Portrait : Tiffany Zagorski

Une Anglaise sur le continent...

L’histoire de Tiffany Zahorski est comme elle : peu banale. La jeune fille à la chevelure flamboyante, née britannique, a d’abord été naturalisée française, puis russe (devenant Tiffany « Zagorski »). Son partenaire, Jonathan Guerreiro, voit le jour en Australie, fils de Svetlana Liapina, danseuse sur glace et coach russe, et de Frank Guerreiro, citoyen portugais. Elle-même fille de Bohdan Zahorski, coach de danse, et petite-fille d’un Soviétique exilé au Royaume-Uni, Tiffany gagne ses premières médailles en danse solo avant de s’installer, avec sa mère Alison à Lyon, en 2007, où elle est entraînée par Muriel Zazoui et Romain Haguenauer. Huit mois plus tard, elle est championne de France Novice et ses entraîneurs l’associent à Paul Fieret avec qui elle ne fera qu’une compétition, les Masters 2008. Paul, blessé, abandonne sa carrière. En mars 2009, la voici partenaire d’Alexis Miart. Ils se classent 4^èmes des championnats du Monde Juniors de 2011. En juillet, Alexis se fracture une malléole. Tiffany s’entraîne seule pendant trois mois. Elle est comme ça Tiffany, elle ne peut pas s’arrêter, c’est viscéral. Il faut qu’elle patine. Toute seule, avec des camarades d’entraînement, peu importe. Comme un requin qui meurt s’il cesse de nager, il faut qu’elle bouge, qu’elle patine, tous les jours !

Le couple, passé senior, manque le début de saison suivante. Alexis se remet mal de sa fracture. Le couple se classe néanmoins 3^èmes des championnats de France Elite, et se qualifie du même coup pour les championnats d’Europe 2012. Sheffield ? Mauvais souvenir : une chute dans la danse libre des qualifications les prive du reste de la compétition pour une seule petite place… Sélectionnés au Trophée Bompard 2013, ils déclarent forfait. Quelques jours plus tard, ils annoncent leur séparation. Rien ne va plus pour Alexis gêné par des séquelles de sa blessure et qui perd sa motivation. Après plusieurs essais de retour ratés, c’en est fini pour de bon.

Tiffany se lance dans la longue et laborieuse recherche d’un nouveau partenaire. Elle est douée, elle est brillante, elle est belle, elle a du charisme, mais elle est grande ! 1m74. Trouver un danseur à sa taille est difficile. Elle va patienter vingt longs mois. Elle ne lâche rien, patine tous les jours, fait quelques essais non concluants. Elle joue même les partenaires de substitution, à l’occasion, avec un certain Guillaume Cizeron pendant que Gabriella Papadakis est blessée. En avril 2014 elle s’envole pour une semaine à Moscou et un nouvel essai. Jonathan Guerreiro mesure 1m87, il est deux fois médaillé mondial junior avec ses précédentes partenaires (E. Riazanova et E. Pushkash), il est aussi calme que Tiffany est remuante, ils sont tous deux volontaires, enthousiastes et sur la glace, c’est la fusion immédiate. Tiffany, imprégnée de ses origines, rêve de patiner pour la Russie depuis toujours. En juin, leur partenariat est officiel. «Tiff» change une nouvelle fois de vie. Elle apprend le russe, elle absorbe une nouvelle culture. Avec une aisance déconcertante. [Elle dira qu’apprendre le russe a été difficile, mais à l’entendre on ne s’en douterait pas !] Elle se sent comme une sorte d’enfant prodigue enfin rentrée au pays. Mais il reste un problème et il est de taille.

La fédération russe envoie une demande de «release» officielle à la FFSG. Qui n’a aucune envie de perdre un tel talent au profit d’un pays concurrent, même si lui trouver un partenaire français s’est avéré impossible. Sans ce billet de sortie, impossible de concourir à l’international. Le couple finit 5^ème des championnats de Russie 2015 à titre d’invités. Comme Bruno Massot, dans la même situation précaire, qui serre les dents et fait de son mieux pour patienter en Allemagne, Tiffany essaie de rester positive, mais également lucide. Elle élabore des plans B, évoque la possibilité de devoir choisir une autre carrière, s’accroche, s'arme d’espoir et de constance là où elle croyait ne plus pouvoir en trouver.

Elle est enfin libérée par la France en octobre, soit trois ans et neuf mois après sa dernière compétition sous le drapeau tricolore. N’importe qui à sa place aurait abandonné. Pas elle. Coachés par Alexander Zhulin qui croit en eux à fond, Tiff et Jon effectuent leurs débuts internationaux à la Santa Claus Cup qu’ils gagnent, avant de finir à nouveau 5èmes des championnats russes. Des championnats surnommés «Hunger Games», en référence à la trilogie écrite par Suzanne Collins, tant ils sont disputés. Tiffany ne pensait qu’à une chose : revenir aux compétitions internationales, peu importe lesquelles. La saison 2015/2016 sera partagée entre Challengers Series et rencontres nationales. La danse sur glace en Russie ne manque pas d’athlètes de haut niveau, qui pour l’instant lui barrent la route. Elle voulait tellement revenir à la compétition, que pour un peu, elle se satisferait de ce barrage. Mais non, c'est impossible. Beaucoup trop combative, la demoiselle ! Elle a besoin d’adrénaline, de travailler jusqu’à épuisement, de toujours se donner à fond. La saison 2016/2017 est en demi-teinte, sans doute à cause d’un libre (la "Valse Triste" de Sibelius) sur lequel Jon et elle ne semblent pas très à l’aise et qui ne convainc les juges qu’à demi. Il faut dire que le thème leur va plutôt mal. Erreur de casting de la part de l’entraîneur peut-être. Il faut à ses danseurs du drame ou de la liesse, mais pas de demi-mesure. Elle est lumineuse et extravertie, il est puissant et solide, ils ont bien trop de personnalité pour cette musique mélancolique au tempo trop lent pour eux.

Personne ne s’attend à ce qui suit. Tiffany a été naturalisée en avril. Devant elle et Jonathan, certains couples périclitent. Ceux qu’on surnomme T/J entament 2017 par un changement de coach - ils quittent Zhulin pour Elena Kustarova - et deux Grand Prix : Skate America (ils sont 6èmes), et Chine (4èmes). Une 3ème place aux championnats russes de 2018 les expédie aux championnats d’Europe, à Moscou, leur ville, où ils s’entraînent. Tiffany exulte. Ils sont 6èmes ! Elle y croit à peine. Elle n’est pas au bout de ses surprises. Stepanova/Bukin n’étant pas invités aux J.O. selon la formule consacrée par le CIO, T/J se retrouvent en Corée, incrédules. Ils terminent 13èmes, eux qui, il y a quelques mois, étaient abonnées aux compétitions de moindre importance. Le couple phare de la danse russe, Bobrova/Soloviev, prend sa retraite au retour de Corée et T/J partent aux Mondiaux de Milan pour y finir 8èmes ! Une saison incroyable et des résultats excellents ! La jeune Anglaise, venue sur le continent tenter sa chance, est aujourd’hui N° 2 dans la hiérarchie de la danse sur glace en Russie ! A 23 et 27 ans, le couple, si talentueux et enfin reconnu, a une marge de progression énorme et de belles années devant lui. Et, pourquoi pas un jour, une médaille olympique ? Rêver, oui, et puisque les rêves se réalisent, pourquoi ne pas rêver toujours plus haut… !