Programme Court : Léa Serna acquiert de l'expérience
En l'absence de Maé-Bérénice Meité bloquée aux Etats-Unis par les mesures sanitaires anti-Covid, et de Maïa Mazzara blessée (entorse des cervicales et trauma crânien modéré), Léa Serna (cliquez sur son nom, et celui de ses concurrentes quand ils sont surlignés pour voir la vidéo de leur programme) est quasiment assurée, sur le papier, de pouvoir remporter cette édition des Masters. Reste la pratique, rien n'est jamais joué d'avance. "Experience", du compositeur turinois Ludovic Einaudi, a été popularisé dans les patinoires par plusieurs athlètes, dont Laurine Lecavelier, la première à l'utiliser en 2017, puis par Adrien Tesson dont c'est le programme court depuis l'an dernier. On lui a superposé ici, une voix dans un étrange mash-up, qui casse le rythme envoûtant de la mélodie, sans être désagréable. Le double Axel de Léa passe sans problème, très ample - la place pour un tour de plus ? -, bien glissé en réception. Le triple Lutz en combinaison est impeccable mais il manque un quart de tour au triple boucle piqué qui le suit. Sa pirouette Camel est de niveau 4, en musique et bien réalisée. Le triple flip, qui aurait dû être bonifié, est en "edge", les juges ont un doute sur la carre de réception. Les notes montent sur les trois éléments suivants, une pirouette combinée avec changement de pied, la séquence de pas et une pirouette cambrée, tous de niveau 4, avec des GOEs de +3 et +4. Léa prend logiquement la tête avec un score de 62.92. Mais, comparées aux grades d'exécution (35.30), ses composantes sont peu élevées (27.62). On sait que la jeune fille, sur la glace, est très réservée niveau expression. A vingt et un ans, et sur le circuit international depuis 2013 [elle a fait ses débuts comme junior à la Coupe de Nice ], elle commence pourtant à avoir une solide expérience et un bon palmarès : 2ème junior de la Merano Cup 2014, 2ème senior de la Coupe Denkova-Staviski en 2017, même chose aux Mentor Torun Cup et Minsk Ice Star de 2018, de meilleurs classement en Grand Prix Seniors qu'en Juniors, trois fois 3ème aux Championnats de France. Ce bagage devrait l'aider à prendre de l'assurance.
L'an dernier, Alizée Crozet, fraîchement revenue de blessure, était complètement passée à travers ses Masters. Dès les entraînements, il est clair que tout va bien cette année. Très bien même. Affûtée, déterminée, elle est splendide dans sa tenue noire sur un "Feeling Good" version Avicii qui lui va comme un gant. Expressive, hypertonique, sensuelle juste ce qu'il faut. La combinaison d'entrée triple boucle piqué/double boucle piqué (Tano) passe comme une lettre à la poste. Un triple boucle très net est suivi d'un double Axel posé en léger déséquilibre. Elle sera la seule aujourd'hui à n'écoper que de deux petits grades d'exécution négatifs (-1) : pour la réception du triple Axel, et sa pirouette cambrée qui a couvert un peu trop de surface. Elle obtient un bon score de 55.36, qui pourra être amélioré en augmentant les niveaux de ses pirouettes et de sa séquence de pas. Elle a toute la saison devant elle pour cela.
La version orchestrée et atonale du "Iron" de Woodkid utilisée par Julie Froetscher est un peu rude à l'oreille mais change radicalement de ses précédents choix musicaux. Elle aussi, l'an dernier, avait loupé ses Masters pour la même raison qu'Alizée : retour de blessure. Et elle aussi, cette année, est nettement plus en forme. Pourtant, ses sauts lui font défaut. Elle ajoute ce qui pourrait être un simple boucle piqué à un triple Lutz correct. Une combinaison triple/double était-elle prévue ? Non, puisqu'elle arrive dans la foulée, sous la forme d'un triple boucle/double boucle piqué. Son Axel, hélas simple, compte donc pour du beurre, les GOEs négatifs pleuvent. La suite du programme est, heureusement, beaucoup plus réussie, sur un "Iron" devenu acoustique donc adouci, avec des pirouettes et une séquence de pas de niveau 3. Julie est très grande, dotée d'une morphologie longiligne à la Carolina Kostner. Avoir un centre de gravité haut n'est pas forcément un avantage en patinage. Par contre, posséder de longs membres donne une grâce naturelle que Julie n'exploite sans doute pas assez. Mais les exigences techniques sont telles de nos jours, qu'il est difficile de tout gérer. Et nous ne sommes qu'au tout début d'une drôle de saison... Avec un score de 46.15, elle est 3ème, mathématiquement assez loin d'Alizée.
Derrière Julie, plus un triple saut ne va passer chez les demoiselles, sauf le Salchow d'Aurélie Faula. Festival de chutes, un vrai jeu de quilles. On devine des préparations tronquées par le confinement, et des musculatures encore crispées. Une chute sur le triple Salchow, qui devait être suivi d'un double boucle piqué, prive Adriana Cagnon de sa combinaison. A l'image d'Amy Winehouse dont elle interprète "A Song for You", elle est tout de noir parée, des collants à la pointe des cheveux, et très maquillée. Adriana est une patineuse expressive, le thème et la musique lui siéent. Elle tombe de nouveau sur son triple boucle, avant de réussir un joli double Axel. Deux pirouettes de niveau 4, une de niveau 2, une séquence de pas de niveau 2, le programme est complet et bien structuré. Elle est 4ème avec 43.37.
Aurélie Faula, sur "Survivor", extrait de la B.O. de Tomb Raider, est 5ème (38.14) avec un programme entaché de deux chutes - sur double Axel et triple boucle piqué - , mais une combinaison triple Salchow/double boucle piqué réussie. Océane Glesser - entraînée par son père Bernard, le "découvreur" de Florent Amodio - patine sur la B.O. (oui, comme souvent, les bandes originales de films sont à l'honneur !) de "The Greatest Showman" et le morceau "This is Me". Avec une chute sur son triple flip, une sous rotation sur son triple Salchow qui avorte sa combinaison, et un double Axel qui ne lui rapporte que deux grades d'exécution positifs (+ 1), elle se contente de 37.31 points et de la 6ème place. Sophia Maarouf (37.11), Coraline Rouxel (29.46) et Alicia Lopez (26.83) complètent ce classement provisoire.
Programme Libre : Crois en toi Léa !
Léa Serna a tout ce qu'il faut pour réussir : la morphologie, la tonicité, la technique, le sérieux, un esprit perfectionniste, une vraie sensibilité musicale, un entraîneur qui la connaît bien, et qui sait se montrer intransigeant quand il faut. Ne lui manquent qu'une bonne dose d'optimisme et d'assurance. Il suffirait d'un peu plus de confiance... Ce qui est raté est raté, tant pis, il faut l'évacuer tout de suite, penser au prochain élément, avancer. La saison dernière, elle patinait sur "Light of the Seven", musique émouvante et superbe, très triste aussi. Cette année, elle a choisi Lana Del Rey : "Young and Beautiful". Magnifique aussi, mais pas beaucoup plus gai. La mélancolie lui va bien, mais j'aimerais un jour la voir patiner sur un morceau totalement festif, un rock explosif, de l'electro déjantée, quelque chose qui ferait voler en éclats sa retenue, sa gravité. Mais il est bien conçu ce programme. Tout a été pensé pour être exécuté au bon moment, sur les accents de la mélodie. Léa a une glisse fluide et légère, sa robe est d'un pourpre savoureux, agrémenté de stras discrets, la coiffure et le maquillage élaborés lui font un visage de madone. Bref, tout y est. Sauf cette fameuse assurance. Léa ne semble pas souvent convaincue par ce qu'elle fait. Elle a tort. Son potentiel est énorme. Après un triple boucle un peu hésitant, elle chute sur le triple Lutz qui est pourtant l'une de ses forces. Le premier triple Axel et le triple Salchow passent sans difficulté, ni hésitation. Mais elle chute sur le second double Axel, pose la main sur la glace à la réception du triple flip combiné à un simple boucle piqué/double boucle piqué, et répète un triple Lutz dont la carre est douteuse. Autant de points en moins. Elle se perd un peu en fin de programme, visiblement désarçonnée par son manque de réussite. Pourtant ses pirouettes sont excellentes, de niveau 4, et sa séquence de pas, aussi bien orchestrée qu'exécutée, mériterait un niveau supplémentaire (elle n'obtient que 3). Avec un score de 99.81, soit supérieur de plus de 12 points à celui de sa première poursuivante, elle remporte très largement ce libre. Et la compétition féminine avec un joli total de 162.73, 26.34 devant Alizée Crozet. De quoi retrouver le sourire et gagner en confiance non ?
Trahie par ses sauts, Alizée est moins à la fête que lors du programme court. Son libre est à l'orage, comme le thème, "The Storm", du très charmant Hongrois Balazs Havasi, chanté par Lisa Gerrard. Dommage, car la musique romantique lui convient aussi bien que le rythme chaloupé de son court, signe que la demoiselle sait se diversifier. Elle chute sur son triple boucle d'entrée, ce qui va la déstabiliser pour la suite. Son triple flip est atterri sur les deux lames, et en sous rotation, d'où dégradation ( de -3 à - 5, aïe). Son triple Salchow avorte en double, et elle chute de nouveau sur le double Axel. Qu'elle replace, en simple, en 9ème élément. Ses combinaisons, elles, sont correctes : triple boucle piqué/double boucle piqué et double boucle piqué/Euler/double Salchow. Comme lors du court, deux de ses pirouettes et sa séquence de pas manquent d'un niveau, ce qui réduit ses chances de voir les notes grimper. 3ème du libre avec 81.03, elle remporte tout de même une belle médaille d'argent (136.39) et une large poignée de points supplémentaires par rapport à l'an dernier (5ème avec 114.90).
Vous reprendrez bien une petite bande originale de film ? Il est vrai qu'on trouve, dans ce registre, nombre de morceaux intéressants et éminemment "patinables". Julie Froestcher est-elle ange ou démon ? Les deux, bien sûr, sur un montage musical qui commence par "The God Particle" du film "Angels & Demons", se poursuit avec "Eternal Eclipse" de Yearning Hearts, et se termine par un autre extrait de la B.O. du film composée par Hans Zimmer: "503". A noter que ledit montage musical est excellent, sans blanc, césure ou rupture. Si elle va dépasser Alizée de 6.20 points dans ce libre et terminer 2ème de ce segment de la compétition (87.23), ce n'est pas non plus la grande fête des sauts pour elle : sous-rotation pour le triple Lutz combiné à un double boucle piqué ; un "quarter" sur le triple boucle ; un double Axel qui n'est pas tout à fait... double ; une nouvelle sous rotation sur son triple Salchow combiné à un double boucle piqué ; un simple Salchow ; et un second double Axel aussi incomplet que le premier. Elle réussit tout de même, et très bien, un triple Lutz en début de prestation. Ses pirouettes sont de niveau 2 et peuvent également être améliorées. La Niçoise obtient la médaille de bronze avec 133.38, soit un score légèrement inférieur à celui obtenu l'an dernier (134.89) mais elle n'était que 4ème.
Il est écrit quelque part que les sauts ne passeront pas aujourd'hui. La faute au Covid ? Je ne plaisante même pas. Cette sale bête (que j'appelle ironiquement "le petit con à couronne", mais ne le lui dites pas, il pourrait se vexer !) rend toute réunion sportive aléatoire. Aura lieu, n'aura pas lieu ? Les athlètes se préparent, souvent avec des semaines de retard, privés de glace pendant deux ou trois mois, sans savoir pour quand ni pour quoi. Les Masters sont une épreuve test chaque saison, et servent de sélection aux Internationaux de France. Ils ont donc leur importance. Seul avantage offert cette année par mon "ami" le petit con couronné, le Grand Prix sera ouvert à un plus large échantillon de Français, les étrangers ayant du mal à voyager. Sauts loupés donc... Adriana Cagnon est néanmoins la seule à proposer un triple/triple, combinant Salchow au boucle piqué, mais elle tombe sur le second. Sur "Inspiration", du pianiste et compositeur Munichois Florian Christl, les choses, qui ont commencé par un triple flip en "quarter" et carre douteuse, vont aller de mal en pis : son triple boucle n'obtient qu'un seul grade d'exécution positif (+1) ; elle chute sur le triple Salchow solo ; chute encore sur un double Axel qui est lui aussi "quarter" ; se retrouve en carre douteuse sur un double flip ; et ne déclenche pas son second Axel. Bilan, 4 points de déduction, ce qui fait mal au score : 68.56, à des kilomètres de celui d'Alizée. Elle perd la 4ème place du libre au profit de Sophia Maarouf, sur la délicate chanson de Birdy "Not About Angels", beaucoup moins bonne en composantes mais moins souvent parterre (71.27). Adriana est cependant 4ème du classement général (111.93) devant Sophie (108.38).
Aurélie Faula avec, elle aussi, trois chutes et quatre déductions (63.59/101.73), Coraline Rouxel (61.32/90.78) et Alicia Lopez (58.78/85.61), complètent le classement, Océane Glesser étant forfait.
Sur place - Kate Royan © S.I.G.