jin, mais son programme est un désastre. Tout commence pourtant très bien avec une combinaison quadruple boucle piqué/triple boucle piqué suivi d'un quad Salchow. Mais en moins d'une minute, les carottes sont cuites : chute sur triple boucle, réception vacillante du triple Lutz/triple boucle piqué, pirouette sautée allongée et pirouette assise avec changement de pied lui valent des wagons de 0. Ah quand même, un bon triple Lutz. Mais non content de chuter sur son triple Axel, et d'écoper d'une ligne complète de -5, il tente de le replacer mais sans combinaison : "REP" et une nouvelle avalanche de -4 et -5. Et la pirouette combinée avec changement de pied ? Il n'a pas pu la réaliser. 0 pointé. Quatre déductions, 133.66 pour ce libre et 205.99 au total. Cette fois, il l'a, sa dernière place...
"L'Ouverture de Guillaume Tell" de Rossini va-t'elle être plus profitable à Keiji Tanaka que Gary Moore hier ? Pas sur le plan technique en tout cas. Parterre sur le quad Salchow pour commencer. Le triple Axel est ample et haut, mais le second quad (Salchow) passe en triple avant un double boucle piqué. Pourquoi un deuxième triple Axel en solo ? C'est une grosse erreur tactique : saut en répétition donc GOE négatifs. Son triple Lutz est retourné et amputé de l'Euler et du triple Salchow prévus. Keiji a le réflexe d'ajouter un triple boucle piqué à son triple flip, évitant ainsi l'absence de combinaison 3/3. Il retourne encore un triple boucle en sous-rotation. Dommage car l'interprétation est bonne et le patineur toujours aussi élégant (sauf quand il est parterre, s'entend... ou quand il se raccroche aux branches pour ne pas tomber) 13.97 points la classent 8ème du libre et un total de 216.32 lui offre la même place du général.
Boyang Jin doit se racheter. 7ème du court, ce n'est pas la place d'un patineur de cette classe. "Hable con Ella" d'Alberta Iglesias est un excellent choix musical, sur lequel le Chinois est parfaitement capable d'exprimer son sens artistique. Son Quad Lutz (mon quad favori ♥) passe avec aisance. A partir de là, c'est la Berezina. Le quadruple Salchow devient un double. Pas de quadruple boucle piqué, seulement un double en lieu et place de la combinaison 4T/3T. Il essaie de replacer cette combinaison mais le quad est en sous-rotation, ce qui entraîne un tour de moins sur le second saut. Sous-rotation aussi sur un triple Axel censé précéder un Euler/triple Salchow qui ne voient pas le jour. Simple Axel au lieu de triple - c'est toujours mieux que d'écoper d'un "REP"... - combinaison triple Lutz/double boucle piqué (triple prévu) invalidée, et une grosse erreur dans la séquence chorégraphique. Boyang plonge à la 10ème et dernière place du programme libre (129.48) et termine la compétition 9ème (208.89). Un Grand Prix à rapidement oublier pour se relancer sur la suite de la saison.
Dmitri Aliev a, lui aussi, des choses à se faire pardonner. Contrairement à son homologue chinois, il va effectuer une spectaculaire remontée, passant de la 9ème place du court à la... seconde du libre ! "Clouds, the Mind on the (Re)Wind" d'Ezio Bosso est une chanson triste et émouvante. Tout ce qu'il faut pour faire parler la sensibilité du Russe. La réception de son quadruple piqué/triple boucle piqué est un peu chahutée, mais tout passe. Pas de 4T/2T annoncé, mais un triple boucle piqué. Un excellent triple Axel (sans le double boucle piqué prévu), un triple flip tout aussi bon (mais toujours sans la combinaison qui devrait aller avec), mais Aliev a du sang-froid et connaît son sujet par coeur. Il trébuche sur la séquence de pas chorégraphique, mais place triple Lutz/Euler/triple Salchow un peu hésitant, un bon triple boucle et enfin un triple Lutz/double Axel en séquence, pas vraiment réussi. C'est néanmoins suffisant pour engranger 162.67 points et finir 4ème de la compétition avec 237.82.
Romain Ponsart est, pour moi, le seul patineur au monde à pouvoir utiliser "Carmen" sans que je me plaigne et/ou m'ennuie à mourir. Je suis pourtant la première d'habitude à hurler contre un opéra qui a tellement servi, et depuis si longtemps, qu'il suinte des gradins dans toutes les patinoires du monde. On s'assoit dans Carmen, on respire Carmen, et en plus ça vous colle aux oreilles, vous en prenez pour une semaine au moins. "L'Amour est un Oiseau Rebelle" vous sort par les narines dès le petit-déjeuner du lendemain. Mais pas avec Romain. Parce que Romain pourrait patiner sur "Tata Yoyo" et rendre cela grandiose. Déjà, le montage musical a été fait de manière à rendre le programme le plus original possible. La chorégraphie est de Guillaume Cizeron, danseur au service d'un danseur. A l'élégance naturelle et la glisse féline de Romain, s'ajoute maintenant la maturité. A vingt-six ans, il est toujours possible de progresser. Son quadruple boucle piqué est magistral. Celui qui doit suivre en combinaison avec un double se solde par 2T/2T, mais il grappille quand même quelques points au milieu d'une ligne de zéro. Le triple Axel n'est pas en combinaison avec un double boucle piqué comme prévu, mais il est net, comme l'est triple flip/Euler/triple Salchow. Romain éclate son triple Axel suivant en simple, mais réalise triple Lutz et triple boucle avec aisance. Pas de chance, sa pirouette combinée avec changement de pied est invalidée. Il remporte néanmoins une jolie sixième place (144.89) dans ce libre et la même chose au classement final (229.86).
Aujourd'hui, Deniss Vasiljevs est "Le Dernier Samouraï" et l'hérésie vestimentaire de la veille n'est plus qu'un mauvais souvenir. Un quadruple boucle piqué en sous-rotation l'envoie parterre dès l'entame de programme. Nouvelle sous-rotation pour le triple Axel qui rend la combinaison avec un triple boucle piqué hasardeuse et lui vaut huit GOEs négatif sur neuf. Il manque un tour au triple boucle qui précède un double boucle piqué en combinaison. Stéphane Lambiel, son coach, frappe du plat de la main sur la barrière en hurlant "push, push, go !" On le sent prêt à bondir sur la glace pour aider, voire remplacer son élève. Le métier d'entraîneur est un rôle ingrat et frustrant, derrière la barrière, vous êtes totalement impuissant. Deniss avorte un triple Axel pour ne passer qu'un simple et Stéphane s'agite de plus belle. Mais ouf, tout va mieux avec triple Lutz/Euler/triple Salchow, puis triple flip, tous deux avec bonus. Le triple Lutz solo est en sous-rotation, mais les pirouettes du jeune homme sont magnifiques, il a de qui tenir ! J'ai un faible pour sa séquence de pas, superbement exécutée et qui lui vaut +5 de la part du juge N° 6. Il va falloir à Deniss acquérir plus de régularité et une technique plus fiable, mais il est déjà un un artiste remarquable. Il est 7ème avec 138.96 et à la même place au général avec 221.26.
Le diablotin de la veille, Kevin Aymoz, endosse à présent l'habit du poète pour une interprétation ultra-émouvante de "In this Shirt" des Irrepressibles, composée pour la B.O. du film "The Forgotten Circus". "I'm lost in a rainbow" (Je suis perdu dans un arc en ciel), on s'y perd avec lui pour notre plus grand plaisir. Avec 11.56 points de plus en PCS qu'en GOE, nul doute que Kevin patine avec ses tripes. Aussi touchant qu'il était espiègle hier. Il retourne son quadruple boucle piqué d'entrée mais ne se laisse pas abattre pour autant. Elle est là, cette combativité qui lui a souvent fait défaut en juniors. Un minuscule déséquilibre à la réception du triple boucle piqué (qui n'était annoncé qu'en double dans son contenu) combiné à un triple Lutz empêche ses notes de monter. L'entrée en grand aigle de son triple Axel est toujours aussi impressionnante, surtout lorsqu'il associe ce saut à un double boucle piqué. Oups, un double boucle remplace le triple prévu. Le triple Axel solo qui suit, toujours lancé en grand aigle, est d'une hauteur incroyable et les notes montent enfin. Triple Lutz/Euler/triple Salchow, ce dernier en grosse sous-rotation, les GOEs en prennent un coup... Pas sur la bonne carre la réception du flip, le mouvement de la cheville est éloquent. Les pirouettes, un peu lentes même si bien exécutées, n'amélioreront pas le score. Mais la séquence de pas finale est un véritable bijou. Sans faire injure à ses prédécesseurs ou à ses coéquipiers actuels, je pense que Kevin est le patineur français le plus talentueux que j'ai jamais vu. Il a su, en quelques saisons, faire de sa sensibilité d'écorché vif un véritable atout, une force, un moteur de progression artistique et technique. Il sait instinctivement emmener le public avec lui, que ce soit dans l'énergie ou l'émotion. En plus, ici, il est à la maison ! 150.16 points le placent en 5ème position du libre et du général (231.16). Joli tir groupé pour les deux Français en lice à Grenoble.
Que fait Nathan Chen pendant les vacances scolaires de Thanksgiving ? Il vient faire un tour à Grenoble et gagner les Internationaux de France. Tout simplement... Hors de question qu'il se contente de la troisième place gagnée dans le programme court, Nathan est champion du Monde en titre et entend bien le rappeler à toute la sphère du patinage. Non, être étudiant dans l'un des plus prestigieuses universités de la "Ivy League" n'est pas un frein à la poursuite de sa carrière. Sur "Land of All" de Wookid, qui lui convient mieux, à mon humble avis, que Duke Ellington, il va, comme beaucoup de ses concurrents, bouleverser le contenu technique de son programme. Génération CoP, ils ont tous une calculatrice dans la tête dès leurs années juniors. Et quand on a la détermination et le sang-froid d'un Chen, ce n'est plus du simple calcul, mais un automatisme. L'élève (à distance) de Rafael Arutunian nous offre un quadruple flip au lieu du quad Salchow prévu. Du coup, la carre de réception est douteuse, mais pas suffisamment pour que les grades d'exécution soient négatifs. Quad Lutz à suivre. Ah non, c'est un quadruple boucle piqué. Haut, long, bien réceptionné. Encore une carre douteuse sur la combinaison triple flip triple boucle piqué. Cette fois, le jury est moins tendre : six fois 1, une fois 2, un zéro, et un moins 1. Nathan, ce triple Axel ne serait-il pas, par hasard, atterri sur deux pieds ? Il faut croire que si puisque les GOEs oscillent de -2 à +1. Par contre, lancer et réussir quadruple boucle piqué/triple boucle piqué à 3 minutes 15 ne lui pose aucun problème. Enfin si : sous-rotation et une ligne de notes négatives. Il n'y aura pas de quatrième quad, prudent, il enchaîne triple Lutz (au lieu de 4T)/double boucle piqué/double boucle. Il a raison, à partir de là, mieux vaut assurer : triple boucle avec bonus, pirouettes de niveau 4. C'est suffisant pour prendre aisément la tête du libre avec 184.64, soit plus de 20 points d'avance sur Aliev. A noter qu'il y a tout de même près de 10 points d'écart entre ses grades d'exécution et ses composantes. Les juges sont partagés sur ces dernières : de 8.25 à 9.75. 9.00 en interprétation de la musique, avec des bras aussi raides et une chorégraphie qui ne suit pas toujours le rythme mélodique, me semble généreux. Peu importe. Il est le vainqueur de ce Grand Prix sans discussion possible avec un total de 271.58.
Je ne suis pas certaine que "The Greatest Showman" (la Bête de Scène) soit le titre le plus adapté au patinage et à la personnalité d'Alexander Samarin. J'admets qu'il est plus expressif que lors du programme court. Ce n'est pas difficile. Son "Cold blood" est d'un froid polaire, assorti de la tête d'un meurtrier en quête de sa prochaine victime. Est-ce fait exprès ? Dans ce libre, le costume, qui veut copier celui de Hugh Jackman dans le film éponyme, est bizarrement alourdi par des parements noirs. Il y a un louable effort de fait niveau interprétation et chorégraphie mais l'ensemble repose surtout sur la technique. Or, elle n'est pas sans reproche. Chute sur un quadruple Lutz retourné. Mais il ajoute un double boucle piqué en combinaison au même saut en quadruple. Triple Axel/double boucle piqué (au lieu de triple, mais il ne perd pas de point), triple boucle, triple Axel solo en sous-rotation fortement dégradé, triple Lutz/Euler/double Salchow correct, triple flip. Je suis très surprise par les composantes qui lui sont accordées, de presque dix points supérieures à ses GOEs. Mais comme d'habitude, je ne suis pas juge et pas qualifiée pour l'être ! Alexander n'est que 4ème du libre avec 156.23, mais reste 3ème du classement final avec 247.09.
Jason Brown fait partie de la catégorie de patineurs qui bénéficient grandement de la nouvelle notation, nous l'avons déjà vu hier. Ce n'est pas un reproche car, dans le genre artiste, Jason est l'un des rares Américains (avec Adam Rippon) à exprimer ouvertement une véritable sensibilité. Il a la tenue de corps et le port de tête d'un danseur de ballet, ou d'un Guillaume Cizeron, ce qui n'est pas un mince compliment. Son medley de chansons de Simon & Garfunkel ("Old Friends", "Bookends", "A Hazy Shade of Winter") est parfait pour lui, même si un peu trop à la "sauce Orser" pour mon goût. Mais justement, Brian Orser sait brillamment tirer partie des points forts de ses élèves. Jason entame son programme par un double Axel seulement, suivi d'un triple combiné avec un double boucle piqué. Son triple Salchow est royal. Son triple boucle l'est presque autant. Les choses se gâtent avec une importante sous-rotation sur le triple Axel qui précède double boucle piqué/double boucle. Dommage car cette combinaison originale est largement à sa portée. Il commet l'erreur de remettre un double piqué en combinaison avec un triple flip. Le premier saut est donc considéré invalide mais n'est pas un gros handicap niveau points. Son dernier saut est un double Lutz. Le contenu technique peut sembler frileux, mais ultra-propre, il aurait pu lui permettre de gagner. Car c'est ce vers quoi tend le changement de notation : des programmes avec moins de difficultés, mais sans faute. L'Américain termine troisième du libre (159.92) et second au final (256.33). A noter que ses composantes dépassent de 19.36 point son score technique ! Jason conserve au patinage tout ce qu'il a "d'artistique".
© S.I.G. - Sur place : Kate Royan