Shoma Uno version 2.0 ?
Il y a plus d'un point commun entre Yuma Kagyiama (16 ans) et son illustre aîné : la (petite) taille, le style, la profondeur des carres, l'amplitude des gestes, le sens artistique. Je ne suis pas emballée par le thème de son programme, Concerto pour Piano "Shukumei" ("Destin") de Akira Senju, très classique et assez sombre, mais il l'interprète avec une conviction et une maturité rares chez un si jeune garçon. Ses triple Axel et triple boucle sont un modèle du genre : réception sur du velours, comme si c'était la chose la plus aisée du monde. La combinaison triple/triple est moins nette. Sanctionné pour carre incertaine sur le Lutz, je pense qu'il aurait dû l'être aussi sur le triple boucle piqué. Son centre de gravité très bas lui permet d'exécuter des pirouettes parfaitement centrées même si elles ne sont pas très rapides. Pas très rapide non plus sur la suite de pas, il est encore très perfectible. Perfectible avec un score de 80.61, de quoi fonder de grands espoirs sur son avenir. Le jeune homme a un potentiel gigantesque. Il n'a pas terminé 4ème du JGP canadien et 2ème du JGP d'Arménie l'an dernier par hasard. Il poursuit sa progression avec régularité et devrait, sauf erreur majeure, remporter sa première victoire internationale en Grand Prix samedi. Il s'offre déjà le luxe, aujourd'hui, de reléguer son premier poursuivant à plus de dix points... Pour l'anecdote, Yuma cite, au chapitre de ses occupations favorites, les jeux vidéos et... dormir !
L'Américain Matthew Nielsen est un nouveau venu sur le circuit, au point de ne pas encore avoir de biographie I.S.U. 5ème de à la Golden Bear de Zagreb en 2018, médaille d'argent novice des championnats US l'an dernier, né dans l'Ohio et entraîné par Chris Martin en Caroline du Sud, il est aussi longiligne que son adversaire japonais est trapu, et aussi roux que Yuma est brun. Il me fait penser à un très jeune Tim Goebel. Après le très soporifique "Evermore" de Josh Groban dont nous a gratifié le Russe qui l'a précédé sur la glace (Egor Rukhin), son "Come Together" interprété par Gary Clarck Jr, ultra rock, fait l'effet d'un expresso bien serré. Il n'a pas encore l'aisance, ni l'âge nécessaires à s'exprimer librement sur une telle musique et semble un peu timide. Mais son programme est d'une limpidité totale. Pas une faute, pas une poussière de GOE négatif. Du vrai propre et lisse à l'Américaine. Il est très logiquement second avec un score de 70.19.
Aleksa Rakic, actuel tenant du titre de champion junior du Canada, a des airs de Kevin Reynolds sur la très populaire chanson "Stargazing" du musicien norvégien Kygo. II ouvre son programme par une combinaison triple Lutz/triple boucle piqué impeccable. Le double Axel et le triple boucle, ainsi que tous les autres éléments sont propres. L'ensemble manque sans doute un peu de transition. 6ème du JGP Tchèque et 8ème de celui de Bratislava l'an dernier, il améliore son meilleur score de 3 points avec 69.54.
Il n'y a pas que des petits prodiges féminines dans l'écurie Tutberidze. Ancien élève d'Aleksander Volkov, Egor Rukhin, que l'I.S.U. fait culminer à 1m72 dans sa biographie officielle alors qu'il doit mesurer dix bons centimètres de moins, a certainement connu des jours meilleurs, par exemple celui de sa 3ème place au JGP de Brisbane en 2017. Il entame son programme avec une réception de triple Axel à deux mains qui lui fait perdre 3.20 points. C'est un patineur léger et tonique, mais la voix de ténor de Josh Groban l'écrase complètement, sans compter le côté dramatico/sirupeux de la chanson "Evermore", choix discutable pour un junior. La chorégraphie est, bien sûr, de Daniil Gleikhengauz, donc, à mon goût, beaucoup trop classique. Egor rattrape sa première erreur avec un bon triple boucle avant de traîner un peu les lames dans une pirouette sautée assise trop lente. La deuxième partie est plus réussie avec combinaison triple Lutz/triple boucle piqué. Dans le Kiss & Cry, Gleikhengauz, pas plus expressif que d'habitude, reste impassible à l'annonce du score entaché de deux déductions avant de pousser un vague soupir. 68.51 c'est peu pour un membre de l'écurie Tutberidze qui, de fait, a une obligation d'excellence. Et ce, même si cette 4ème place serait un excellent résultat pour le commun des mortels.
17 ans, 1 mètre 71 (cette fois ce n'est pas une erreur) et "Stop It, I like It" de Richard Guard pour l'Israélien Mark Gorodnitsky. Lui, n'est pas un nouveau venu. Passé de la 34ème place des championnats du Monde Juniors en 2016 à la 17ème de ceux de 2019, 5ème du JGP d'Autriche 2017, il progresse à son rythme. C'est un bon patineur, efficace et élégant. Hélas, on demande aujourd'hui aux juniors d'avancer beaucoup plus vite dans les rangs mondiaux. Il passe un triple Axel très correct et une combinaison triple flip/triple boucle piqué, changement bienvenu après l'avalanche rituelle de 3Lz/3T. C'est une chute sur son triple boucle qui va faire baisser le compteur de points. La redoutable et redouté ligne de - 5... Il prend la 5ème place avec 66.32 soit bien en-dessous de son Personal Best qui date du JGP de Ljubljana en octobre 2018 (74.66).
Fils d'Evgenia Shishkova et Vadim Naumov, champions du Monde 1994 en couple pour la Russie, et entraîné par eux, Maxim Naumov est né à Hartford, au Connecticut et patine sous la bannière US. A 18 ans, il est l'un des "doyens" de la compétition et n'avait jusque là participé qu'à un seul autre Grand Prix, celui de Riga 2017. Médaillé de bronze aux championnats Nationaux américains l'année suivante, il évolue ici sur le très rythmé "Uprising" de Muse. Il colle assez bien au tempo en début de programme, mais perd de la vitesse après une chute franche sur son triple Axel. Dans sa combinaison triple/triple, le premier boucle piqué désaxé met le second en sous-rotation. Dommage car l'ensemble du programme est agréable, et le patineur tonique et convaincant. Comptablement parlant, avec 63.47, nous voici loin du score de Kagiyama et donc d'un espoir de podium.
Passé successivement dans les mains de Didier Lucine et son épouse, puis de Katia Gentelet et Cédric Tour, François Pitot, 14 ans, s'entraîne désormais à Poitiers sous la houlette de Brian Joubert et Cornélia Paquier. Malgré des erreurs coûteuses [retournement et deux pieds posés à la réception du triple boucle piqué (combiné à un triple Lutz), ainsi que des petits soucis sur ses pirouettes] pour sa première apparition en Grand Prix, François bat, sur la note technique, deux des patineurs qui le précèdent au classement. En tant qu'entraîneur, Brian continue de prouver son talent pour le choix des programmes de ses élèves, et son souci de respecter leur personnalité. Ce court, sur la bande originale du film "Sherlock Holmes" va comme à son poulain comme un gant. Il prend une très respectable 12ème place avec 54.40 points.
Corentin Spinar va être moins en veine que son compatriote. Sur "Perfect" du Britannique Ed Sheeran, devenu, par CD interposé, un habitué des patinoires, il tombe à la réception de son triple Lutz, perdant le bénéfice de la combinaison. Son triple boucle est en nette sous-rotation. Il ne déclenche pas l'Axel et chute. Dommage car Corentin est souple, fluide, bien en musique. Il ferme le classement avec 37.32, mais il s'est montré méritant.
Sur place : Kate Royan