© Courtesy of Olivier Brajon
© Courtesy of Olivier Brajon

Internationaux de France 2019

Grenoble - 1er novembre

Programme Court Messieurs - C'est qui le patron ?


 

 

Il n’y aura aucun programme « propre » chez ces Messieurs aujourd’hui.  Compte-tenu des difficultés techniques requises à présent, on ne s’en étonne même plus, même si, en puristes, on pourrait le déplorer.

 

-          Nathan, pourquoi avoir choisi « La Bohême » et Charles Aznavour ?

Je m’attends à ce qu’il réponde que c’est en l’honneur de son coach aux origines en partie arméniennes, ou que le choix lui a été soufflé par son inséparable ami, Romain Ponsart. Pas du tout.

-          C’est ma chorégraphe, Shae-Lynn Bourne, qui en a eu l’idée. Je ne sais pas du tout d’où ça lui est venu.

 

Autant pour mes spéculations un brin sentimentales. Néanmoins, elle lui va bien cette musique et peut-être Romain lui a-t-il traduit les paroles, car je trouve son interprétation sobre et juste. L’homme qui, entre deux échauffements, a le nez plongé dans ses livres de mathématiques, passe d’entrée une combinaison quadruple boucle piqué/triple boucle piqué magistrale. On ne s’attend pas à le voir accrocher sur le triple Axel et y laisser une volée de points. Mais tout le reste est impeccable : pirouette allongée avec changement de pied niveau 4 ; quadruple flip d’une (apparente) facilité déconcertante ; séquence de pas niveau 4. Pirouette sautée assise de niveau 3 « seulement » avant de remonter à 4 pour la suivante, la combinée avec changement de pied. Passez-moi l’expression, mais qui c’est le patron ? Sans contestation possible, Nathan Chen, qui passe la barre symbolique des 100 points avec 102.48. 

 

Si "Blues for Kook" d'Eddy Louiss va si bien à Alexander Samarin, c'est sans doute parce que cette musique ne nécessite pas de talent d'interprétation particulier. Le patineur, bien que né à Moscou,  est d'une froideur sibérienne, ce qui ne l'empêche pas de glaner de 8.25 à 9.25 en "interprétation de la musique". Je reconnais évidemment d'énormes qualités à Alexander, glisse fluide, beaucoup d'élégance. Le programme est bien construit, au service de ses points forts, la performance est là.  Presque rien à reprocher à sa technique : quadruple Lutz/triple boucle piqué, une combinaison (base value 15.70) plus lucrative que celle de Nathan Chen et parfaitement réussie. Une carre douteuse à la réception du quadruple flip et un triple Axel retourné sont des erreurs coûteuses, mais le reste des éléments, tous de niveau 4, lui octroient un très bon score de 98.48 et la seconde place provisoire. 

 

Un quadruple boucle piqué qui vaut 3 en TES pour certains juges et 0 pour d'autres (il est à la limite de la sur-rotation), sert d'entame de programme à Kevin Aymoz, régional de l'étape. Patineur au gabarit idéal, fin au centre de gravité bas, puissant mais léger, et surtout tellement artiste, son "Question of U" de Prince s'est étoffé depuis les Masters de Villard de Lans. Il se prend la tête - au sens propre, dans les mains - à la fin de sa prestation, car il manque à son programme court un élément déterminant : la combinaison triple/triple. Il atterrit le triple Lutz censé précéder un triple boucle piqué sur les genoux : une ligne de -5, une ! Ce qui aurait pu tuer toutes ses chances de podium ne va pourtant pas avoir de graves conséquences. D'abord parce que son triple Axel est de toute beauté, remarquable à la fois en glisse et en explosivité, et que le reste des éléments, tous de niveau 4, est  exécuté sans la moindre bavure. Le tout lui vaut un score de 82.50 et la 3ème place. Ensuite par ce que ses concurrents vont un peu l'aider...

 

A commencer par Shoma Uno. On l'imaginait au coude à coude avec Chen et, après un très joli quadruple flip, le voilà parterre sur son quadruple triple boucle piqué, donc sans combinaison non plus.  Son triple Axel, pourtant une de ses grandes forces,  prend plus de gîte qu'un voilier dans un ouragan, et la (seconde...) chute est lourde, réceptionnée à plat ventre. Nouvelle pelletée de - 5. Une pirouette de niveau 3, une séquence de pas de niveau 2, du très rare chez Shoma, et le score culmine péniblement à 79.05. Il est tout de même 4ème, mais il n'est pas venu pour se contenter de cette place là. Le libre pourrait bien remettre les pendules à l'heure. Il y a quelque chose de triste à voir ce jeune homme si talentueux sans entraîneur, seul dans le Kiss and Cry, seul en salle de presse. C'est un choix qu'il assume, mais qui lui fait très certainement du tort.  Citons sa musique, "Great Spirit" du compositeur et DJ néerlandais Armin Van Buuren , d'abord déconcertante, puis envoûtante, presque obsédante,  dans un tempo très marqué qui va crescendo, qui vous embarque littéralement, très différente des nombreux morceaux classiques sur lesquels on l'a, jusque là, vu patiner. Le pari était osé, mais un tel talent peut se le permettre. 

 

1 mètre 80 pour Morisi Kvitelashvili et Eteri Tutberidze pour entraîneur. Elle n'est pas là, mais son fidèle assistant Daniil Gleinkhengauz l'est aussi au poste. Puisque aucun programme ne sera propre aujourd'hui, sur la jolie chanson "Always Watching You" de Peter Cincotti, après avoir passé sans souci quadruple Salchow/triple boucle piqué et triple Axel, Morisi nous massacre allègrement son quadruple boucle piqué, mais aussi, plus étonnant,  sa pirouette avec changement de pied. Bilan 78.79. Peut-être est-ce à cause de sa haute taille, mais il semble raide et l'ensemble du programme est heurté. Alors que je le voyais parti pour battre Kevin, non pas parce qu'il est meilleur,  mais juste parce que l'Echirollois est tombé, il écope de la 5ème place, un peu plus d'un seul petit point devant Romain Ponsart.

 

Tout va mieux. Beaucoup mieux qu'aux Masters. Est-ce la présence de son coach enfin retrouvé ? (Romain est coincé en France depuis des mois pour de sombres problèmes de paperasses qui l'empêchent de rentrer aux US) Son récent séjour dans l'air pur de Vaujany et l'aide de Florent Amodio ? Ses retrouvailles avec son grand ami Nathan Chen ? Le tout, sans doute. Romain va bien, patine bien, respire mieux. C'est un immense plaisir de le voir revenir à un haut niveau, sur une musique faite pour lui : "Poeta" de Vicente Amigo. Romain, félin et poète des glaces, très hidalgo dans une sobre tenue noire et le visage orné d'une "five o'clock shadow" (ombre de barbe) en impose dès le premier mouvement du programme : quadruple boucle piqué. Le triple Axel passe, mais la réception est largement retournée. Il encaisse aussi quelques déduction sur sa combinaison triple Lutz/triple boucle piqué. Tant pis. Etre 6ème du programme court d'un Grand Prix (77.48), au milieu de grands ténors de la spécialités, c'est tout de même beaucoup mieux qu'une sixième place aux Masters !

 

Daniel Samohin était champion du Monde Junior en 2016. On a attendu longtemps qu'il confirme.  On continue d'attendre, on va finir par s'impatienter... Le talent ne lui manque pas, au contraire. La musique qu'il a choisie pour ce programme court, "Fastidious Horses" de Vladimir Vysocki est difficile, je dirais même qu'elle porte hélas bien son nom,  et les choses commencent assez mal pour lui.  Gros retournement sur son triple Axel, chute sur son quadruple Salchow. La combinaison triple Lutz/triple boucle piqué passe, mais le second saut est en sous-rotation. Avec 70.34, il remporte cependant son Season Best et une 8ème place provisoire. 

 

Quatorze ans que Sergeï Voronov fréquente les patinoires internationales. Belle longévité. A 32 ans, il assure encore un quadruple boucle piqué/triple boucle piqué plus que correct,  mais éclate son triple Lutz ainsi que son triple Axel, erreurs qui lui coûtent très cher. Grand fan de Queen, je suis déçue du manque de chorégraphie de ce programme sur "Somebody to Love" alors que lui, au contraire de Samarin, est un bon interprète. 76.60 le classent pour l'instant 7ème. 

 

A l'inverse du Russe pré-cité, l'Américain Tomoki Hiwatashi, à 19 ans, est le benjamin de la compétition. Son patinage est un peu lent, mais sa musique, "Love Runs Out" de One Republic, remporte un vif succès auprès du public qui tape dans les mains du début à la fin. Mais d'erreur en erreur, quadruple boucle piqué raté, triple Axel inexistant, problème avec la combinaison triple Lutz/triple boucle piqué, il termine 10ème (68.70), derrière un Nicolas Nadeau pas beaucoup plus en réussite. Le Canadien pose les deux mains sur la glace à la réception du triple Axel. Ce sera sa seule erreur mais il accuse un retard technique important sur ses concurrents. Sa musique, "Don't Fall in Love when I'm Away" de Wake Child, se prête assez mal au patinage et beaucoup plus à la diffusion radio. 9ème avec 69.42, ses deux pirouettes de niveau 4 sont finalement ses atouts majeurs. 

 

Anton Shulepov était le premier sur la glace et il sera dernier du classement. Lui aussi a opté pour une musique "radio-friendly" que je trouve mal adaptée à la glace. La chanson elle-même n'est pas en cause, je regrette seulement la tendance qu'on maintenant certains patineurs à tomber dans une sorte de facilité auditive. Ce mélange techno/ pop music dépourvu de sens particulier ne sert que de vague support à une compilation d'éléments obligatoires. De plus, aujourd'hui, le patinage du Russe est assez laborieux, le style est brut, sans beaucoup d'âme. Entamer un programme par une chute sur un quad Salchow met rarement en confiance. Rien ne s'arrange avec un triple Axel en sous-rotation et une combinaison triple Lutz/double boucle piqué ratée. Anton a, par contre, d'excellentes pirouettes, toutes de niveau 4 et une bonne séquence de pas. Il est 11ème avec 63.67.

 

Sur place : Kate Royan