© Kathleen Michel
© Kathleen Michel

Internationaux de France 2019

Grenoble 2 novembre

Danse Libre - Papadakis/Cizeron : Les mots ont un rythme.

 

 

C'est devenu une habitude : Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron raflent la mise avec près de 18 points d'avance sur leurs premiers poursuivants (score total 222.24). Trophée Bompard à Paris, Trophée de France à Bordeaux, Internationaux de France à Grenoble, ils remportent ce Grand Prix pour la sixième fois consécutive, à un peu plus d'un point de leur record mondial du World Team Trophy 2019. Forest Blakk est un artiste musical inclassable. Indépendant, alternatif, pop rock, poète écorché vif, il n'entre dans aucun moule. Exactement comme le couple français qui casse tous les codes depuis six ans. Rien d'étonnant à ce que Gabriella et Guillaume aient été séduits par les compositions du créateur canadien. Rien d'étonnant à ce qu'ils... continuent de nous surprendre ! Dès la première minute de leur danse libre, on découvre que les mots ont un rythme. Ils inventent leur propre langage des signes. Le fond musical d'Olafur Arnalds (obligatoire selon les règles I.S.U.) devient secondaire, tout en caressant les paroles, en ajoutant à leur relief. Hypnotisant. Un coeur bat de plus en plus fort dans la mélodie de l'Islandais, le nôtre bat la chamade à l'unisson, le tempo s'accélère, le mouvement des patineurs aussi. Vertigineux. Le spectateur se cramponne mentalement à son siège,  avant de tout lâcher pour se laisser emporter. Envol. Plus personne ne touche terre dans cette patinoire. Là où la discipline s'est voulue très longtemps une transposition du ballroom sur la glace, Papadakis/Cizeron ont amené et imposé le ballet contemporain. Mais pas n'importe lequel : le leur. D'ailleurs, tout ceux qui ont tenté de les imiter se sont étalés, parfois au sens propre du terme. Car le secret des deux Français est de faire d'éléments d'une difficulté extrême et inégalée, un modèle de fluidité. L'émotion vous prend à la gorge, on ne pense plus à la technique, aux points, au score. C'est le job des juges qui leur accordent des 5 sur tous les éléments et jamais moins de 3 ; ainsi que des dix en performance, composition et interprétation. Personne ne s'en plaindra. Quant à l'histoire que nos deux héros nous raconte, je vous laisse à votre propre interprétation. Guillaume nous a donné la leur en conférence de presse mais je ne la dévoilerai pas. Le charme est aussi dans le mystère et dans ce que le spectateur voit. Cette danse libre somptueuse leur rapporte 133.55 points et bien sûr, une brillante victoire.

 

J'aimerais qu'une fois, une seule, cela suffira, les gens qui ne voient que Madison Chock sur la glace en raison de sa personnalité et de sa plastique spectaculaire, s'attardent à regarder aussi Evan Bates. Il est, en fait, le pilier du couple, dans la plus pure tradition de la danse, certes machiste et passée de mode, mais toujours partie intégrante de l'exercice. Il présente sa partenaire, il la met en valeur, en particulier sur le thème choisi cette année. Et il est au moins aussi bon danseur qu'elle. De l'avis général, leur danse libre, "Egyptian Snake Dance" est une réussite. Je ne dirai pas le contraire, même si je trouve le thème un brin usé, car il est follement bien exploité. Il faut dire qu'ils excellent dans le registre, Madison, en serpent tentateur et dangereux, sourire et regard brûlants ;  Evan en charmeur expérimenté, fasciné par la créature qu'il guide. La robe qu'elle porte semble avoir été peinte sur elle, accentuant l'effet envoûtant. Tout a été étudié pour faire de la jeune femme un cobra ensorceleur, tout en gestes et lignes ondoyants. Cette danse est prenante, brillante, avec des éléments majoritairement notés à +3 et +4, et un joli 10 en interprétation. Un bon score de 124.15 leur permet de conserver leur seconde place et de décrocher un argent mérité avec 204.84. 

 

Les Italiens Guignard/Fabbri sont en pleine ascension. En pleine éclosion aussi. J'apprécie leurs changements de registre réguliers,  et leur façon de chercher la difficulté, le challenge, pour avancer. "Space Oddity" et "Life on Mars" de David Bowie est un choix ambitieux, un pari qu'ils n'ont aucune difficulté à relever, installant au passage leur coach Barbara Fusar-Poli parmi les grandes chorégraphes de la discipline. La mélodie n'est pas facile, le thème pas à la portée de tous, et ils en font un petit bijou de poésie, lyrique juste ce qu'il faut, plein de douceur et aussi de vivacité. Marco porte toujours son attelle au poignet, et malgré les difficultés que cela ajoute à leur prestation, rien n'en transparaît. Aux points dans cette danse libre, ils sont tout près de Chock/Bates et 3èmes (123.69), avec un jolie 3ème marche podium à la clef (203.34). 

 

Olivia Smart et Adrian Diaz sont 4èmes, du libre et de la compétition (112.09/188.18). Un point commun aux teams de Gadbois : la recherche et l'originalité. Olivia et Adrian patinent sur la B.O. du film de Jean-Pierre Jeunet "MicMac à Tire-Larigot". Tire-Larigot est une ville fictive, sorte de Cour des Miracles établie à l'abri d'une montagne de matériaux de récupération :  Jeunet, fidèle à son univers déjanté. La prestation d'Olivia et Adrian est un peu sage par rapport au thème et l'expression, elle, un peu outrée. Peut-être est-ce fait exprès et n'ai-je pas tout à fait saisi la démarche. Mais la prestation est très agréable à regarder. Olivia, vêtue d'une jolie robe bleu clair ornée de brillants, campe une poupée espiègle et souriante, au bras d'un Adrian en bleu de travail, mécano rêveur et touchant. Le programme est finement ciselé, points forts mis en avant, points faibles bien masqués. J'ai une tendresse singulière pour la partie lente et leurs excellents portés. Les Anglo-Espagnols ont fait de gros progrès techniques, Olivia en particulier, mais aussi au niveau de l'aisance et de la couverture de glace. C'est un couple avec lequel il faut désormais compter au niveau européen.

 

Comme pour l'ensemble des danseurs, position inchangée pour Tiffany Zagorsky et Jonathan Guerreiro, 5èmes de la danse rythmique, de la danse libre (109.39) et du classement général (184.44). La musique de Tomb Raider, "Survivor" est symbolique pour eux. Après toutes les difficultés traversées, release compliquée pour Tiffany, puis blessures à répétition (elle est toujours handicapée par un problème au ménisque), le couple fait réellement figure de survivants, surtout dans une équipe russe où la concurrence a les dents d'un requin affamé. Ils font pourtant partie des patineurs qui ne cherchent pas à raconter une histoire mais seulement à présenter la meilleure prestation possible. Celle-ci est sans temps mort, allant d'abord crescendo, pour redescendre en tempo et ensuite remonter. Petite erreur de Jonathan sur les twizzles, glissade inopportune sur les genoux pour Tiffany dans la séance chorégraphique,  mais le reste du programme est propre et bien exécuté. Ils sont tous deux très grands (1m75 et 1m88), ce qui rend leurs portés spectaculaires. Ils sont aussi très rapides, et très athlétiques. Le programme a été conçu intelligemment, de façon à tirer partie au maximum de leurs qualités. 

 

Je ne suis pas fan des Polonais Kaliszek/Spodyriev et je pense que je ne le serai jamais. Je les trouve systématiquement surcotés en composantes, au niveau des Skating Skills en particulier. Leurs bases ne sont pas très bonnes, leurs choix de programmes cette années sont trop similaires : disco pour la RD, "Dirty Dancing" pour la danse libre. Maksym est meilleur danseur que sa partenaire qui surjoue beaucoup pour compenser. Le programme plaît au public car le thème est un grand standard du cinéma musical, mais je le trouve "facile". Bien que je ne sois pas non plus une adepte du couple canadien Soucisse/Firus (107.19/175.80), trop académique dans ses choix et interprétation, je les aurais sans doute classés devant Natalia et son associé. 109.23 points pour la danse libre leur conservent la 7ème place avec un total de 183.42. Marie-Jade Lauriault et Romain Le Gac sont 8èmes avec 102.86/166.28, et Julia Wagret et Pierre Souquet-Basiège 9èmes avec 100.74/161.99. Les deux teams français réalisent une performance plus convaincante que lors de la danse rythmique, et surtout exemptes d'incident(s) coûteux. Il semblerait que Marie-Jade et Romain soient dans une période de flottement, tandis que Julia et Pierre sont plutôt dans une courbe ascendante. On attend de les revoir aux Elites et en Challenger Series où ils auront sûrement  à coeur de montrer meilleur visage. 

 

Sur place : Kate Royan